C’est l’emblème par excellence de la monarchie française. D’origine mystique, la fleur de Lys a habillé tous les blasons des différentes branches de la Maison Capétienne jusqu’à la chute de la royauté en 1848. Aujourd’hui reléguée dans les pages de l’Histoire de France, elle est encore utilisée par des mouvements soutenant le retour du roi ou sur les blasons des régions. Elle est également le symbole de la présence française au Canada, dans la province du Québec.
Dans son Histoire de France, Jacques Bainville s’étonne du choix du lys pour représenter les Armes de France. Quoi de plus surprenant, il est vrai, que de voir un royaume choisir une modeste fleur pour emblème quand la plupart de ses voisins, les maisons royales ou impériales d’Europe, choisissent la férocité des aigles, la majesté des lions ou la ruse des léopards. Pour les historiens, les Capétiens ont choisi la fleur de Lys afin d’honorer et incarner la pureté, la vertu et la sainteté, c’est-à-dire : « l’union avec Dieu ». C’est pourquoi Bainville prend pour exemple Saint-Louis, l’un des plus pieux monarques de France. Mais lorsque le fils de Louis VIII et Blanche de Castille monte sur le trône (1226), cela fait déjà trois générations que le Lys a été adopté par les rois de France. Et c’est Louis VII qui, le premier, choisit de charger l’azur de son écu par cette fleur royale. S’ensuivent alors sept siècles durant lesquels le Lys va briller sur la bannière des Capétiens et sur celles de leurs héritiers. Pourtant, si l’on s’accorde sur le règne de Louis VII (1137 à 1180) pour définir le moment où le Lys devient véritablement l’emblème du royaume, l’origine royale de la fleur est quant à elle plus ancienne.
La fleur de Lys, derrière le symbole, le mythe christique
D’abord, il y a la légende. Ou plutôt les légendes. Les mythes païens et le christianisme confèrent à la fleur de Lys une aura sacrée. L’iris comme le lys étaient des attributs antiques utilisés pour représenter la fécondité, la fertilité, mais également la richesse ou encore la royauté et la grâce. Et ce, de l’Égypte jusqu’à l’Extrême-Orient, en passant par les mondes gaulois, grecs et romains. Durant le haut Moyen Âge, le Lys devient un double symbole chrétien et royal, notamment chez les Carolingiens. Dans la Bible, le Christ lui-même associe la fleur à Salomon dans une parabole (Mt, 6, 28, 34). Le Cantique des Cantiques en fait également un symbole de pureté. En outre, la fleur est également le signe de la virginité mariale et de l’Annonciation. Ainsi, on la retrouve avant l’an mil dans plusieurs villes ayant la Vierge Marie pour sainte patronne. L’utilisation du Lys comme attribut marial demeure même une constante artistique jusqu’au XIXe.
Un mystère qui divise les historiens
Dès lors, distinguée comme plante royale et reine des fleurs, plusieurs mythes ont caractérisé avec le lys, l’association faite par Clovis entre le royaume franc et le christianisme. L’un évoque un saint ermite envoyé par Dieu pour transmettre le lys à Clovis après son baptême. Un autre parle d’un ange apportant des fleurs à Charlemagne. D’autres remontent à Saint-Denis et prétendent que le premier évêque de Paris aurait transmis l’emblème aux chefs Francs lorsqu’ils l’ont converti les Parisii au IIIe siècle. Il y a même une comparaison faite entre l’Annonciation à la Vierge Marie et la remise à Clovis des fleurs de Lys par l’intermédiaire de trois anges. Certains mythes changent le caractère divin du lys pour lui conférer une qualité martiale. La fleur se référait alors à la bataille de Vouillé remportée contre les Wisigoths en 507. Laquelle prit part en bordure d’une rivière dont les rives étaient parsemées d’iris jaunes, « lisbloem » en francique, « bloem » signifiant fleur, nous avons là l’une des origines étymologiques de la fleur de lis. Quant à la signification graphique du Lys royal, on a prétendu que le symbole viendrait des déformations successives faites par les peintres qui ont reproduit un emblème royal encore plus ancien : les cent abeilles d’or retrouvées dans le tombeau de Childéric Ier à Tournai. Néanmoins, les historiens n’arrivent pas à s’accorder sur ce que représentent réellement les symboles que reprendra ,un jour, à son compte Napoléon Ier : un iris ? Un lotus ? Une abeille ? Véritablement un lys ? Même le trident, la flèche, la colombe, le crapaud et le soleil ont constitué d’autres hypothèses, bien que le plus probable reste que le Lys français soit une reproduction stylisée de l’iris ou du Lys lui-même.
Emblème royal des Capétiens
Mais pour l’Histoire, la véracité de ces mythes importe peu, parce qu’ils furent surtout avancés avec une arrière-pensée politique qui devait servir avant tout à rappeler et à légitimer la continuité dynastique des rois de France. De fait, si Charles le Chauve utilisa dès le IXe siècle un sceptre orné de lys tout comme certains prétendent qu’Hugues Capet portait déjà une couronne décorée de la même fleur, c’est à partir du XIIe siècle, que le Lys devient véritablement le fleuron de la royauté française avec le règne Louis VII puis avec celui de Philippe Auguste durant lesquels la fleur dorée pare les attributs régaliens de la couronne sous l’influence de Saint-Bernard et de ses sermons sur le Cantique des Cantiques dans lequel il associe le Lys au Christ. C’est le cas notamment du manteau cosmique des rois de France hérité du grand-prêtre d’Israël. Au cours des siècles qui se succèdent, le Lys accompagne également le roi sur le champ de bataille. Louis VII l’arbore durant la deuxième croisade en même temps que le terme de « flors de lis » est mentionné pour la première fois par Chrétien de Troyes dans Érec et Énide vers 1160. Quant à Philippe Auguste, il emporte lui aussi le glorieux symbole jusqu’en Orient durant la troisième croisade. L’art reprend le symbole et associe la figure du roi avec la fleur devenue désormais son emblème. Vers 1220, on retrouve ainsi les Lys sur un vitrail de Chartres représentant Louis VIII à cheval.
Le Lys, une histoire de France qui perdure au Canada
Au XIVe siècle, Charles V réduit à trois le nombre de fleurs dorées sur le blason royal en l’honneur de La Sainte Trinité. C’est aussi le même Charles V qui constitue une véritable liturgie royale avec d’abondantes commandes artistiques fleurdelisées pour asseoir sa légitimité face aux prétentions anglaises et marquer la continuité dynastique entre les Capétiens et les Valois. D’autant qu’au début du XVe siècle, les Anglais eux-mêmes récupèrent à leur compte la comparaison faite entre l’Annonciation et le dépôt des fleurs de Lys à Clovis pour justifier leurs propres prétentions sur la partie du royaume qu’ils occupaient. Les familles aristocrates reprennent le Lys pour leurs propres armoiries tandis que la fleur imprègne le quotidien de tous les sujets du roi de France grâce à la multitude de ses représentations : architecturales, numismatiques, artistiques, funéraires et guerrières (la fleur dorée orna les bannières de plusieurs unités modernes, notamment les plus prestigieuses comme celle des Gardes Françaises). Le 19 juin 1790, un décret de l’Assemblée nationale va mettre fin à l’utilisation de l’héraldique française, où on s’empresse de punir ceux qui arborent encore des armes aux origines féodales et le lys. Avec la Révolution française, les Armes de France n’y échappent pas. Durant son exil, Louis XVIII va continuer à arborer la fleur de Lys. La Restauration n’en fera pourtant pas un emblème officiel pas plus que Louis-Philippe après être monté sur le trône en 1830. Les Lys (dont la majuscule sert de synonyme pour désigner la France) furent portés publiquement en 1824 par le grand chambellan de France aux obsèques du roi Louis XVIII. Pour la dernière fois.
Que reste-t-il aujourd’hui de ce symbole ? Souvent utilisé par des mouvements souhaitant le retour de la monarchie, arboré parfois avec outrance par des membres de pseudo ordres de chevalerie, encore présent sur des blason ou drapeaux régionaux, y compris dans la Florence des Médicis ou encore en Bosnie, c’est outre-Atlantique que la fleur de lys est encore la plus utilisée comme emblème national, marquant encore les territoires où elle porta ses armes. En 1948, le drapeau fleurdelisé est adopté par le gouvernement québécois. Il est choisi dans un premier temps par les nationalistes francophones et francophiles pour rappeler le courage et la résistance des héros français face à l’envahisseur britannique, depuis que Jacques Cartier avait déposé une croix fleurdelisée sur les rives du Saint-Laurent en 1534. Aujourd’hui, le drapeau renvoie davantage à un symbole collectif et fédérateur pour tous les Québécois, nationalistes ou non.
Léopold Buirette