Surnommé le « prince surfeur », passionné de photographie, constamment au chevet du Brésil, le prince Dom Joao d’Orléans-Bragance est un descendant de Dom Pedro Ier. Il a accordé un entretien à la Revue Dynastie et nous évoque la personnalité, l’héritage laissé par cet empereur, fondateur de la nation brésilienne.
Revue Dynastie : Dom Pedro de Bragance a 9 ans lorsqu’il débarque au Brésil avec sa famille, contraint de fuir devant l’avancée des troupes de Napoléon Ier. Nous sommes en 1807. Quel a été son sentiment à ce moment-là ?
Dom Joao d’Orléans-Bragance : Il faut comprendre que c’est la première fois dans l’histoire européenne qu’une famille royale se déplaçait et se réfugiait ainsi dans une de ses colonies. Le marquis de Pombal, Premier ministre du roi, avait d’ailleurs songé à transférer le pouvoir au Brésil, 90 fois plus grand que le Portugal, et en faire la capitale d’un grand empire occidental. L’entrée des troupes de Napoléon Ier au Portugal n’a fait qu’accélérer ce processus. C’est difficile de savoir ce que Dom Pedro a pensé en arrivant au Brésil mais dans ses mémoires, il avoue être fasciné par ce pays où tout était plus simple et moins protocolaire qu’à Lisbonne.
Revue Dynastie : Quelle éducation a reçu Dom Pedro une fois installé au Brésil ?
Dom Joao d’Orléans-Bragance : Il était l’héritier de la couronne. Il a donc été éduqué avec l’idée que les rois ne répondent de leurs actes que devant Dieu. Bien qu’il fût croyant et pratiquant, c’est en grandissant qu’il est devenu libéral. C’est un prince qui a fait preuve d’une indépendance de caractère assez rapidement, adoptant le mode de vie brésilien. Il n’a cependant jamais oublié d’où il venait et c’est pourquoi justement, il a demandé que son cœur demeure au Portugal après son décès en 1834. Plus précisément à Porto, une ville qui lui a témoigné une fidélité sans faille lorsqu’il a combattu Dom Miguel Ier.
« Il avait conscience qu’il portait et qu’il avait entre ses mains une responsabilité historique. »
Revue Dynastie : Bien que le pays soit libéré des français en 1813, la famille royale décide de rester au Brésil. C’est une révolution, sept ans plus tard, qui contraint le roi Joao VI à revenir au Portugal laissant son fils à la tête d’une régence. Quel a donc été le processus qui a mené Dom Pedro à proclamer l’indépendance du Brésil à Ipiranga, le 7 septembre 1822 ?
Dom Joao d’Orléans-Bragance : Dom Pedro était très populaire. C’était un homme simple qui saluait tout le monde dans la rue. Il a grandi au Brésil. Il avait conscience qu’il portait et qu’il avait entre ses mains une responsabilité historique, celle de mener ce pays qui l’avait adopté vers l’indépendance et de garantir son unité. Cette indépendance était inéluctable puisque même le roi Joao VI l’avait compris.
Revue Dynastie : Dom Pedro est sacré empereur malgré les objections du Portugal. Quel monarque a-t-il été durant son règne ?
Dom Joao d’Orléans-Bragance : Il avait une pensée complexe, partagé entre son éducation absolutiste, un certain autoritarisme et son idéal libéral. Il a octroyé une constitution au Brésil inspirée de celle de la Norvège, de la France et de la république des États-Unis. Il a été largement influencé par Alexis de Tocqueville, Montesquieu ou Benjamin Constant et avait adhéré aux principes de la séparation des pouvoirs. On peut même dire qu’il était progressiste puisqu’il réfléchissait, déjà, à abolir graduellement l’esclavage tout en ménageant les grands propriétaires, un lobby important. Il disait à ce propos que « son sang avait la même couleur que ceux des afro-brésiliens » pour bien montrer qu’il ne faisait pas de distinctions entre blancs et noirs.
« La monarchie a créé l’État moderne brésilien en lui donnant de vraies institutions. »
Revue Dynastie : Qu’est-ce que la monarchie va concrètement apporter au Brésil ?
Dom Joao d’Orléans-Bragance : Elle a créé l’État moderne brésilien en lui donnant de vraies institutions, politiques, militaires, culturelles, financières, avec sa propre monnaie, la liberté de la presse, ses universités etc. Que ce soit Dom Pedro Ier, son fils Dom Pedro II après lui, ils étaient également des arbitres naturels. Elle a assuré la stabilité et a permis au Brésil de ne pas éclater en plusieurs états après le départ des Portugais.
Revue Dynastie : Il revient au Portugal en 1828 afin d’aider sa fille, Maria II, montée sur le trône à Lisbonne, destituée par son oncle et époux, Dom Miguel. Pourquoi ce choix ?
Dom Joao d’Orléans-Bragance : Dom Pedro avait compris que sa présence au Brésil n’était pas indispensable. Il a décidé de laisser son fils afin de montrer que les institutions étaient stables, sachant qu’il ne le reverrait sans doute plus jamais. Il abdiquera même en sa faveur en 1831 alors que son fils est encore un enfant. C’était un de ces hommes comme l’Histoire en a fait rarement, qui a su abandonner le pouvoir quand il le fallait. Il pensait à l’avenir de la nation avant ses propres intérêts. Il devait défendre le droit constitutionnel de sa fille menacé par une vision trop absolutiste de la royauté. Au Brésil, comme au Portugal, c’était un vrai patriote. Il donne ici une belle leçon d’humilité.
Revue Dynastie : Est-ce important que le Brésil fête aujourd’hui les 200 ans de son indépendance ?
Dom Joao d’Orléans-Bragance : Oui naturellement. Nous devrions prendre ce moment pour réfléchir sur ce que nous avons accompli durant ces deux siècles passés. Il est inadmissible que nous ayons encore autant d’inégalités sociales, du racisme persistant dans notre pays. C’est malheureusement le résultat d’une blessure ouverte qui ne s’est toujours pas refermée depuis la fin de l’esclavage que ma famille a aboli en 1889. Nous avons des institutions démocratiques et la liberté. Nous avons tous les moyens à notre disposition pour nous réconcilier même si nous avons encore du chemin à faire.
Revue Dynastie : Selon vous, c’est dont l’occasion de retrouver cette unité qui manque au Brésil ?
Dom Joao d’Orléans-Bragance : Les démocraties dans le monde passent un moment très compliqué. Le Brésil n’y échappe pas. Les élections générales approchent et nous n’avons le choix entre deux pôles radicaux, droite comme de gauche, qui sont de mon point de vue, indignes, incapables de nous représenter. Il est regrettable de voir que tous les partis se préoccupent plus de leurs intérêts personnels que du bien commun du Brésil.
Revue Dynastie : Pensez-vous que les partis politiques brésiliens devraient s’inspirer justement du bilan de Dom Pedro Ier ?
Dom Joao d’Orléans-Bragance : Ce sont deux époques différentes et elles ne sont pas comparables. Ce dont je suis sûr c’est l’absence de patriotisme dans notre classe politique actuelle, marquée par la corruption.
« Il nous manque un « Juan Carlos », au sein de notre dynastie, qui serait capable de mener cette transition vers la monarchie. »
Revue Dynastie : Le cœur de Dom Pedro Ier est revenu au Brésil pour les commémorations du bicentenaire. C’est un moment qui a été émouvant pour vous ?
Dom Joao d’Orléans-Bragance : Je vous avoue que je trouve la situation très inconfortable, voir morbide. Le cœur De Dom Pedro est utilisé à des fins électoralistes alors que le gouvernement n’a quasiment rien fait pour faire découvrir la personnalité de l’Empereur aux Brésiliens ni même de conférences, d’expositions sur cette partie de notre Histoire.
Revue Dynastie : Le retour de la monarchie peut-il ramener cette unité si chère à Dom Pedro Ier ?
Dom Joao d’Orléans-Bragance : Peut-être un jour mais pas actuellement car pour qu’une monarchie fonctionne, elle doit être d’abord être comprise par la population, en tant qu’institution. Le Brésil est très marqué par le présidentialisme depuis de nombreuses années. Il faudrait donc faire comprendre aux Brésiliens que gouvernement et État sont deux choses différentes. C’est toute notre politique parlementaire qu’il faut revoir. Il nous manque un « Juan Carlos » [d’Espagne-ndlr] au sein de notre dynastie qui serait capable de mener cette transition, loin de tout extrémisme. Les princes se doivent de rester des arbitres naturels et ne pas se mêler ouvertement de politique. Malheureusement ce n’est pas toujours le cas dans notre famille. Pour ma part, je reste profondément respectueux des principes démocratiques, des diversités, quel qu’elles soient, qui composent le Brésil.
Revue Dynastie : Participerez-vous aux festivités organisées par le Président Jair Bolsonaro ?
Dom Joao d’Orléans-Bragance : Oui mais pas à ses côtés. Je suis invité à deux cérémonies. Au musée national de Rio de Janeiro qui avait brûlé en 2018, dans un autre à Sao Paulo où je dois faire un discours. Je ne souhaite pas apparaître à Brasilia aux côtés de l’un ou l’autre des deux principaux candidats dans la course à la présidentielle.
Frederic de Natal