Après la chute de Constantinople, les héritiers de l’aigle byzantin s’enfuient vers l’Occident. Parmi les grandes familles en exil, les Stéphanopouli de Comnène trouvent refuge en Corse, où l’ancienne lignée impériale de Trébizonde va mêler son destin à celui de la France jusqu’à nos jours.
La chute de Constantinople provoque la fuite et l’exode des Byzantins vers les derniers despotats orthodoxes, vestige de l’Empire romain d’Orient. Il faudra encore quelques années avant qu’elles ne tombent définitivement, conquises par les Ottomans qui étendent alors toute leur autorité sur une large partie des Balkans. Parmi les maisons princières qui ont régné sur Constantinople, une décide de s’exiler loin des tumultes de guerre et se réfugie sur une île située sur le bassin occidental de la mer Méditerranée : la Corse.

La chute de Trébizonde et exil sans retour
Le 14 août 1461, après une résistance héroïque, l’Empereur David II Comnène est contraint de rendre les armes. Le Sultan Mehmet II, qui a conquis Constantinople huit ans auparavant, lui a promis la vie sauve. Le souverain est alors contraint de quitter ses palais, vestiges d’une monarchie établie en 1204, déjà survivance d’une Byzance entre les mains des Latins. L’aigle bicéphale des Comnène va perdurer durant deux siècles aux abords de la Mer noire en dépit des multiples menaces auxquelles l’Empire doit faire face.
Le destin de David II est scellé. Ce rejeton d’une dynastie (qui a régné sur l’Empire byzantin de 1081 à 1181) est conduit vers Andrinople où le sultan lui octroie un domaine. C’est ici que le dernier monarque de Trébizonde doit couler des jours heureux. Pourtant, l’histoire est parfois cruelle et la politique n’aime guère laisser derrière elle les traces d’un passé glorieux. Accusé de comploter contre Mehmet II, il est arrêté et exécuté avec ses fils afin de mettre fin à toute possibilité de recouvrer leur trône (1463).

Survivantisme byzantin ?
Nicéphore Comnène, autre fils (supposé) de David II, aurait survécu à ce massacre organisé par les Ottomans. Sa généalogie n’est clairement pas établie, mais c’est ainsi qu’il est reçu à Le Magne, en Laconie, lorsqu’il débarque dans cette péninsule grecque. On sait peu de choses sur ce prince si ce n’est ce que nous en dit l’historien grec Eleutherios Alexakis qui s’est penché sur cette survivance. Il avance même une théorie qui reste encore à démontrer. Selon lui, Nicéphore serait en réalité Georges Comnène, réel fils de David II, converti à l’islam qui aurait fui et qui aurait changé de prénom afin de passer entre les mailles des soldats du sultan partis à sa recherche. Installé dans la ville de Mani (nom grec de Le Magne), il en serait devenu un citoyen reconnu.
La répression turque contraint les descendants de Nicéphore à demander l’aide de la République de Gènes afin qu’elle l’aide à s’exiler avec quelques centaines de Grecs. Ce sera la Corse, une île située non loin de la Sardaigne. Grâce à la présence d’un vaisseau français qui embarque, hommes, femmes, enfants, plus de 780 personnes débarquent à Gènes en 1673 avec à leur tête Ioannès Stephanopoulos. Il est un petit-fils du fameux Nicéphore. C’est lui qui négocie avec la République l’acquisition de terres dans l’île de beauté que cette future colonie va rallier trois ans plus tard, installées à Panonia. Les relations avec les Corses vont être empreintes de miel et de fiel. À diverses reprises, au cours du XVIIIe siècle, des échauffourées éclatent entre les deux communautés. Notamment en 1731, lorsque les Grecs de Panonia refusent de prendre part à la rébellion contre Gènes et sont chassés de la ville.

D’un Empire à un autre, la quête du trône
C’est le comte de Louis Charles de Marbeuf (1712-1786) qui va convaincre ces familles de rester sur l’île devenue entre-temps française. Il a compris l’importance de leur accorder des privilèges tant, leur rôle est essentiel dans la reconstruction de la Corse. En 1775, la colonie s’installe alors à Cargèse, parmi lesquels les Stéphanopoulos, devenus les Stéphanopoli. Le capitaine Georges Stéphanopoli est même nommé administrateur de cette ville érigée en marquisat pour Marbeuf. Mais c’est sous le règne de Louis XVI que le passé impérial des Stéphanopouli se rappelle à eux.
Démétrius Stéphanopouli (1749-1821) obtient du roi de France sa reconnaissance comme descendant direct de David II après avoir prouvé sa filiation généalogique. Il adjoint à son nom le patronyme de Comnène (1782). Il va faire carrière au sein d’un régiment de cavalerie dont il est capitaine. Lors du déclenchement de la Révolution française, il prend fait et cause pour la monarchie. L’aristocrate gréco-byzantin rejoint l’armée du prince de Condé et son chemin va croiser plus tard celui d’un certain Napoléon Bonaparte. Le héros du pont d’Arcole est sensible aux aspirations indépendantistes, déjà palpables des Grecs. L’histoire dit même qu’il pense à ce prince pour l’installer sur un hypothétique trône. Il envoie en Grèce Démétrius Stéphanopouli de Comnène préparer un mouvement contre les Ottomans en 1797 afin de créer un autre front, permettant au futur Premier consul de s’embarquer pour l’Égypte. Le prince va être marqué par cette aventure qu’il relate dans son « Voyage en Grèce » publié en 1800 mais échoue dans son aventure.
L’empire ne sera pas sa tasse de thé. Il attendra patiemment le retour de Louis XVIII à qui il fait allégeance en 1814 et qui le récompense en le faisant maréchal de camp. Napoléon lui en gardera rancune. Il évoque ce descendant Comnène dans des termes assez méprisants dans ses mémoires écrites à l’île de Sainte-Hélène. « M. de Vergennes, voulant faire une princesse grecque de sa femme, on fut chercher un fermier en Corse, pour en faire un des derniers empereurs d’Orient. » , écrit-il. Avant de renchérir très amer : « Les Comnène établis en Corse étaient-ils réellement descendants des Comnène de Constantinople ? Ce serait vraiment une chose curieuse, et je regrette de ne pas l’avoir cherché, d’avoir trop légèrement rejeté cela, sur les dires de mon vieil oncle [l’archidiacre] et de ma mère. Au fond, quelles preuves avait-on contre eux ? Ils étaient pauvres. La mère de Mme d’Abrantès était femme de chambre chez Madame. Cela ne prouve rien. ».
Laure Stéphanopouli de Comnène (1784-1836), nièce de Démétrius, va pourtant devenir une personnalité incontournable du Premier Empire. Dans ses propres mémoires, elle évoque le futur empereur comme un amoureux transi de sa mère, éconduit. Mais c’est son mariage avec le futur maréchal Jean-Androche Junot qui va la hisser au sein de la bonne société parisienne. Devenu duchesse d’Abrantes, titre donné à son mari après la conquête du Portugal (1808) qui aurait préféré un trône à Lisbonne, Laure Stéphanopouli de Comnène devient une mondaine qui se fait remarquer par sa beauté troublante. Mais son esprit d’indépendance, ses critiques envers Napoléon vont fortement déplaire à l’Empereur. Avec la dégradation de l’état de santé de son mari, la duchesse craignant la ruine, va intriguer en faveur du retour de la monarchie. Elle survivra tant bien que mal lors de Restauration, amante du jeune écrivain Honoré de Balzac, avant de décéder dans le dénuement d’une mansarde d’hôpital où elle avait été placée, laissant derrière une forte descendance.

Une descendance sans feu, sans flamme aujourd’hui
Le nom des Stéphanopouli de Comnène va resurgir lors de l‘indépendance grecque. Les insurgés qui ont fini par chasser les Ottomans se cherchent un roi. Georges Stéphanopoli de Comnène (1756-1833), frère et héritier de Démétrius, fait acte de candidature entre 1831 et 1832. Elle suscite peu d’intérêt et il finit par demander une seigneurie pour lui et son neveu (et fils adoptif) Adolphe-Constant Geouffre de Comnène (1796-1849) avec une dotation. En vain. Ultime tentative de récupérer un héritage qui sera donné aux Wittelsbach.
Pour autant, les Stéphanopouli de Comnène n’ont pas disparu de l’histoire corse. Leur histoire va se mêler à celui de la France du Second Empire qu’ils servent fidèlement et ses vicissitudes. Ils donneront 4 maires à la ville d’Ajaccio entre 1801 et 1949, le dernier Nicéphore Stéphanopoli de Comnène partagera en guise d’hommage, bonapartiste convaincu comme ses prédécesseurs, le prénom de son aïeul Nicéphore Comnène fils du dernier empereur de Trébizonde David Comnène.
Il existe encore des descendants de cette famille en Corse, mais aucun d’entre eux ne met plus réellement en avant leur ascendance impériale byzantine.
Frédéric de Natal
Rédacteur en chef du site revuedynastie.fr. Ancien journaliste du magazine Point de vue–Histoire et bien d’autres magazines, conférencier, Frédéric de Natal est un spécialiste des dynasties et des monarchies dans le monde.







