Il se dresse tel un vaisseau prêt à affronter les vagues. De style pompéien, l’Achilléion est un palais de marbre blanc, qui surplombe la Méditerranée, entouré d’un jardin verdoyant, parsemé de statues antiques. Construit au XIXe siècle, on doit cette merveille architecturale à un rêve, celui de Sissi, figure indissociable de l’histoire austro-hongroise.
C’est en 1861, au cours d’une croisière, que l’impératrice Elizabeth d’Autriche découvre Corfou. Elle a 23 ans. Ses médecins lui ont prescrit des séjours sous des latitudes plus clémentes afin de soigner sa santé fragile. Mais, ce que la jeune femme cherche avant tout, c’est l’isolement, prendre ses distances avec Vienne et son protocole contraignant. Elle est accueillie par le gouverneur anglais qui administre les îles Ioniennes au nom de la reine Victoria. Non loin de là, règne sur le reste de la Grèce son cousin Othon Ier de Bavière, un helléniste confirmé. Sissi va bientôt suivre ses pas et se passionner pour l’Antiquité, aidé par le consul autrichien, le baron Alexander von Warsberg.
Le refuge fantasmé
Lorsqu’elle revient en 1888, elle a arrêté sa décision après avoir sillonné toute la Méditerranée. Corfou sera son refuge. Elle va y apprendre le grec et le maîtriser. C’est une passionnée. Elle va alors racheter la Villa Vraila à un ami et la transformer en un véritable palais dédié à Achille, le héros de la mythologie grecque qu’elle affectionne et qui, d’après elle, méprise tous les souverains et les traditions. C’est l’architecte italien Raffaele Caritto qui sera chargé de la construction de l’Achilleion, une villa qui s’étend sur une parcelle de 200.000 m² et compte pas moins de 128 pièces équipées d’une installation de dessalement de l’eau de mer et d’un service télégraphique. Pour la décoration, Sissi achète une série de statues antiques au Prince Borghèse et fait venir de Vienne des meubles et de la vaisselle dont le Dauphin est l’emblème. Allégories et angelots constellent les murs et les plafonds. On y trouve même une reproduction du « Jugement du Christ ».
La villa des songes perdus
La demande est d’ailleurs pressante. Elle a perdu Rodolphe, son fils et héritier qui s’est suicidé (ou aurait été assassiné ?), et ne veut plus résider dans la capitale austro-hongroise. Le palais est achevé en 1891 et elle se montre radieuse. Le résultat est à la hauteur de ses attentes, de ses fantasmes. Elle s’empresse de le montrer à François-Joseph, son époux, l’archiduchesse Marie-Valérie, sa fille, jouant les guides touristiques. Elle n’y réside finalement que quelques mois, reprenant ses voyages. Elle confie les clefs au nouveau consul d’Autriche-Hongrie qui organise, avec son accord, des visites de la villa. L’Achilléion restera pourtant une de ses résidences préférées dans laquelle elle se rend chaque année, au printemps, jusqu’à son assassinat par un anarchiste italien en 1898.
À Corfou, le souvenir de Sissi est persistant
Le palais restera inhabité durant neuf ans. Il sera racheté par le Kaiser Guillaume II qui partage la même fascination pour la Grèce Antique. Il entreprend une série de rénovations et de changements, déplaçant des statues et supprimant d’autres que Sissi avait fait installer. Il fait construire un nouveau bâtiment à côté du palais pour loger sa garde et rénover les jardins restés sans attention pendant plusieurs années. Le Kaiser en fait sa résidence d’été et y viendra chaque année jusqu’à ce qu’éclate la Première Guerre mondiale. Durant le conflit, l’Achilléion est transformé en un hôpital militaire avant de devenir une propriété de l’État grec (au titre des réparations de guerre) qui installe une école.
En 1962, la monarchie grecque confie le Palais à une société allemande (ironiquement, la villa logera l’état-major nazi durant la Seconde Guerre mondiale) qui y place un casino. Dans les années 1990, le palais est peu à peu rénové et réoccupé par l’État qui lui octroie un rôle diplomatique, permettant ainsi à l’Achilléion de retrouver sa splendeur originelle. À Corfou, le souvenir de Sissi perdure, à la plus grande joie des passionnés de l’impératrice et des touristes.
Arnaud Gabardos