C’est devenu une série culte depuis sa sortie en 2010. Réalisé par Julian Fellowes, on suit les tribulations d’une famille aristocratique britannique du début du XXe siècle, les Crawley, titrés comtes de Grantham, ainsi que les vicissitudes de leurs domestiques à Downton Abbey. La sortie du dernier opus de cette saga, sur grand écran, en avril dernier, a relancé la Downton Abbey mania pour le plus plus grand bonheur des fans de la série, passionnés de la monarchie britannique. La Revue Dynastie décrypte les codes de cette série, miroir actuel de notre société.
Lors de la diffusion du premier épisode sur les écrans en 2010, les téléspectateurs ont été immédiatement plongés dans un monde victorien, celui des Crawley, comtes de Grantham, qui résident au château de Highclere. Autour d’eux, une multitude de domestiques qui s’affairent à leurs tâches respectives selon un rang hiérarchique bien établi au sein de cette demeure de style néo-jacobéen. Deux univers parallèles qui se côtoient, se croisent sans se connaître. Avec le décès du principal héritier de cette lignée lors du naufrage du Titanic en avril 1912, les Crawley se retrouvent face à un dilemme. Alors que les règles de succession par primogéniture masculine s’imposent, ils n’ont que des filles. Une fois le décor planté, on suit alors les intrigues amoureuses des maîtres de maison comme de ceux qui les servent, les drames et les conspirations qui se nouent, les problèmes financiers d’une famille qui doit continuer d’assurer son train de vie en dépit des affres qu’ils doivent affronter. Avec en fond de toile, le déclenchement de la Première Guerre mondiale et les transformations sociales que le conflit va amener au Royaume-Uni.
L’expression d’une identité nationale
Avec Downton Abbey, est né un concept qui a permis au genre cinématographique historico-fictif de s’implanter durablement comme un succès planétaire. Pour la première fois dans une série, le monde d’en haut – les aristocrates des étages nobles – est autant représenté que le monde d’en bas – les domestiques des offices. Ce qui lui donne une importance toute particulière et qui permet de découvrir la relation étroite entre une famille aristocratique et ses domestiques. Mais en dehors de cette idée innovante, Downton Abbey est bien l’expression d’une identité nationale affirmée. La classe et le flegme britannique par excellence sont portés en exergue. Le réalisateur et producteur Julian Fellowes nous fait percevoir un style de vie so british centré sur la monarchie parlementaire et ses traditions sous le règne du roi George V. Les gloires et les ors d’une Angleterre passée sont parfaitement mis en scène pour laisser s’exprimer une forme de nostalgie très prisée par les fans de l’institution royale britannique. Le patrimoine anglais n’en est pas moins oublié. Les grandes demeures d’Angleterre, du Pays de Galles et d’Ecosse constituent un cadre rêvé pour une série qui nous fait découvrir les beautés architecturales du Royaume-Uni et même de la Rivera française.
Une fiction historique de qualité
Downton Abbey donne la part belle à des valeurs originales tout en mettant en avant l’histoire et la culture britannique. Une vision d’antan magnifiée par une esthétique exquise qui célèbre un héritage commun. L’importance offerte à la qualité des décors, des costumes et des dialogues (ponctués par les punch lines de Lady Violet Crawley, la comtesse douairière de Grantham, magistralement jouée par Maggie Smith, actrice bien connue des fans d’Harry Potter) ne cesse de nous étonner et d’éblouir. Une série qui n’édulcore pourtant aucune réalité de l’époque. En suivant la narration, nous sommes emportés dans toutes les tourmentes et les révolutions qui éclatent en ce début de XXe siècle. Face à l’arrivée de nouvelles technologies comme l’électricité, le téléphone ou encore le réfrigérateur, le Royaume-Uni des années 1910-1920 doit aussi affronter celle d’un gouvernement travailliste et son lot de réformes et de contestations. Un changement auquel n’échappe pas nos protagonistes, domestiques partagés entre un principe de fidélité et leur envie d’abandonner leur état de servitude pour exercer un nouveau métier, comme aristocrates contraints de s’adapter pour conserver leur rang.
Une série qui s’inscrit dans les enjeux de notre siècle
Alors que notre société ne cesse de mettre les grandes agglomérations urbaines au centre de ses préoccupations, la série se place comme un total contraire. Le château de Highclere est situé dans la campagne du Hampshire (bien que la série précise que ce soit plutôt le Yorkshire). C’est dans ce cadre champêtre et bucolique, à travers une vision conservatrice, émancipatrice et aseptisée, qu’évoluent chacun des personnages. Entre les murs du domaine, ses habitants semblent protégés des tentations coupables des grandes villes. Une véritable marque de fabrique pour Downton Abbey qui diffère des autres séries à succès du moment où la violence, le sexe et la noirceur des lieux dictent les intrigues. De nombreux sujets politiques et sociaux sont également abordés tels que l’homosexualité, la place des femmes dans la société (en 2013, le parlement a été vainement appelé à légiférer sur la « Downton Abbey Law », qui aurait permis aux femmes aînées d’hériter des titres héréditaires et des pairies si elle n’avait pas échoué) ou bien encore la nécessité de conserver la monarchie. Des débats qui sont encore actuels et dans lesquels tous les téléspectateurs peuvent se retrouver aujourd’hui. Une série qui semble être aussi l’expression d’une peur, celle d’un monde qui disparaît sous nos yeux et que chaque génération qui se succède, idéalise durant les premières décennies de sa vie avant d’en devenir les nostalgiques assumés. Downton Abbey, ses six saisons et ses deux films, restent indubitablement le miroir de notre société d’aujourd’hui à bien des égards.
Kévin Guillot