Au moment où Miss Tahiti, Hinaupoko Devèze, 23 ans, est couronnée Miss France, l’histoire semble faire un clin d’œil à la monarchie polynésienne disparue. Celle d’une dynastie, dont Pomare V fut le dernier roi. Une passerelle inattendue entre mémoire royale, identité culturelle et reconnaissance nationale.

Couronné à l’aube de la colonisation française, Pomare V fut le dernier roi de Tahiti. Son règne marque la fin d’une dynastie qui avait façonné l’histoire politique, sociale et culturelle de la Polynésie.

Pomare IV et son époux @wikicommons

Lutte d’influence autour du trône des Pomare

C’est le 3 novembre 1839 que Teri’i Tari’a Tera’atane voit le jour, dans un univers éclatant de couleurs, de parfums et de lumière. Troisième enfant de la reine Pomare IV (1813-1877) et de son second époux, le prince Ariʻifaʻaite (1820-1873), il n’est alors nullement destiné à régner. Ce cadet grandit, au sein d’une fratrie de 7 enfants, à l’ombre des cocotiers, face à une mer cristalline qui fait depuis toujours la richesse et l’identité de son peuple. Tahiti est alors le cœur battant d’un royaume gouverné par la dynastie Pomare, qui a unifié la Polynésie sous son sceptre au XVIIIᵉ siècle, attirant très tôt les convoitises des grandes puissances européennes lancées dans leur course à la colonisation.

Dès l’enfance, le futur Pomare V est pourtant imprégné du poids de l’histoire. Il doit se préparer à son rôle de prince au sein d’un royaume soumis à des pressions extérieures de plus en plus fortes, entre l’expansion coloniale française et britannique dans le Pacifique et la rivalité acharnée entre missionnaires protestants et catholiques, décidés à évangéliser l’ensemble du territoire. Cette guerre d’influence ne tarde pas à dégénérer en affrontement ouvert entre les Tahitiens et les Français, pourtant liés par un traité de protectorat imposé à sa mère.

Au terme d’une longue lutte politique et militaire, la France finit par s’imposer. Les pouvoirs de Pomare IV sont alors considérablement réduits, la reine étant contrainte de les partager avec le représentant du roi Louis-Philippe Ier, en 1847. La souveraineté tahitienne entre ainsi dans une phase de déclin irréversible.

Pomare V et le blason de sa dynastie@wikicommons

Une monarchie enterrée dans les volutes d’alcool

Pomare V accède au trône en 1877, à la mort de sa mère, la reine Pomare IV, après quarante années de règne. Très vite, le nouveau souverain se retrouve face à un dilemme vertigineux : préserver l’autonomie de son peuple ou se soumettre aux réalités géopolitiques qui s’imposent à lui. Il n’était, à vrai dire, guère préparé à exercer le pouvoir. Son frère aîné, le prince Ariʻiaue Teuira Henri Pōmare, héritier légitime du trône, étant décédé prématurément de la tuberculose en 1855, à seulement 16 ans.

Son règne, bref, est marqué par de fortes tensions politiques. La France multiplie les pressions diplomatiques et économiques dans le but d’obtenir un contrôle total de l’archipel. Pomare V tente alors de préserver ce qu’il peut d’une monarchie devenue largement symbolique, tout en négociant la protection de ses sujets et le maintien de certains droits coutumiers. Mais dans les faits, sa marge de manœuvre est extrêmement réduite. Le souverain peine à s’imposer, progressivement marginalisé, traité comme un simple fonctionnaire par l’administration coloniale, au point de sembler se détacher peu à peu du combat politique.

Le 29 juin 1880, après des années de négociations et de pressions constantes, Pomare V signe le traité de cession de la souveraineté de Tahiti à la République française, mettant ainsi un terme à près d’un siècle de règne de la dynastie Pomare. Ce geste, longtemps perçu comme un abandon, est aujourd’hui souvent interprété comme une décision stratégique visant à éviter un affrontement ouvert et à protéger la population. En contrepartie, le roi obtient une rente viagère pour lui-même et trois membres de sa famille, la Légion d’honneur, la médaille du Mérite agricole, des caisses d’alcool, ainsi que le maintien de son titre de monarque jusqu’à sa mort.

Dépouillé de son sceptre, divorcé de sa seconde épouse, la princesse Joanna Marau Taaro Tepau Salmon, avec laquelle il entretint une relation particulièrement orageuse, Pomare V s’enferme peu à peu dans son palais, livré à une profonde solitude et à l’alcool. Si une résistance locale tente bien de s’organiser, le souverain déchu refuse de la soutenir. À sa mort, en juin 1891, il laisse derrière lui deux filles et un fils. Si, sa descendance directe ne revendique plus aujourd’hui le trône de Tahiti, la dynastie Pomare demeure, dans la mémoire collective, le symbole du passage entre la Polynésie traditionnelle et son entrée dans la modernité, entre souveraineté perdue et identité préservée.

Bien que la monarchie soit éteinte, le rayonnement de l’île, lui, n’a jamais disparu. Par la beauté, la culture et la fierté identitaire, Tahiti continue, autrement, de porter sa couronne, où l’histoire semble tracer un fil invisible entre passé et présent d’une manière différente avec l’élection de Miss Tahiti, Hinaupoko Devèze comme nouvelle Miss France 2026.


Frédéric de Natal

Rédacteur en chef du site revuedynastie.fr. Ancien journaliste du magazine Point de vue–Histoire et bien d’autres magazines, conférencier, Frédéric de Natal est un spécialiste des dynasties et des monarchies dans le monde.

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