Depuis l’aube du XXe siècle, la marque Peugeot fait partie de l’imaginaire français, avec des modèles mythiques- de la 202 à la 404- et une brillante couverture publicitaire. 

Tout commence à la manière d’un conte de fées : « Il était une fois, dans la principauté de Montbéliard, possession des ducs de Wurtemberg, un meunier qui avait quatre fils. » Ce meunier, Jean-Pierre Peugeot, né en 1734 à Hérimoncourt, près de Sochaux, descendait d’une lignée de paysans, d’artisans et de petits notables dont on retrouve la trace dès le xve siècle. Tous se ressemblent par leur acharnement au travail et leur foi luthérienne profonde. À l’aube de la Révolution, Jean-Pierre est le premier à développer les affaires familiales, en se lançant dans la teinturerie et la meunerie d’huile et de céréales. En 1810, afin de satisfaire les commandes de l’armée impériale, ses deux fils aînés, « Jean-Pierre II » et Jean-Frédéric, transforment leur moulin du lieu-dit Sous-Cratet en fonderie d’acier, tandis que leurs deux cadets, Charles-Christophe et Jean-Jacques produisent des tissus pour les uniformes. La paix revenue, en 1814, la fonderie est reconvertie en usine de ressorts d’horlogerie. Cinq ans plus tard, la société Peugeot Frères Aînés et Cie voit le jour.

Tout au long de la Restauration, de la monarchie de Juillet et du Second Empire, les Peugeot vont accompagner l’essor industriel national. En 1832, Jean-Pierre II et Jean-Frédéric s’associent avec un certain Jacques Maillard-Salins, descendant d’industriels horlogers du Haut-Doubs, puis dix ans après avec des manufacturiers anglais, les frères Jackson. Ils fondent ainsi plusieurs nouvelles usines, toujours en Franche-Comté. Vers le milieu du XIXe siècle, deux fils de Jean-Pierre II – Jules et Émile – prennent la relève. En 1847, ils créent le fameux emblème du Lion Peugeot, comparant les qualités du noble animal à celles de leurs lames d’acier : résistance, souplesse et rapidité. Alors que Napoléon III et Eugénie valsent aux Tuileries, les Peugeot, austères et besogneux, fabriquent des scies et des fers à repasser, des moulins à café et des baleines de corset. Émile Peugeot et sa fille Lucy, fervents protestants, se veulent les champions du paternalisme social. Ils instituent des caisses de secours et de retraite, des assurances mutuelles, et bâtissent des logements ouvriers à bas prix. En 1871, la durée de travail dans les ateliers Peugeot est limitée à douze heures par jour.

Dès 1865, Eugène – fils de Jules – et son cousin Armand – fils d’Émile – sont passés aux commandes de l’entreprise familiale. Avec la IIIe République, les Peugeot se reconvertissent et produisent désormais des véhicules d’un nouveau genre : « grand-bi », tricycles et, en 1886, les premières bicyclettes dotées d’une chaîne. Mais Armand, qui sort de l’École centrale, voit plus loin encore. Féru de moteurs, il présente à l’Exposition universelle de Paris, en 1889, un prototype de tricycle à vapeur, le « Type 1 » Peugeot. Ayant découvert le moteur à explosion de l’Allemand Daimler, il conçoit bientôt les « Type 2 » et « Type 3 ». En 1896, Armand fonde la Société des automobiles Peugeot. Tandis que son cousin Eugène, plus frileux, se cantonne aux productions traditionnelles – bicyclettes et articles ménagers –, Armand ouvre deux usines, à Audincourt, dans le Doubs, et à Lille.

La famille Peugeot

« Nous sommes des investisseurs qui portons un projet industriel sans limite dans le temps. Je ne suis qu’un héritier, qu’un maillon dans une chaîne à un moment donné. J ’espère qu’il y aura plein d’autres maillons derrière moi. »

(Jean-Philippe Peugeot)

Dès 1900, cinq cents voitures sortent déjà de ses ateliers ! Sa réussite est telle qu’en 1905 les trois fils d’Eugène – Pierre, Robert et Jules – s’essaient à fabriquer une voiturette « Lion Peugeot », avant de fusionner cinq ans plus tard avec l’entreprise de leur cousin. Sous l’impulsion de Robert, qui prend la tête de la firme, Peugeot ne cessera plus de se développer. En 1912 est inauguré le site de Sochaux et, durant la Première Guerre mondiale, les capacités de la société sont mobilisées pour fabriquer des camions, des chars, des moteurs d’avion, des bombes et des obus. La concurrence de Renault et de Citroën puis la crise de 1929 ne parviennent pas à entamer le dynamisme du Lion, qui, sous l’Occupation, freinera, par des actes de sabotage, la collaboration avec l’Allemagne.

À Robert, mort en 1945, succède son fils « Jean-Pierre III ». En 1953, toutes les activités sont regroupées sous le nom unique de « Peugeot ». En 1966, après le décès de Jean-Pierre III, l’héritage dynastique échoit au fils de ce dernier, Roland, né en 1926. Six années auparavant, celui-ci avait été l’objet d’un terrible fait divers lorsque son fils Éric, âgé de 4 ans, avait été kidnappé puis libéré contre une rançon de cinquante millions d’anciens francs. Peugeot SA – PSA –, qui voit le jour en 1966, rassemble dans une seule gestion financière les filières automobiles, cycles et outillage. En 1976, PSA rachète 90 % de Citroën, revanche sur un redoutable adversaire ! Roland devient alors président du conseil de surveillance de la nouvelle entité PSA Peugeot Citroën, même si les deux marques gardent leur indépendance. Par la suite, Simca et Talbot seront également absorbées. En 1998, « Pierre II », qui siégeait depuis 1972 au directoire de l’entreprise, remplace son cousin Roland à la présidence du conseil de surveillance ainsi que de la holding familiale FFP, dont il s’appliquera à renforcer l’influence.

À la mort de Pierre II, en 2002, s’engage une âpre « guerre de succession ». Son fils Thierry Peugeot, finalement élu, placera son « règne » sous le triptyque « Croissance, rentabilité et indépendance ». Dix ans plus tard, le groupe enregistre une perte de cinq milliards d’euros. Ses titres ont dévissé de 90 %, ont quitté l’indice CAC 40 et ont été relégués dans la catégorie des « obligations pourries  ». Les ventes mondiales d’automobiles Peugeot baissent de 7,7 % en 2012 et de près de 5 % en 2013. Pour éviter la faillite, la famille Peugeot va devoir abandonner sa prééminence. En 2014, l’industriel chinois Dongfeng, déjà partenaire de PSA, et l’État français entrent au capital à hauteur de 14 % chacun. Invoquant un « acte de patriotisme industriel », le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, entend ainsi « marquer la volonté d’un ancrage français » de cette société deux fois centenaire qui emploie 91 000 salariés dans l’Hexagone et plus de 200 000 à travers
le monde.

Peugeot était la dernière société de cette envergure en France à garder es descendants de ses lointains fondateurs dans son organigramme de direction. En 2020, la fusion de PSA avec Fiat Chrysler, sous le nom de Stellantis, fait de l’ensemble le quatrième groupe mondial automobile. Mais la famille Peugeot ne détient plus que 7 % de son capital. Il n’empêche que le « clan Peugeot », composé d’environ trois cents personnes, constituait encore en 2021 la 18e fortune de France avec un patrimoine de 6,2 milliards d’euros… presque le double de l’année précédente.

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Frédéric de Natal

Rédacteur en chef du site revuedynastie.fr. Ancien journaliste du magazine Point de vue–Histoire et bien d’autres magazines, conférencier, Frédéric de Natal est un spécialiste des dynasties et des monarchies dans le monde.

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