En 2001, le député socialiste Mr. Jean-Louis Idiart interroge à l’Assemblée nationale le ministre des Affaires européennes Hubert Védrine sur la possibilité d’acquisition de la double nationalité française et écossaise. La réponse du ministre est sans appels et rappelle à l’élu que les accords historiques qu’il y eut à ce sujet sont désormais caducs depuis à l’union de l’Écosse à l’Angleterre au cours du XVIIIe siècle. Si cette occasion manquée de vouloir créer, ou recréer, des liens singuliers entre la France et l’Écosse peut paraître aujourd’hui tout à fait surprenante, elle ne l’est moins au regard de l’histoire des deux pays qui bâtirent durant sept siècles de relations amicales l’une des plus anciennes alliances du monde, si ce n’est la plus ancienne, que l’on appelle « The Auld Alliance » (Vieille Alliance). Apparaît alors cette question de la complicité particulière entretenue entre l’Écosse et la France. D’où vient-elle ? Car de prime abord, tout sépare ces deux pays : les goûts, les mœurs, la religion et même le climat.

Jeanne d’Arc et sa garde écossaise. Peinture John Duncan

La Auld Alliance sous le Moyen-âge

Pour comprendre comment l’Écosse et la France ont réussi à passer outre leurs quelques dissemblances, il faut chercher ce qui les rassemble. C’est le chroniqueur Jean Chartier qui le premier écrit à ce propos en expliquant que les deux royaumes ont partagé la vertu divine et méritoire de s’opposer aux Anglais. En d’autres termes, c’est leur passé commun qui rapproche encore aujourd’hui les deux peuples. Et notamment, comme l’a formulé Aenas Silvius Piccolomini, futur pape Pie II, la nécessité séculaire de trouver « un remède aux Anglais ».

Avant même la signature du premier traité qui officialise l’alliance, les Écossais recherchent l’appui français pour préserver l’intégrité de leur royaume menacé par l’arrivée des Normands. Lorsque Guillaume le Conquérant réussit à vaincre les Scots en 1072, il initie une longue période conflictuelle avec l’Écosse qui se tourne alors vers le royaume de France en 1165 pour échapper à la tutelle féodale anglaise des Plantagenêt. Pourtant, il faut attendre 1295 pour que l’aide militaire soit reconnue officiellement avec la signature d’un traité entre les rois John Balliol et Philippe le Bel. Mais c’est un siècle et demi plus tard que le rapprochement entre les deux royaumes s’ancre profondément en raison de la guerre de Cent Ans et de la précarité dans laquelle se trouver Charles VII. À partir de 1419 et jusqu’en 1424, la présence écossaise en France devient tutélaire et contribue à légitimer celui qui n’est encore que le Dauphin en lui donnant la force militaire nécessaire pour la reconquête de son royaume. Il obtient dans la foulée l’appui politique de Jacques Ier qui promet en 1428 de marier sa fille, Marguerite d’Écosse, au futur Louis XI. La victoire de Baugé en 1421, remportée contre les Anglais par les contingents d’outre-Manche fraichement débarqués, ragaillardit les chevaliers français démoralisés face à l’armée Anglaise dont Azincourt avait entériné la réputation d’invincibilité, six ans auparavant. Loin d’être de simples mercenaires, les Écossais forment alors une véritable administration de guerre et reprennent en main l’armée dauphinoise puis l’armée royale. Pour preuve, après l’assassinat du connétable Bernard VII d’Armagnac en juin 1418, Charles VII n’a pas d’autres choix que de confier la charge de connétable de France au comte John Stewart de Buchan, francisé par Jean Chartier en comte de Beauchamp, qui hérite de cette fonction après la victoire de ses compatriotes en 1421.

Le roi François II et la reine Marie Stuart

La Auld alliance de la Renaissance au XXème siècle

Cette présence militaire écossaise sera pérenne. Une partie significative des soldats venus en 1419 restent tout au long du processus de reconquête du royaume et, pour certains, ils deviennent capitaines d’ordonnances participant ainsi à l’ébauche de ce qui fut la première armée permanente de France. Rappelons également, que Charles VII créé dans les années 1420 une compagnie de gardes écossaise, qui fut plus tard incorporée dans celle du souverain de France et qui aidera Jeanne d’Arc à lever le siège d’Orléans en 1429.  Ce n’est qu’en 1830 qu’elle sera dissoute en même temps que le reste des unités de la maison militaire du roi.  Une alliance décisive et qui aboutira un siècle plus tard au mariage entre Marie Stuart et François II de Valois, plaçant l’Écosse sous la protection de la France. Parmi les négociations un accord de réciprocité de nationalité (confirmé sous les règnes d’Henri II et de Louis XIV). Le décès prématuré du jeune roi de France maintiendra encore quelques quelques années cette alliance tacite contre l’Angleterre avant qu’elle ne prenne fin en 1560 avec à la mort de la régente Marie de Guise. Les Grands d’ Écosse, passés dans le camps de la Réforme, enverra alors quelques régiments aider les huguenots français. Pour autant, on ne retrouve pas textuellement dans le traité d’Édimbourg de 1560 la résiliation de l’Auld alliance.

Renouvellement de l’Auld Alliance par le traité d’Édimbourg du 15 décembre 1543

De fait, l’alliance survit et la signature de l’acte d’Union en 1707 n’y change rien. C’est d’ailleurs encore en France que les Jacobites écossais, partisans des rois Stuart viendront chercher de l’aide à Versailles, amenant avec eux les rites des la Franc-maçonnerie qui feront fureur à la cour du roi. Le mythe d’une alliance tenace entre les deux états va longuement perdurer.  Lorsque la France va s’atteler à régler ses rivalités avec Albion, elle refuse l’abrogation de l’Auld Alliance qu’impliquait la signature de l’Entente Cordiale avec la Grande Bretagne (1904).  Il faudra attendre le vote du « Statute Law Revision (Scotland) Act » pour qu’en août 1906 Londres décidé d’abroger la loi de réciprocité des nationalités. Si l’alliance séculaire dépassa l’aide militaire, elle permit l’élaboration de partenariats économiques privilégiés qui durèrent jusqu’au XVIIIe siècle. Les Écossais bénéficiant de réductions sur les taxes douanières dans les ports français et ils étaient privilégiés pour le commerce de certaines marchandises comme le charbon ou le cuir. Quant aux Français, ils étaient préférés pour l’exportation du vin, du sel et des produits luxueuux et c’est autant de communautés écossaises qui s’implanteront tout au long du XVIIe siècle à Bordeaux, à La Rochelle et à Paris.

Que reste t-il de la Auld Alliance aujourd’hui ? 

Scouts français et anglais durant l’Entente cordiale

Enfin, aujourd’hui encore le souvenir de l’Auld Alliance et de la proximité franco-écossaise n’a pas totalement disparu. Le général de Gaulle ne s’y trompe pas quand il rappelle aux Écossais, lors de son discours à Édimbourg en juin 1942, l’existence de la plus « Vieille Alliance » du monde, qu’il considère, de fait, comme toujours efficiente. Car si l’interrogation de Mr. Jean-Louis Idiart en témoigne, plus récemment nous avons eu la création d’un trophée de l’Auld Alliance en 2018 pour récompenser l’équipe vainqueur du match France-Ecosse lors du Tournoi des Six Nations. Une démarche qui a servi à commémorer les morts écossais et français tombés lors de la Première Guerre mondiale et qui demeure le symbole d’une histoire plus intime entre nos deux pays.

Encore faut-il évoquer ce dernier symbole qui résume à lui tout seul l’histoire de la Auld Alliance, l’élection du franco-britannique Christian Allard, natif de Dijon et qui a été élu de 2013 à 2020, sous les couleurs du parti indépendantiste SNP, député au parlement écossais et européen.

Léopold Buirette