Charles de Belgique (1903-1983), comte de Flandre et frère cadet du roi Léopold III, fut régent du Royaume de 1944 à 1950, à un moment décisif de l’histoire belge. Chargé d’assurer la continuité de l’État après la Seconde Guerre mondiale, il exerça ses fonctions avec réserve et sens du devoir, en marge des passions suscitées par la question royale.
Dans la grande fresque du XXᵉ siècle belge, où les éclats politiques et les tensions dynastiques se mêlent aux bouleversements internationaux, une figure demeure singulière par sa sobriété, sa réserve et sa gravité : Charles de Belgique (1903-1983), comte de Flandre, frère cadet du roi Léopold III et régent du Royaume de 1944 à 1950.
Longtemps éclipsé par les débats passionnés autour de la « question royale », il fut pourtant, durant une période charnière, l’homme qui assura la continuité de l’État, la stabilité des institutions et la transition vers la Belgique d’après-guerre. Sa vie, marquée par le devoir plus que par l’ambition, trace le portrait d’un prince qui n’aspirait pas à régner mais qui accepta, par responsabilité, de porter une couronne qu’il ne porta jamais officiellement.

Une enfance entre rigueur et ouverture au monde
Né le 10 octobre 1903 au château de Stuyvenberg, Charles Théodore Henri Antoine Meinrad de Saxe-Cobourg et Gotha grandit dans une atmosphère où la tradition monarchique côtoie les exigences d’une époque moderne en mutation. Deuxième fils du roi Albert Ier (1875-1934) et de la reine Élisabeth (1876-1965), née princesse en Bavière, il reçoit une éducation soignée, nourrie à la fois de discipline militaire, et d’une sensibilité artistique héritée de sa mère, figure bien connue du mécénat et de la vie culturelle belge.
Contrairement à son frère aîné Léopold, destiné naturellement au trône, Charles se voit offrir une formation plus polyvalente, moins strictement orientée vers la représentation royale. Très tôt, il se passionne pour la mer, la navigation et les activités sportives ; traits qui, plus tard, contribueront à son image de prince volontaire et pragmatique. On relève également chez lui une curiosité intellectuelle marquée, en particulier pour les sciences et la technique — domaines qui, après son retrait de la vie publique, nourriront sa carrière d’artiste.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Charles n’a que onze ans. Trop jeune pour être engagé, il est néanmoins profondément marqué par les événements : l’engagement exemplaire de son père au front, l’occupation du pays, la détresse de la population. Ces années déterminent ses convictions : le service public doit être guidé par la dignité, la retenue et la fidélité au pays plutôt qu’à quelque doctrine ou influence extérieure. On évoque même son nom pour occuper le trône de Grèce (1917) mais le roi Albert Ier refuse de le laisser partir dans un pays en proie à de profonds troubles politiques.
Dans l’entre-deux-guerres, il poursuit une carrière militaire, atteint le grade de lieutenant général et se distingue par sa compétence technique et son sens de la discipline. Bien que la majeure partie de ses activités reste discrète, il jouit dans l’armée d’une réputation de sérieux et d’efficacité, loin des fastes officiels auxquels il participe quand le devoir princier l’exige.

La régence : un devoir plus qu’un destin
La période la plus importante de sa vie commence en 1944, lorsque la Belgique, encore meurtrie par l’occupation allemande, se trouve plongée dans une crise institutionnelle profonde. Le prince n’a d’ailleurs pas démérité aux premiers jours du conflit. Il a visite des postes de commandement, tenté de faire entendre sa voix qui s’oppose à celle de son frère alors que celui-ci a pris la décision de capituler en 1940.
Confiné au Palais de Laeken sous bonne garde des soldats allemands, il fait face avec un certain courage à l’adversité. La marine marchande a réussi à échapper aux Nazis. La colonie du Congo belge offre aux Alliés un pied en Afrique, un continent sous l’œil de Berlin et des appétits de Londres. Léopold III et son frère se coordonnent pour que leurs colonies africaine soient regardées comme un renfort et non pas comme un trésor de guerre. Avec la fin du conflit qui se profile, Léopold III est évacué en Allemagne, puis en Autriche dans un lieu inconnu (il ne sera libéré qu’en mai 1945 par les Américains). C’est dans ce contexte brûlant que le Parlement nomme Charles régent du Royaume de Belgique le 20 septembre 1944. À quarante et un ans, il accepte une charge lourde, dont il mesure parfaitement les enjeux : préserver l’unité nationale tout en laissant aux institutions la liberté de résoudre la question royale. La régence n’était pas pour lui un tremplin, ni même un rôle recherché. Elle s’imposait comme un sacrifice nécessaire.
Durant ses six années de régence, Charles se montre méthodique, réservé, et particulièrement respectueux des prérogatives parlementaires. Il veille à rétablir l’ordre administratif et constitutionnel après les années de guerre, soutient la reconstruction économique, signe les premières mesures de la sécurité sociale belge et valide les grandes réformes institutionnelles de l’immédiat après-guerre, dont la participation active de la Belgique aux structures internationales émergentes (ONU, Benelux, futur Conseil de l’Europe).
Sa neutralité politique, parfois perçue comme froideur, est en réalité sa force : il comprend que la moindre prise de position visible enflammerait encore davantage les tensions. En cela, il va incarner la figure d’un arbitre silencieux, d’un garant scrupuleux du fonctionnement démocratique.

L’ombre de la question royale, l’homme derrière le prince
Aucune biographie de Charles ne peut faire l’économie de cet épisode. La question du retour de Léopold III (1945-1951), sujet hautement inflammable dans une Belgique encore fracturée, domine toute la régence. Le royaume est même au bord de la guerre civile. On reproche au monarque son comportement ambigu lors du conflit,. Les partis politiques s’écharpent, des grèves sont déclenchées et même son remariage avec Lilian Baels déclenche des passions.
Charles n’intervient jamais directement dans le débat ; il signe ce que le gouvernement présente et se garde de toute interférence. Ce que lui reproche Léopold III qui s’irrite régulièrement de ce comportement et qui finit par le soupçonner de vouloir prendre sa place (encore en 1982, il lui reprochera cette régence lors de l’envoi d’une lettre cinglante). Pourtant, son rôle est crucial : c’est lui qui maintient la légitimité du pouvoir, assure la continuité constitutionnelle et empêche la crise de tourner à l’effondrement des institutions.
Lorsque, après la consultation populaire de 1950 (58% des Belges ont voté pour son retour), Léopold III décide finalement d’abdiquer en faveur de son fils Baudouin, (1951), la régence prend fin. Charles se retire alors sans éclat, fidèle à cette discrétion qui avait façonné son parcours public.
Délivré de ses responsabilités officielles, Charles se consacre à des passions longtemps mises entre parenthèses. On découvre alors un homme sensible, attiré par son environnement et surtout l’art pictural. Sous le pseudonyme de Karel van Vlaanderen, il peint des paysages marins, des scènes rurales et des compositions abstraites qui révèlent une recherche sincère de lumière, de mouvement et de liberté intérieure. Son œuvre, sans être révolutionnaire, témoigne d’une profondeur méditative et d’une volonté de s’écarter définitivement des tumultes politiques. Il mène dès lors une existence simple, presque retirée, entre Knokke et Ostende, loin des cérémonials royaux. Cette retraite volontaire contribue à son image de prince humble, détaché des ambitions liées au pouvoir.
De sa vie privée, on sait peu de choses si ce n’est qu’elle fut à l’image du personnage : discrète. A son décès, on découvre l’existence d’une enfant, du nom d’Isabelle Wybo, née en 1939, qu’il a eu avec une fille de boulanger. Depuis 1977, il est marié avec Jacqueline Peyrebrune . Un mariage religieux qui ne fut pas suivi par une cérémonie civile pourtant obligatoire pour que l’union soit officiellement reconnue.
Charles de Belgique meurt le 1ᵉʳ juin 1983, laissant derrière lui une mémoire étonnamment calme, à l’image de sa vie. L’histoire retient rarement les noms de ceux qui ont assuré la stabilité plutôt que suscité le fracas. Pourtant, son rôle fut déterminant : sans sa présence, la Belgique aurait pu sombrer dans une crise institutionnelle sans précédent après la Seconde Guerre mondiale.
Son héritage tient précisément dans cette capacité à incarner la continuité, à protéger les institutions sans chercher la lumière, à exercer le pouvoir sans en revendiquer la paternité. Charles fut, en un sens, le régent idéal : celui qui n’envie pas le trône, ne s’y attache pas et le transmet intact.
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