Empereur du Mali, il est considéré comme l’un des hommes le plus riche et le plus puissant de son temps. Entre réalité historique et mythe, qui était réellement le Mansa Kankou Moussa ? La Revue Dynastie vous dresse le portrait d’un monarque qui a eu le privilège de figurer sur toutes les cartes européennes et qui continue encore d’alimenter tous les fantasmes. Une énigme qui nous plonge dans l’Histoire méconnue d’un empire qui fit trembler toute l’Afrique de l’Ouest durant plusieurs siècles.
C’est une épopée qui se transmet de griots en griots, une histoire racontée depuis des générations, une bataille épique où s’entremêlent légendes et réalités historiques. C’est à Kirina, en 1235, que va se jouer le futur destin de l’empire du Mali. Prince mandingue en exil, Soundiata Keïta rumine sa vengeance contre le roi-sorcier du Sosso, Soumaoro Kanté. Très populaire, il va réunir bientôt une forte armée qui se lance à l’assaut de l’État peul du Fouta Djalon avant de fondre sur celui du Sosso. Les deux armées se rencontrent dans un violent cliquetis de lances et de boucliers. C’est finalement en blessant son rival avec un ergot de coq blanc, un talisman, que Soundiata Keïta remporte la victoire finale. Couronné « Mansa » (Roi des rois), il va fonder l’empire du Mali et lui donner la charte du Mande, la première déclaration connue des droits de l’Homme inscrite au patrimoine de l’Humanité. Abolition de l’esclavage entre malinkés et assemblée constituante sont proclamées pour le souverain qui meurt mystérieusement après 20 ans de règne.
« Un jeune roi de couleur brune, de figure agréable et de belle tournure… »
C’est dans cette atmosphère que son arrière-petit-neveu monte sur le trône impérial de cette monarchie sunnite en 1312. Kankou Moussa est un souverain reconnu, un monarque considéré comme l’un des plus riches de son siècle. C’est son pèlerinage (décidé peut-être en raison d’un matricide accidentel) vers la Mecque qui va contribuer à forger sa réputation. Une aura qui se poursuit encore de nos jours. Parti en 1324 en Arabie avec une suite composée de 60 000 hommes, 12 000 serviteurs et esclaves, des hérauts habillés de soie et portant des bâtons d’or, la caravane fascine tous les témoins de l’époque. Les récits, principalement écrits par des orientalistes comme Ibn Battûta, font même état de plus de 10 tonnes d’or répartis sur une centaine de dromadaires. « Le sultan apparut, précédé de ses musiciens, porteurs de guimbris (guitares à deux cordes) en or et en argent, et suivi de trois cents esclaves en armes. Vêtu d’une tunique de velours rouge, il s’avança sur un tapis de soie et s’installa sur une estrade abritée du soleil par un dais en soie surmonté d’un oiseau en or de la taille d’un faucon. (…) Les écuyers ont des armes magnifiques, des carquois d’or et d’argent, des sabres ornés d’or et dont les fourreaux sont en or, des lances en or et en argent. (…) Les femmes portent de beaux habits et sont coiffées de bandeaux d’or et d’argent garnis de pommes d’or et d’argent … » écrit ce fameux explorateur berbère dans son livre « Voyages 350 III ». Il est même dit que le roi fait construire une mosquée à chaque arrêt qu’il effectue, distribuant de l’or à tous les musulmans qu’ils croisent sur sa route. Sa rencontre avec le sultan égyptien An-Nâsir Muhammad ben Qalâ’ûn a laissé un souvenir impérissable, compulsé dans les archives conservées au Caire. La visite de « ce jeune roi de couleur brune, de figure agréable et de belle tournure… » sur les terres du Prophète provoque même une crise économique qui manque de ruiner tous les commerçants présents sur les lieux saints.
Un empereur qui intrigue l’Europe
Entré de plein pied dans son histoire, le chapitre médiéval africain est très riche en biographies diverses. Loin d’être inconnu, le continent connaît ses premières explorations sous la Renaissance et la renommée de Kankou Moussa va arriver jusqu’en Europe. Sur une carte de 1375, d’origine catalane, on peut d’ailleurs apercevoir une représentation du monarque assis sur son trône, de profil et portant une couronne, une boule d’or dans une main, un sceptre avec une fleur de Lys dans l’autre avec l’inscription « Musse Melly, seigneur des Noirs de Gineua ». Pour l’Europe, c’est une monarchie dont on sait peu de choses. Tout au plus, un pays où l’or coule à flot et qui est cité dans le Pantagruel de Rabelais. Bien que cette image semble caricaturale, l’exploitation des mines aurifères du Bouré va permettre à l’empire du Mali de devenir puissant. Très habiles, les Mansas laissent les populations locales exploiter les gisements de minerais, se réservant un droit exclusif sur l’or pour tribut. Encore aujourd’hui, ces mines sont exploitées avec excès. Pour Jan Jansen, un historien néerlandais et rédacteur en chef de la revue History in Africa, Kankou Moussa « ne se servait pourtant pas de cette richesse comme d’un levier de pouvoir ou d’investissement ».
Le Mansa est ruiné
Selon l’historien Francis Simonis, le Mali n’était qu’un vaste royaume où règne un esclavage impitoyable ( principalement à Tombouctou, Gao ou Zabid) sur lequel repose cette légende d’un or à profusion. Il tente de recontextualiser ce chapitre de l’histoire africaine en rappelant que « c’était avant tout une fédération de royaumes dont certains jouissaient d’une large autonomie, comme celui du Ghana dont le roi se contentait de verser un tribut annuel fixe à son souverain ». Il serait même inapproprié de tenter de créer une dynastie où on se succède de père en fils comme en Europe sous le prétexte que très peu d’écrits subsistent sur cette période et que les informations sont purement orales. Même les écrits de Ibn Battûta restent sujet à caution. Il a été facile de « faire naître un Mali eldorado » ironise Francis Simonis à Ulyces, un média digital. C’est au même titre que l’on est persuadé au Mali, enseigné actuellement, que ce n’est pas Christophe Colomb qui a découvert l’Amérique mais bel et bien le Mansa Aboubakar II (persuadé de l’existence d’autre terres en face de lui, il était parti explorer avec un millier de pirogues d’autres terres et que l’on n’a jamais revu). Que le pèlerinage soit vrai ou non, il n’en reste pas moins que c’est un véritable coup de communication qui a été organisé en faveur de l’empereur malien. Ce dernier jouit d’une popularité qui se poursuit encore, symbole d’une puissance militaire, économique et culturelle. Quand bien même, une légende noire le poursuit également. « Il a donné tellement d’or malien en cours de route que les [griots] n’aiment pas le louer dans leurs chansons parce qu’ils pensent qu’il a gaspillé les ressources locales en dehors de l’empire » explique Lucy Duran, de la School of African and Oriental Studies de Londres sur les ondes de la BBC.
Le retour de ce pèlerinage est d’ailleurs moins glorieux. Le Mansa est ruiné, obligé d’emprunter des sommes qu’il ne peut rembourser. A t-il été vraiment l’homme le plus riche de l’Histoire ? Il est encore très difficile de le savoir et tous les calculs qui ont été faits ne reposent sur rien de probant. La date de son décès est incertaine. On avance 1325, 1332 ou 1337 (cette dernière a été retenue par les historiens), laissant derrière lui un immense territoire allant de l’Atlantique à la rive orientale de la Boucle du Niger et de la forêt Teghazza au désert du Sahel. Un empire de plus d’un million de kilomètres carrés qui finira par disparaître sous les assauts des royaumes voisins au cours du XVIIème siècle.
Frederic de Natal