L’épopée de Jeanne d’Arc est partie intégrante de notre notre roman national. Son aura naturelle et son combat pour la sauvegarde de l’indépendance de la France ont permis à cette jeune bergère de Domrémy de bouter les anglais hors du royaume Capétien comme de couronner Charles VII à Reims. Capturée, emprisonnée par ses ennemis qui endossèrent l’habit du bourreau, Jeanne d’Arc a été vouée aux gémonies puis aux flammes du bûcher le 30 mai 1430. Sans jamais perdre sa foi. Cinq siècles plus tard, l’Église décide d’ouvrir un procès en canonisation. La Revue Dynastie revient sur cet évènement qui a consacré Jeanne d’Arc au rang de sainte.
Ce 20 mai 1920, rarement la basilique Saint-Pierre de Rome a été aussi noire de monde pour une canonisation . L’événement est historique et toute l’intelligentsia française a fait le déplacement, laissant derrière elle les églises de la IIIème République en communion d’office. La voix est feutrée, l’instant est solennel, le pape Benoît XV prend la parole face à l’assistance : « En l’honneur de la Sainte Indivisible Trinité, pour l’exaltation de la foi catholique et pour l’accroissement de la religion chrétienne, par l’autorité de Notre Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux apôtres Pierre et Paul, et la Nôtre, après une mûre délibération et ayant imploré souvent le secours divin, de l’avis de nos vénérables frères les cardinaux de la Sainte Église Romaine, des patriarches, des archevêques et des évêques présents à Rome, nous décrétons sainte et inscrivons parmi les saints la bienheureuse Jeanne d’Arc, statuant que sa mémoire devra être célébrée tous les ans par une pieuse dévotion ». Le grand bourdon de Saint-Pierre s’ébranle, toutes les cloches de Rome se mettent à sonner d’un coup. Un Te Deum s’élève dans le ciel, l’Histoire vient de prendre sa revanche cinq siècles après la condamnation de la Pucelle au bûcher, à Rouen.
Pourquoi un procès en canonisation ?
Accusée d’être hérétique, apostat, devineresse et menteuse, le procès de Jeanne d’Arc a été inique et a soulevé bien des indignations à son époque. Il faut attendre 1452 pour que Rome soit saisie par le cardinal d’Estouville d’une demande en révision dudit procès. Deux ans plus tard, la révision enfin est ordonnée par le pape Calixte III. En 1456, il décide de casser le premier jugement prononcé contre Jeanne d’Arc mais pas pour les raisons que l’on supposerait. Le pontife souhaitait surtout obtenir le concours du roi dans son projet de croisade contre Constantinople. Réhabilitée mais pas sainte. Le combat de Jeanne d’Arc s’est inscrit dans le subconscient du peuple. Jouissant toujours d’une bonne image et d’une forte popularité, lors de la guerre franco-prussienne (1870), elle devient un symbole de résistance dont s’empare tous les partis politiques, de droite conservatrice à la gauche anticléricale en passant par les royalistes qui espèrent fédérer autour de son nom. En 1874, le premier acte de la procédure canonique est publié à Orléans par l’évêché. Léon XIII, pape d’alors, est favorable à la cause. On lui prête d’ailleurs ces mots : « Le jour où toutes les cloches du monde sonneront pour Jeanne d’Arc, elles sonneront la gloire de la France. »
Une opinion divisée sur le cas de la Pucelle
En 1894, Jeanne est « enfin » déclarée « vénérable ». Un procès en béatification s’ouvre, générant un vaste débat, cristallisant les passions politiques en France. Consciente que « Jeanne » lui échappe, La lanterne n’hésite pas à faire part de sa frustration vis à vis de la situation : « On peut constater qu’en tentant d’accaparer Jeanne d’Arc pour l’usage exclusif de leur propagande réactionnaire, les cléricaux n’arriveraient qu’à détacher la masse de l’héroïque fille du peuple, envoyée jadis sur le bûcher par un tribunal ecclésiastique où tout le clergé de France était représenté » écrit dans ses colonnes ce journal de gauche. Tous les coups sont désormais permis entre les différents partis de la classe politique qui revendiquent Jeanne d’Arc. En 1904, éclate l’affaire « Thalamas », du nom d’un professeur de la Sorbonne, qui aurait « outragé en termes inqualifiables devant ses élèves la mémoire de Jeanne d’Arc ». ll ne recevra qu’un blâme avant que quatre ans plus tard, les camelots du roi ne viennent régulièrement lui faire payer son affront, perturbant ses cours. L’opinion se divise sur le cas de Jeanne d’Arc et la loi de séparation de l’Église et de l’État imposée par la République en 1905 va fracturer la société, jetant de l’huile sur le feu d’une polémique qui n’en finit pas de grandir. Rome rompt alors ses relations diplomatiques avec la Fille aînée de l’Église, laissant les catholiques désemparés. Ils espèrent dès lors que la béatification espérée de Jeanne d’Arc va être cette voie qui permettra de panser ce conflit diplomatique.
Jeanne d’Arc reconnue par la IIIème République
Il faut attendre le 18 avril 1909 pour que Pie X béatifie Jeanne d’Arc. La presse est en émoi et lui consacrera sur cette seule année-là, plus de 10 275 articles, un record. La Première guerre mondiale freine le processus mais pas dans les tranchées de ce conflit sanglant. Face au danger et à l’ennemi, la Pucelle est invoquée par les Poilus. Ils la proclament « sainte patronne des tranchées ». La victoire de 1918 sera vue par beaucoup comme la concrétisation du vœu le plus cher de la Jeanne d’Arc, la réconciliation entre français et anglais. Un raccourci historique mais qui contraint le parlement à légiférer face à la pression et voter l’instauration d’une fête nationale en l’honneur de Jeanne d’Arc, le deuxième dimanche de mai (elle sera plus tard transférée au 8 mai). Pour les conservateurs, une victoire qui va concurrencer la fête nationale du 14 juillet (mise en place en 1880); Pourtant, la polémique n’est pas encore éteinte et resurgit de plus belle lorsqu’elle est canonisée. Pour la droite monarchiste et républicaine, c’est l’exultation alors qu’à gauche, l’évènement sonne comme une défaite, traduisant le recul des conquêtes républicaines de la Belle époque. « L’Église brûla Jeanne d’Arc. Elle l’adore aujourd’hui » ironise t-on chez les déçus. Charles Maurras écrira qu’elle « fut soldat dans l’âme, mais elle ne fut nullement une préfiguration de la nation armée ». « Plus encore que guerrière elle a la tête militariste et hiérarchique. Elle n’a pas ameuté les paysans de son village : elle est allée trouver le seigneur du pays…. Son sens de l’ordre est tel qu´ il a volé droit au sommet ! Point de chef, point de peuple : point de Roi, point de France. Comme il n’y a point de Roi, elle en fera un » ajoute très lyriquement et exalté le chantre de l’Action française (AF). Rome renoue avec la France un an après cette canonisation et le pape vient même embrasser le drapeau français, premier signe de la détente entamée. Laquelle avait obéi également à d’autres considérations comme le statut de l’Alsace-Moselle et la peur du communisme. En 1922, le pape Pie XI proclamera Jeanne d’Arc, patronne secondaire de la France (au même titre que Sainte Thérèse de Lisieux), celle principale étant la Vierge depuis le vœu de Louis XIII, achevant ainsi tout le processus entamé par l’Église des siècles auparavant.
Jeanne d’Arc, une valeur universelle
Personnification de l’héroïsme, figure intégrée, dès son vivant, dans la vision collective des grands héros français, la Pucelle s’est hissée par son altruisme et sa bravoure, pour les armes et l’honneur de la France, au rang d’une héroïne religieuse et laïque. Célébrée désormais par tous, Jeanne d’Arc, la fille du peuple qui a sauvé son pays, malheureuse sacrifiée par un tribunal ecclésiastique, demeure le témoignage d’une foi inébranlable, un chemin à suivre, l’incarnation d’une valeur universelle chère à tous.
Adrien Moquet