Baptisée « Marche pour la paix Onipaʻa », quelques centaines de personnes ont manifesté ce lundi 17 janvier pour le rétablissement de la monarchie et l’indépendance de l’ile d’Hawaï. Sous une solide escorte et effectif réduit en raison de la pandémie de covid-19, ils se sont rassemblés devant la statue de la reine Liliʻuokalani qui fait face au Palais Iolani. C’est ici même qu’en janvier 1893, la souveraine hawaïenne a été la victime d’un coup d’état orchestré par les colons américains qui ont établi une république avant de rattacher cette île au reste des États-Unis.

« Le 17 janvier est important pour moi car beaucoup d’entre nous n’ont pas appris la vérité sur notre histoire. Elle a été délibérément cachée à ma génération et a causé notre perte d’identité ». La trentaine assumée, James Auld Kekina, se tient debout près de l’imposante statue de la reine Liliʻuokalani qui regarde pour l’éternité son ancien palais royal. C’est ici, à la même date, en 1893, la souveraine d’Hawaï a été la victime d’un putsch organisé par les planteurs et d’une partie du parlement qui s’opposaient à certaines de ses décisions (comme la régulation du commerce de l’opium). En dépit d’une résistance armée et d’une négociation diplomatique, où la Maison blanche va jouer un double-jeu cynique, la souveraine finira par s’avouer vaincue. Une république est proclamée en juillet 1894 avant que l’île ne soit annexée quatre ans plus tard et rattachée aux États-Unis par la suite.

Les hawaïens manifestent pour le retour de l’indépendance et de la monarchie @stardaviser

La reine Liliʻuokalani honorée par les souverainistes

C’est le mouvement Ka Lāhui Hawai’i qui a été à la manœuvre de cette manifestation autorisée mais réduite en raison de la pandémie de covid-19. Drapeau de l’ancienne monarchie en tête, une hawaïenne ressemblant à la reine Liliʻuokalani, drapée de noir en signe de deuil et un portrait de la souveraine entre ses bras ( décédée en 1917 à 79 ans) se voulait symbolique. « Nous ne devons jamais oublier et rester solidaire » a déclaré Mililani Trask , leader du mouvement à la chaine de télévision KITV dont la couverture semble avoir fait l’unanimité sur les réseaux sociaux monarchistes et indépendantistes hawaïens. « Nous souhaitons obtenir une vraie justice sur ce qui s’est passé à cette époque. C’était illégal. Nous ne sommes pas américains » a poursuivi Mililani Trask. Une cérémonie traditionnelle a suivi la manifestation et un hommage a été rendu à la reine Liliʻuokalani, brièvement enfermée dans son palais, accusée de haute trahison (1894-1896). Les organisateurs ont rappelé que ce rassemblement devait permettre aux hawaïens de « réclamer le retour de leurs droits ».  « Le message était clair ! Souveraineté et rendez nos terres » demandent les militants du mouvement.

 

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Une famille royale et des mouvements divisés

En 1959, Hawaï est devenue un état américain lors d’un référendum (93% de oui). C’est sous la présidence de Bill Clinton que les États-Unis ont finalement reconnu que le coup d’état avait été illégal sans pour autant prévoir de consultations sur la question de l’indépendance. Un sujet qui divise les habitants d ‘Hawaï, centre d’un épisode malheureux sous la Seconde guerre mondiale avec l’attaque de Pearl Harbor par les japonais et qui est devenu un enjeu touristique majeur avec le surf.  Une île popularisée par des séries comme « Hawaï, Police d’état, Magnum ou Hawaï 5.0 ». En 2014, lors d’un sondage publié par le Honolulu Star-Advertiser, 22% des hawaïens ne souhaitaient pas avoir plus de droits qu’ils en avaient actuellement, 31% que l’île demeure un état fédéral et 6% qu’elle prenne son indépendance. Le reste des sondés ne se prononçant pas. Loin de décourager les mouvements souverainistes qui ont rappelé lors de ce sondage que « le peuple hawaïen n’a jamais directement renoncé à ses prétentions à leur souveraineté inhérente en tant que peuple ou sur leurs terres nationales aux États-Unis, soit par le biais de leur monarchie, soit par un plébiscite ou un référendum ».

La reine Liliʻuokalani @Dynastie

Tous les mouvements ne sont d’ailleurs pas d’accords sur le devenir de l’île en cas d’indépendance. Si certains luttent pour le retour de la monarchie (Nou Ke Akua Ke Aupuni O Hawaiʻi, Ordre royal de Kamehameha, Hawaian Kingdom ou encore le Hawaian Kingdom Governement), d’autres souhaiteraient une république. Autant de divisions que la famille royale compte de branches qui revendiquent un trône hypothétique. Figure d’Hawaï, La princesse Abigail Kinoiki Kekaulike Kawānanakoa (95 ans) est l’exemple vivant de ces deux cultures qui se sont historiquement affrontées. Ouvertement homosexuelle, son immense fortune a été l’objet de convoitises diverses. Ses héritiers ont accusé sa compagne de vouloir faire main basse sur le « pactole royal » et obtenu en 2020, après deux ans de bataille juridique, qu’elle soit mise sous tutelle. Depuis, elle se fait discrète et s’est éloignée de tout activisme monarchiste. Principal concurrent, le prince Quentin Kūhiō Kawānanakoa (60 ans) est tout aussi silencieux. Il a été député entre 1996 et 1999 (démocrate), aperçu parfois lors de cérémonies traditionnelles. Ses deux fils, Kincaid et Rilay, semblent d’ailleurs encore plus éloignés de ce sujet ( à quelques exceptions près), partageant leur temps entre surf et amis comme l’indiquent leurs comptes Instagram. Reste la princesse Owana Kaʻōhelelani Mahealani-Rose Salazar (68 ans), elle aussi issue de cette histoire raciale tumultueuse. Descendante de Robert Wilcox (leader d’une rébellion pro monarchiste en 1895) et de la princesse Theresa Owana Kaʻōhelelani Laʻanui, elle est une militante active, reconnue et proche des maisons royales du Portugal et de France.

Aucun de ces prétendants n’a toutefois participé à cette marche organisée par le mouvement Ka Lāhui Hawai’i et largement couverte par les médias américains.

Frederic de Natal