L’existence des pays d’Europe centrale inscrite dans le marbre de l’ONU, nous semble une évidence. Pourtant devenus indépendants, après des siècles de domination allemande ou magyare, ces États, encore fragiles, restent la cible de nouveaux Empires toujours voraces

Les aigles abattus, sur les ruines de l’Empire@Dynastie

Ce n’est pas sans bouleversements qu’un empire disparaît. Si d’un point de vue strictement juridique l’empire d’Autriche est né en 1804 et n’a donc duré qu’un siècle à peine, son existence politique est bien plus ancienne puisqu’il recoupe les possessions de la maison des Habsbourg. En Europe centrale, l’empire de Vienne s’immisce et se heurte à trois autres Empires  :  l’allemand, l’ottoman, le russe, contre lesquels il fut parfois en paix et souvent en guerre. La disparition de l’Empire laisse place à une constellation de pays-nations neufs, certes emplis de la vigueur de la nouveauté de l’indépendance, mais pour beaucoup peu viables et faibles sur tous les plans, notamment militaire. Ce qui était donc une structure forte devient un ventre mou et demeure l’objetde l’appétit des grands. L’Empire allemand remis sur pied dans le nazisme et l’Empire russe translaté dans le communisme, l’Europe centrale devient la cible de choix d’un partage de plus en plus inéluctable entre les deux grands. La mainmise de Berlin n’aura duré qu’un temps, celui de l’Anschluss et d’une occupation militaire et idéologique  ; celle de Moscou a dressé son rideau de fer et a signifié à ces anciens peuples sous tutelle autrichienne que désormais c’était aux Soviets qu’ils devaient rendre des comptes.

Continuité dans le changement 

Les aigles abattus, sur les ruines de l’Empire@Dynastie

Là réside la catastrophe engendrée par la disparition de l’empire d’Autriche : la création d’un espace gris et flou, incapable de se défendre contre les appétits de ses voisins et donc potentiellement conquis par eux. L’indépendance désirée fut de courte durée. Les accords de Munich (1938) sont une première remise en cause, comme ensuite la prise des Sudètes puis l’invasion des Balkans par l’Allemagne. Ce que l’Europe de l’Ouest n’a pas compris, c’est que, si un empire peut périr, ni la géographie ni l’histoire ne peuvent être effacées. La géographie, c’est celle d’un espace immense entre mer Noire et Méditerranée, carrefour et croisement de l’Orient et de l’Occident. Le limes romain y passait déjà et l’on retrace, au sein de cet empire, la frontière entre le vin et la bière, qui est frontière culturelle et civilisationnelle. Un espace ne peut pas être laissé vide. Les Habsbourg chassés, ce furent les bolcheviks qui prirent le relais.

L’histoire, c’est que l’indépendance et la souveraineté se forgent avec les siècles, les batailles et les luttes pour la survie. Or, en Europe, peu de pays ont été libres et indépendants. La France l’a été, bien sûr, l’Angleterre, les cantons suisses aussi. Mais si la Castille a dominé la péninsule ibérique puis l’Amérique, ce n’est pas un pays en tant que tel, et l’Italie n’existe, comme État unifié, que depuis 1871. La fin de l’Empire a donné la liberté à des pays enfants qui n’avaient jamais fait dans leur histoire l’expérience de la liberté politique. Sitôt libres, ils se sont mis à chercher des maîtres auxquels se rattacher. D’où l’adhésion de certaines élites à l’URSS d’abord, puis à l’OTAN et à l’UE. Ces trois structures sont des Empires nouvelle génération, avec une capitale qui prend les décisions de souveraineté et qui laisse aux États vassaux le soin de gérer leur intérieur. Rien de bien différent, dans l’esprit politique, du fonctionnement de l’empire d’Autriche. Que peuvent en effet ces pays peu peuplés, donc à l’armée croupion, sans profondeur historique dans le monde, sans leviers de puissance ? L’adhésion à un club politique d’envergure plus grande, l’Empire autrefois, les organisations supranationales aujourd’hui, est donc chose logique. Que la Hongrie de Viktor Orbán soit le pays le plus vindicatif à l’égard de l’UE n’est nullement surprenant quand on sait que la Hongrie lutta sans cesse pour son autonomie au sein de l’Empire, jusqu’au compromis de 1867. Derrière les structures neuves se trouvent donc des pensées et des réflexes politiques anciens, que la chute de l’Empire n’a pu effacer.

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Frédéric de Natal

Rédacteur en chef du site revuedynastie.fr. Ancien journaliste du magazine Point de vue–Histoire et bien d’autres magazines, conférencier, Frédéric de Natal est un spécialiste des dynasties et des monarchies dans le monde.

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