A chaque élection, le même credo. Convaincre les abstentionnistes de plus en plus nombreux à se déplacer aux urnes afin de faire leur devoir de citoyen, avec en fond de toile, le fameux : « mais enfin, des gens sont morts pour ça… Donc il faut voter ! ». L’obtention du droit de vote a été un processus long et complexe au cours de notre Histoire. Loin des caricatures manichéennes habituelles, la Revue Dynastie revient sur ce chapitre de notre récit national teinté de nuances diverses et qui n’a pas commencé en 1789 comme on aime encore à nous le marteler.
Tout au long de leur histoire, les Français ont voté sans être égaux pour autant. On élisait le roi de France avant que la charge ne devienne héréditaire, on élisait les maîtres de corporations, on élisait les représentants des États généraux du royaume…, des suffrages exclusivement réservés à des élites masculines et instruites. Des votes très complexes qui ne permettaient pas à la population de choisir légitimement ceux qu’elle estimait le plus apte à parler pour elle comme le démontre assez aisément l’élection des députés appelés à siéger aux État généraux. Créés en 1312 afin de donner un semblant de légitimité aux décisions du roi, seuls les membres du clergé, de la noblesse et de la bourgeoisie étaient éligibles à y siéger. Véritable assemblée nationale avant l’heure, il est même stipulé dans son acte fondateur que les « peuples de France ne sont pas tributaires mais libres et qu’aucune contribution ne peut être exigée d’eux sans leur consentement ». Les Capétiens avaient introduit la notion de démocratie mais réservée aux seuls corps puissants de sa monarchie. Il faut attendre les prémices de la Révolution française pour que le Tiers-État soit constitué afin de compléter cette vaste machine parlementaire.
On vote sous la monarchie de droit de divin
L’élection des députés de chaque province se faisait au sein d’assemblées primaires provinciales. Chaque sujet du roi était appelé à exprimer son choix, si tant est que cela l’intéresse. Autant dire qu’il n’y avait pas foule dans les campagnes dans ce qui restait un vote exclusif. D’autant que ces assemblées étaient elles-mêmes séparées en trois collèges correspondant aux trois ordres compliquant un peu plus ce vote. Les députés des États généraux étaient investis d’un mandat impératif et non représentatif. Tout est dans la nuance. Ils étaient chargés d’apporter les doléances des sujets du roi mais ne pouvaient les défendre en leur nom. La convocation des États généraux en mai 1789, contrainte et forcée, par Louis XVI afin de répondre à la banqueroute de la monarchie va être le premier acte d’une révolution sans précédent. Les députés du Tiers sont majoritaires et réclament d’obtenir le vote par tête, c’est-à-dire la légitimité par la proportionnalité, refusé par la noblesse qui s’y oppose fermement. La confrontation est telle que le Tiers-État décide de se former en une Assemblée nationale constituante en juin suivant, appelant au transfert de souveraineté et de sacralité, du roi à la Nation. Malgré ce que l’on croit, il ne s’agit d’aucun coup de force mais le fruit d’une longue réflexion qui trouve son origine dans une proposition du futur Charles X. Dans un mémoire, le comte d’Artois, frère de Louis XVI, avait proposé au monarque « que les états généraux devinssent permanents et ne se séparassent plus, formant ainsi une sorte d’Assemblée nationale, mais où les trois ordres resteraient toutefois séparés et la monarchie de droit divin non remise en question ».
Le vote égalitaire sous la Révolution française, une illusion
L’avènement de la monarchie constitutionnelle de 1791 ne modifie pas le vote au suffrage censitaire déjà appliqué, si ce n’est qu’il devient indirect. Si la souveraineté appartient à la Nation, les députés des trois ordres ont restrient le droit de vote. Seuls les hommes de plus de 25 ans payant un impôt direct (cens) égal à la valeur de trois journées de travail ont ce droit. On parle de citoyens actifs qui peuvent élire des électeurs aux revenus plus élèves. Ces derniers seront chargés d’élire les représentants de la nation. Rien d’égalitaire en soi et la proclamation de la République (1792) ne va rien changer. On vote pour le suffrage universel mais en prenant soin d’interdire le vote aux femmes et on abaisse l’âge de vote à 21 ans. C’est aux Montagnards que l’on doit ce changement qui introduit le référendum populaire et même le droit de vote aux étrangers sous différents critères. Maximilien de Robespierre a réalisé le rêve de démocratie directe si cher à Rousseau. Une réforme pourtant peu appliquée avec le régime de Terreur qui s’installe rapidement et qui guillotine plus vite la tête d’un électeur potentiel que celle de celui qui est appelé à siéger à l’Assemblée pour voter des lois. C’est d’ailleurs à cette époque que naissent les notions de gauche, droite, extrême-gauche et extrême-droite appliquées aux partis en fonction de leur position dans l’hémicycle.
Vote censitaire et référendum, mamelles démocratiques de l’Empire
Le Directoire (1795-1799) va durcir les règles de vote. « Seuls les meilleurs et les plus instruits peuvent nous gouverner » déclare le comte Boissy d’Anglas. On maintient l’âge de vote mais il faut avoir résider au moins un an sur le territoire, être un homme et enregistré au registre civil, ce qui implique savoir lire et écrire. Un vote qui permet d’élire les électeurs du second degré (avoir 25 ans au moins) qui eux-mêmes pourront élire des députés (être âgé de 30 ans) au Conseil des Cinq-cents et des représentants au Conseil des Anciens (être âgé de 40 ans). La Révolution française qui a abolit les privilèges en a créé d’autres encore plus restrictifs pour les héritiers de ceux qui ont cru aux promesses d’un monde meilleur tant vanté par les jacobins. L’avènement du Consulat et du Premier empire ne rendra pas le système plus égalitaire. Le suffrage censitaire est rétabli par Napoléon Ier malgré le renforcement des droits des citoyens appelés à former des collèges électoraux et qui s’organisent à trois niveaux : canton, arrondissement, département. Dans la réalité, le vote est contrôlé et excepté l’élection des juges de paix, « les collèges électoraux n’ont que le droit de proposer des candidats, le choix restant à la discrétion de » Napoléon. Le référendum populaire (qui va consacrer l’empire en 1804) est bien appliqué mais comme chaque citoyen doit donner son nom et apposés signature sur les documents. Guère démocratique en soi.
Le vote de la Restauration au Second empire
Jamais appliqué, c’est pourtant le suffrage universel que souhaite Louis XVIII lorsqu’il monte sur le trône en 1814/1815. Les rédacteurs de la Charte constitutionnelle (qui a inspiré celle de notre cinquième République) refusent cette proposition et retiennent celle qui a fait ses preuves, la censitaire. Le droit de vote devient encore plus restrictif que ses prédécesseurs. Avoir plus de 40 ans pour être éligible (afin d’avoir l’assurance d’un certain conservatisme et dix de moins pour être électeur) et de payer un impôt d’au moins 1000 francs. Ce qui exclut directement les classes prolétaires de tout accès à la chambre. Concrètement seuls 1% des Français ont le droit de vote sous la Restauration. La monarchie de Juillet ne changera pas les règles, préférant prévenir toute introduction du républicanisme en son sein afin de privilégier la bourgeoisie qui a permis la montée sur le trône des Orléans. Cependant, le roi Louis-Philippe décide d’élargir le droit de vote : l’âge minimum pour voter est abaissé de 30 à 25 ans et celui pour être élu de 40 à 30 ans. La loi du double vote est supprimée. Il faut attendre la Seconde République (1848) pour que le suffrage universel soit enfin appliqué pour ne plus être remis en cause y compris sous le Second empire qui se veut social et libéral. Sous la monarchie impériale, on vote pour élire son député quel que soit sa condition. Même si les élections restent contrôlées, Napoléon III entend conserver ce lien son pouvoir et la nation. Il utilisera le plébiscite pour faire approuver son régime par deux fois, dont le dernier sera organisé en mai 1870 peu avant la chute de l’empire. Un vrai succès balayé par un coup d’état organisé par les républicains qui imposent un régime dont les Français ne veulent pas dès le début de son existence et dont les fondations reposent sur le sang des communards (maintien du suffrage universel masculin, aux conditions encore réduites pour les militaires en activité et que les concernés perdent en 1872).
Le droit de vote au suffrage universel obtenu sans une goutte de sang
Il faut encore attendre 1944 pour que les femmes obtiennent le droit de vote. Initialement prévu par une loi de Vichy votée trois ans auparavant, elle n’a jamais pu être mise en application. La France est alors considérablement en retard sur cette question par rapport à ses voisins. Pour voter, les hommes doivent impérativement avoir fait leur service militaire et on rétablit aux officier de la « Grande muette », le droit de voter dans ce qui reste encore un suffrage indirect. Encore qu’il reste inégalitaire dans les colonies. C’est le général Charles de Gaulle qui va introduire ce que l’on connaît aujourd’hui, le droit de vote au suffrage direct (1962) permettant à chacun de s’exprimer librement selon ses convictions ou s’en abstenir. En dépit de fortes contestations mais qui sera validée populairement par référendum (62% de oui contre 37% de non). Difficile donc d’appliquer la fameuse maxime criée sur tous les toits : « mais enfin, des gens sont morts pour ça… Donc il faut voter ! » et qui se révèle très erronée. Toute vérité n’étant pas bonne à dire, la Revue Dynastie s’est permise historiquement de la recontextualiser.
Frederic de Natal