Il y a des batailles historiques que l’on retient plus facilement que d’autres. En 732, Charles Martel arrête les arabes à Poitiers. Cette phrase que tout le monde (ou presque) a appris à l’école primaire raisonne de toute son exaltation dans notre subconscient national, souvent reprise ou déformée par des partis politiques. Pourtant, à regarder de plus près, ce chapitre de notre histoire est moins manichéen qu’il n’en a l’air. La Revue Dynastie décortique le vrai du faux de ce mythe ancré dans notre imaginaire personnel.

La bataille de Poitiers (ou de Tours ou du Pavé des Martyrs) a été largement popularisée au cours du XIXème siècle. Son principal protagoniste, Charles Martel, est une figure qui devient consensuelle aussi bien pour la droite patriotique que les anticléricaux qui préfèrent ce maire de Palais à Clovis, trop chrétien. En pleine colonisation de l’Afrique musulmane, ce chapitre de l’Histoire de France va progressivement s’ancrer dans notre roman national et guider cet esprit revanchard qui va animer les français en 1914. A cette époque, personne ne cherche à recontextualiser cet événement, ni même prendre la peine de s’attarder sur le fait que la France n’existe pas, morcelée en plusieurs états, ou à rappeler que ce fut loin d’être le « Waterloo » des arabes.  Il faut des héros à la IIIème République et le tombeur des Mérovingiens, dont le Moyen-âge religieux fait peu de cas, va incarner le génie militaire français à la perfection.

Charles Martel à la Bataille de Poitiers

Une date qui ne fait pas l’unanimité chez les historiens

Au VIIIème siècle, les Omeyyades sont une des puissances militaires du moment. Ils occupent l’Afrique du Nord, la péninsule ibérique et la Septimanie wisigoth. Un empire aux portes du duché d’Aquitaine qui a fort à faire pour repousser les razzias que les sarrazins opèrent dans cette partie de la France en devenir. L’invasion est fulgurante menée par Abd al-Rahman ibn Abd Allah al-Ghafiqi, gouverneur d’Al-Andalus. Bordeaux est prise, pillée et l’armée du duc Eudes battue. Il doit s’enfuir chercher de l’aide auprès de Charles Martel, l’homme fort de la dynastie mérovingienne sur le déclin. Abd al-Rahman poursuit sa route vers Poitiers qui ne tarde pas à tomber rapidement. Trop pour Charles Martel qui se dirige vers les troupes du gouverneur avec ses francs et ses alliés burgondes et aquitains (une version affirme qu’il a toujours refusé de répondre aux injonctions du Pape Grégoire II et qu’il n’est intervenu que lorsqu’il a appris la liaison avérée entre la fille du duc d’Aquitaine et du gouverneur arabe de Narbonne, craignant un renversement des alliances). Le lieu du choc entre ces deux géants n’est pas réellement connu. Une quarantaine de sites connus revendiquent la paternité de la « bataille de Poitiers » sans faire la moindre unanimité entre les historiens. Même la date est sujette à caution. Les chroniqueurs se sont basés sur les documents arabes qui affirment qu’elle a eu lieu au « premier samedi du mois de ramadan 114 de l’Hégire », soit le 23 octobre 732, pour la déterminer.  Si le mois s’avère bien être celui-là, le jour est aussi source de divisions pour historiens et médiévistes qui évoquent également l’année 733.

Bataille de Poitiers vue au XIXème siècle

Une victoire qui ne stoppe pas les invasions

Surchargés par leurs pillages et les familles qui les suivent, les sarrazins peinent à manœuvrer face à l’attaque franque. C’est une pleine victoire dont on ne sait pas si Abd al-Rahman fut tué sur place et plus tard alors qu’il fuyait le champ de bataille. Bien qu’elle marque un tournant et met un frein à cette invasion (terme aussi très discuté par les historiens), cette bataille ne met pas pour autant un terme à la puissance Omeyyade qui continue d’envahir l’ancienne Gaule. Sans atteindre le même succès. Notons par exemple que la ville de Narbonne reste aux mains des arabes jusqu’en 759, Charles Martel doit encore les combattre deux ans avant que ses successeurs ne reprennent le flambeau (curieusement l’Histoire retiendra plutôt les faits d’armes du duc Eudes qui obtient le titre de « Bouclier de la Chrétienté »). Charlemagne va lui-même se porter au secours des populations et battre les Sarrazins lors de la bataille du Bois-des-héros peu de temps avant son couronnement. Il faudra réellement attendre le Xème siècle pour que cessent les razzias arabes en France. Entre temps, les Capétiens sont arrivés au pouvoir et, entre deux croisades en Terre Sainte, en Espagne, les premières prémices de la future Reconquista se font sentir. Poitiers est déjà loin dans les esprits qui la réhabiliteront au cours du XVIème siècle, au moment où l’empire ottoman menacera celui de Charles Quint.

Frederic de Natal