Loin de toute agitation électorale, le Brésil a lancé les festivités du bicentenaire de son indépendance aux cotés des membres de la maison impériale, toutes branches confondues. Invité par le maire d’Ouro Preto à venir répéter le « cri d’Ipiranga », acte fondateur de la monarchie brésilienne, Dom João d’Orléans-Bragance évoque la figure de son ancêtre, Dom Pedro II, dernier souverain de ce pays d’Amérique du Sud au destin tumultueux.
C’est une histoire qui n’a duré que sept décennies. Elle a pourtant profondément marqué le subconscient des Brésiliens, dont les plus jeunes apprennent encore dans toutes les écoles du pays ce qu’ils doivent à la maison impériale des Orléans-Bragance. Réfugiés dans leur colonie d’Amérique du Sud après que Napoléon a envahi le Portugal, le roi Joao VI va moderniser considérablement le pays et couler des jours des heureux avec sa famille sous les tropiques, loin des combats qui agitent l’Europe. Lorsqu’il décide de rentrer dans son pays en 1821, un peu contraint après 13 ans d’absence, Joao VI confie la régence du Brésil à Dom Pedro (1798-1834), son fils aîné. Très rapidement, les Cortes Portugaises font savoir à l’héritier du trône que le Brésil doit retrouver son statut de colonie et qu’il doit aussi rentrer à Lisbonne. Des tensions éclatent entre le prince-régent et les parlementaires portugais. Après des mois d’échanges assez vifs, Dom Pedro va finalement franchir le Rubicon. Le 7 septembre 1822, il proclame l’indépendance du Brésil dont il va ceindre la couronne. C’est le « cri d’Ipiranga » : « Independência ou Morte! »
Dom Pedro II, toutes les caractéristiques d’un vrai chef d’État
Il faudra encore quelques années avant que la nouvelle monarchie puisse jouir de sa liberté obtenue au prix du sang. Dom João d’Orléans-Bragance est un membre reconnu de la maison impériale. Il possède une maison modeste à Paraty, où se trouvent les portraits de ses ancêtres. Dans une atmosphère qui respire l’époque d’antan, dont ses compatriotes sont friands, ce sont des visages figés par le temps et qui nous plongent dans le passé glorieux de cette institution royale dont il est le digne représentant. Prince surfeur, il a une passion pour la photographie. Tout comme son ancêtre, Dom Pedro II (1825-1891), dernier souverain du Brésil pour lequel il éprouve un réel attachement. « Il possédait toutes les caractéristiques d’un vrai chef d’État, moderne et modéré, ne dépendant d’aucun parti politique » explique Dom João d’Orléans-Bragance au quotidien Veja. « Il avait réussi à trouver un équilibre entre les conservateurs et libéraux qui ont été tour à tour à la tête du gouvernement. Pour réaliser cela, il faut avoir d’énormes compétences politiques, un énorme sens des responsabilités et beaucoup d’éthique » poursuit-il. Un tacle à peine voilé contre le président Jair Bolsonaro dont il ne partage pas les idées.
Dom João d’Orléans-Bragance a 65 ans. Ce cousin du prince Jean d’Orléans, comte de Paris, est un libéral qui a été séduit par la fraîcheur du président Lula da Silva avant de finalement descendre dans la rue comme bon nombre des Brésiliens qui ont manifesté durant des mois (2015-2016) contre la corruption qui gangrène le Brésil. Il suit les pas de Dom Pedro qui a accordé une constitution à son empire, mettant fin à la période absolutiste. Monté sur le trône en avril 1831, alors qu’il n’est qu’un enfant, le règne de Dom Pedro est l’un des plus longs du Brésil. Presque 60 ans. Toute une génération qui a grandi avec son empereur dont le comportement sera loué par les plus grands savants et écrivains de son époque. Y compris en France avec Victor Hugo qui ne tarit pas d’éloges sur ce souverain curieux de tout. D’ailleurs lors du coup d’état de 1889 qui met fin à l’institution royale, on trouve peu de brésiliens qui approuvent cette prise de pouvoir par les militaires. La série « Nos Tempos do Imperador » (Au temps de l’empereur) diffusée récemment sur les écrans de télévision du pays a connu un succès fulgurant. Bien qu’elle soit romantisée, n’échappent pas à quelques poncifs, elle renvoie les Brésiliens à une vision adulée du règne de Dom Pedro II. Les producteurs « ont brossé un portrait très fidèle de Dom Pedro II, ce qu’il était, ce qu’il a réalisé et montrent les valeurs qui ont été les siennes » explique Dom João d’Orléans-Bragance.
Un empereur qui fait la fierté des Brésiliens
Si la monarchie de Dom Pedro II a été ponctuée par trois guerres, une grande liberté d’expression, un respect des droits civiques, ainsi que par une croissance économique à l’heure où tout le reste du continent sombrait dans l’anarchie, c’est l’abolition de l’esclavage qui va marquer les esprits. Socle indissociable de son régime, Dom Pedro et sa fille Isabelle vont s’attaquer à cette pratique qui a fait la fortune des grands propriétaires terriens et de l’église. La signature de la Loi d’Or (mai 1888) libère des milliers d’esclaves. Une population qui a contribué à métisser la société brésilienne, faire émerger une bourgeoisie créole qui va demeurer fidèle à la monarchie longtemps après sa chute et devenir un mouvement qui ne va pas hésiter à réclamer son retour. Comme avec la « Guarda Negra da Redeemer » (Garde noire de la Rédemptrice). Il est loin de son pays lorsqu’il apprend la nouvelle. Alité, il s’écrie, les larmes aux yeux, « Quel grand peuple ! Quel grand peuple ! ». « C’était un partisan pour l’égalité de tous. Il avait des amis noirs et était très proche d’André Rebouças [porte-parole des abolionistes-ndlr]. il était digne de la position qu’il occupait » rappelle Dom João d’Orléans-Bragance, cachant mal sa fierté.
Dom Joãozinho dans les pas de Dom Pedro II
Au Brésil, on le surnomme affectueusement « Dom Joãozinho » . Il en sourit. « Je suis une personne très simple. Peut-être que je l’ai hérité de ma famille. Mon père était simple, mon grand-père était simple, la princesse Isabelle était simple » affirme-t-il. Il suit les pas de son arrière-arrière-grand-père. Il est monté au créneau pour défendre les droits des homosexuels, les peuples d’Amazonie menacés par les forestiers qui ne cessent de réduire de plus en plus « le poumon vert de l’humanité ». C’est un « écolo’ » convaincu qui impressionne par sa verve lors de conférences organisées sur le sujet. Il n’est pas élitiste et s’agace des positions très conservatrices de la branche rivale au trône du Brésil. Depuis la renonciation de Dom Pedro d’Alcantara en 1908, pour épouser la comtesse Élisabeth Dobrzensky de Dobrzenicz, la maison impériale est divisée en deux lignées qui revendiquent chacune la couronne impériale et qui représentent chacune deux idéologies différentes dans lesquelles les partisans de la monarchie peuvent s’y retrouver. Lors du référendum de 1993, 13% des Brésiliens avaient voté pour le retour de la monarchie. Un chiffre qui avoisinerait aujourd’hui les 20% selon un sondage en ligne et une question qui a été débattue au Parlement en 2017.
Un bicentenaire sous les auspices des Orléans-Bragance
« Mon plus grand regret est de voir que la classe politique ne change pas – nous avons la même chose depuis des décennies et des siècles. Même à l’époque de l’Empire, la classe politique était déjà favorable à l’esclavage. La République a été instaurée par des esclavagistes. Cependant, s’ils le veulent, les Brésiliens auront la force de changer cela » déclare le prince qui se veut aussi consensuel que Dom Pedro II. Il s’est prononcé récemment contre le Laudêmio qui a fait polémique au Brésil. Une taxe dont bénéficie pourtant sa famille. « Ce système de perception des redevances ne devrait même pas être perçue par l’église ou l’armée. Il est dépassé et ne devrait être reversé à personne » renchéri le prince qui conserve une affection particulière pour la ville de Petrópolis, fondée par Pierre Ier. C’est aux titres de ces liens dynastiques avec cet empereur que Dom João d’Orléans-Bragance a été invité par la mairie d’Ouro Petro.
Il y a 200 ans, le 9 avril 1822, le prince régent du Royaume-Uni du Brésil, Dom Pedro, assurait aux habitants d’Ouro Preto que « les fers du despotisme ne l’emportaient pas sur les aspirations à la liberté et à l’indépendance ». «L’arrière-arrière-petit-fils de Dom Pedro I viendra répéter l’acte qui a été fait ce jour-là. C’est un événement très significatif et symbolique », a déclaré la secrétaire à la Culture et au Tourisme d’Ouro Preto, Margareth Monteiro au journal Mais Minas. Un honneur pour Dom Joãozinho dont la figure rassemble au-delà de toutes les couleurs politiques qui constellent son « cher Brésil bien-aimé » et qui se veut le digne héritier de ces deux empereurs.
Frederic de Natal