Les monarchies font la « Une ». À peine terminés quatre jours de festivités du jubilé de platine de la reine Elisabeth II célébrées à travers tout le Commonwealth que le roi des Belges entamait un voyage historique de six jours au Congo. Il y assumait plus de soixante-dix ans de colonisation depuis son arrière-arrière-grand père mort en 1909 qui en avait fait sa propriété personnelle entre 1885 et 1908 avant de la céder à l’État belge.

Les révélations qui avaient fait choc en 1998 lors de la parution de l’ouvrage de l’historien américain Adam Hochschild, « Les fantômes du roi Léopold II. Un holocauste oublié », avait mis longtemps à imprimer dans la vie politique belge. Il a fallu attendre le soixantième anniversaire de l’indépendance du Congo pour que le roi Philippe exprime solennellement ses « plus profonds regrets » pour les souffrances causées par la colonisation dans une lettre au président de la République démocratique du Congo. Le voyage attendu plusieurs fois reporté a eu lieu du 6 au 13 juin. C’était la première fois que le roi se rendait au Congo, douze ans après le voyage de son père, le roi Albert II.

Entretemps la vie politique congolaise s’était stabilisée. Le président Félix Tshisekedi est le plus « belge » des politiciens congolais pour avoir résidé plus de trente ans en exil en Belgique aux côtés de son père, l’éternel opposant Etienne Tshisekedi. Il a pris certains risques en réservant un accueil aussi chaleureux au couple royal. Les élections n’auront lieu qu’en 2023, suffisamment loin encore pour que le voyage officiel ne soit pas instrumentalisé.

En revanche côté belge, il devenait urgent de sortir d’un long silence. La campagne « Black Life Matters » (la vie des Noirs compte) suscitée par la mort de George Floyd à Minneapolis aux États-Unis avait conduit au déboulonnage de plusieurs statues à travers le monde dont en Belgique celles du roi Léopold II. Le musée de l’Afrique centrale à Tervuren a été refondu. Le roi a d’ailleurs amené avec lui à Kinshasa un masque traditionnel. Il a répété ses regrets mais il a fait un pas de plus en condamnant non plus seulement les excès mais le principe même d’un régime colonial « injustifiable, marqué par le paternalisme, les discriminations et le racisme ».

Septième roi des Belges depuis 1830, Philippe, né en 1960, est contemporain de l’indépendance du Congo. Il a été instruit par l’expérience de son oncle, le roi Baudouin, qui avait présidé à celle-ci le 30 juin 1960. Un tout jeune dirigeant qui venait d’être élu premier ministre, Patrice Lumumba, lui avait volé la vedette, transformant une indépendance octroyée en émancipation assumée. On sait qu’il fut bientôt renversé, arrêté et assassiné le 17 janvier 1961 au Katanga par ses opposants locaux avec la connaissance et la connivence des autorités belges. Devenu un mythe universel, il avait acquis valeur de symbole. Le Premier Ministre belge remettra le 20 juin à Bruxelles au président congolais et à la famille une dent volée sur son cadavre par un gendarme belge chargé de la destruction de toute trace de vie comme de mort. Il reconnaît ainsi sans détour la légitimité d’une histoire jusqu’alors contestée en même temps qu’il entreprend de la terminer sans retour.

Dominique Decherf 

  • Publié dans le bulletin de l’ACIP, daté du 13 juin 2022.