Si le mouvement de contestation à la monarchie thaïlandaise a perdu de sa vigueur face à une répression toujours plus forte, il ne manque toujours pas d’imagination pour mobiliser ce qui reste de ses partisans. Après avoir popularisé le « salut de Katniss », les trois doigts levés au ciel de l’héroïne du film Hunger Games, ou érigé le canard jaune en plastique en signe de ralliement contre le roi Rama X et le gouvernement militaire, c’est une chanson du groupe d’Heavy Métal « Defying Decay » qui est devenue désormais le nouveau symbole de résistance des étudiants contre la loi de crime de lèse-majesté.
C’est un hymne volontiers provocateur mais qui est devenu à la mode parmi les étudiants qui critiquent la dérive absolutiste de la monarchie du roi Rama X. Le 13 février dernier, des centaines de contestataires se sont rassemblés autour de « Defying Decay » qui s’est produit à Bangkok. Formé en 2010 et composé de 7 jeunes membres, c’est un groupe d’Heavy Métal assez marginal en Thaïlande. jusqu’ici, il s’était tenu très éloigné des soubresauts politiques qui secouent le pays depuis deux ans. En jouant, pour la première fois sur scène, leur single, « The Law 112: Secrecy and Renegades » (Loi 112 : Secret et renégats), ils sont devenus la figure de proue d’un mouvement en perte de vitesse depuis que ses leaders sont embastillés pour sédition ou crimes de lèse-majesté. Et c’est bien de ce dernier point que traite cette chanson qui échappe à toute censure puisque les paroles évitent soigneusement de critiquer toute personne ou institution par son nom.
Defying Decay perform in Bangkok last night. Their latest single The Law 112: Secrecy and Renegades takes aim at Thailand’s Lese Majeste royal defamation law. @AFPphoto pic.twitter.com/cxh97Bmw7T
— Jack Taylor (@JackWynTaylor) February 13, 2022
Un succès qui échappe à la censure royale
« Je laisse à chacun le soin d’interpréter ce qu’il souhaite comprendre quand j’écris mes chansons » a déclaré le chanteur et parolier Poom Euarchukiati, interrogé sur ce succès inattendu et qui pourrait le mener en prison si le gouvernement du Premier ministre (ex-général) Prayut Chan-o-cha décide de se pencher sur le cas du groupe. Instaurée en 1908, la loi 112 sur les crimes de lèse-majesté a été drastiquement renforcée en 2013 peu de temps après la prise de pouvoir par les kakis. Cet article qui punit quiconque « diffame, insulte ou menace le roi » d’une peine allant jusqu’à quinze ans de prison a été étendue à tout l’establishment militaire y compris les animaux domestiques du roi Rama X. C’est d’ailleurs un tribunal spécial qui juge toutes personnes accusées de ce délit sans qu’elles ne puissent faire appel du jugement rendu, n’épargnant personne (quelque soit sa nationalité) puisqu’une simple dénonciation suffit à vous faire arrêter. D’ailleurs face aux contestataires, des ultra-royalistes qui se sont constitués en milice, traquant sur les réseaux sociaux ou dans la rue tout ce qui ressemble à une insulte contre le souverain Châkri, considéré comme un demi-dieu, n’hésitant pas à chasser jusque dans leur exil les opposants au monarque.
Si la chanson exprime son désaccord avec la loi, elle dénonce aussi d’autres sujets comme la corruption et la fracture générationnelle, accusant l’élite conservatrice de refuser la moindre réforme qui permettrait aux milléniaux d’éclore au sein d’une société qui ne les attends pas véritablement. Base même des revendications estudiantines violemment réprimées par un gouvernement né d’un scrutin entaché par de fortes irrégularités (2019). Un clip révolté où on voit, parfois, défiler des images du soulèvement étudiant d’octobre 1976 qui avait fait plusieurs dizaines de morts, jeunes assassinés ou pendus par des bandes paramilitaires d’extrême-droite, alliées à la monarchie. Ce n’est pas la première fois que cet événement est retranscrit musicalement puisqu’en 2018, le groupe Rap against Dictatorship avait mis en ligne un pamphlet téléchargé par 22 millions de personnes, faisant du titre « Prathet ku mi » (Et voici ce que fait mon pays), un record en moins d’une semaine. Un an plus tard, il était à plus de 80 millions de vues sur les réseaux sociaux.
La monarchie, principal pilier de la nation
Lors d’une réunion de l’ONU sur les droits de l’homme l’année dernière, le représentant du gouvernement thaïlandais a défendu la législation sur les crimes de lèse-majesté, affirmant qu’elle « reflétait la culture et l’histoire de la Thaïlande, où la monarchie est l’un des principaux piliers de la nation ». Profitant des restrictions imposées durant la pandémie de Covid-19, le roi Rama X a repris la situation en main et, par le biais d’une vaste propagande bien orchestrée, a su renforcer son pouvoir afin qu’il soit pérenne. « Les gens qui écoutent cette musique sont pour la plupart des adolescents et de jeunes travailleurs » confesse volontiers à l’AFP Chawanut Rattanaphun, un jeune homme de 29 ans venu se divertir devant la scène. Rien qui ne saurait effrayer l’institution royale (dont très peu demande réellement l’abolition) mais une loi qui doit être « actualisée afin d’éviter les abus » ajoute Poom Euarchukiati et « garantir des procès équitables » s’empresse de préciser Chitipat Wanyasurakul, guitariste de Defying Decay.
Frederic de Natal