C’est un anniversaire de couronnement bien terne que les habitants du royaume du Rwenzururu ont célébré en octobre 2021. Depuis six ans, Charles Wesley Mumbere, leur Omusinga (roi) est en résidence surveillée pour tentative de coup d’État et attend un procès qui ne vient toujours pas. Un monarque sécessionniste qui s’estime lésé dans ses regalia et qui n’a jamais été véritablement reconnu par le gouvernement de la République fédérale d’Ouganda. La Revue Dynastie revient sur une affaire qui continue de secouer ce pays de l’Afrique de l’Est.
Le Rwenzururu est une entité géographique inconnue de la plupart de nos concitoyens et rappelle vaguement le nom d’un royaume sorti tout droit de l’imagination d’Hollywood ou des aventures de Tarzan. Pourtant depuis deux décennies, ce royaume situé dans l’ouest de l’Ouganda est au centre de toutes les tensions avec Kampala, capitale de cette république fédérale d’Afrique de l’Est. Peuplé par les Konjos et les Ambas, le royaume bantou du Rwenzururu avait été incorporé à la monarchie voisine du Toro par les anglais sans que les principaux concernés ne puissent véritablement dire quoi que ce soit (1894). Le ressentiment ne cessera de grandir tout au long des décennies qui se succèdent jusqu’à la proclamation de l’indépendance de l’Ouganda en 1962. Estimant qu’ils n’étaient plus liés au souverain du Toro, lequel s’était aussi effacé devant le monarque « chouchou » des britanniques, le bougandais Mutesa II, (devenu par un tour de magie électorale, nouveau président de la République) le Rwenzururu avait décidé de faire sécession et de s’ériger en monarchie indépendante avec cette devise : « Plutôt périr que mourir en esclaves ».
Fragilisée dès le début par des conflits internes, la nouvelle république fédérale n’a pas les moyens d’intervenir et de mettre fin au pouvoir de l’Omusinga Isaya Mukirania Kibanzanga I. Mais pour le Toro, ce crime de lèse-majesté doit être puni. Une expédition militaire envoyée dans le Rwenzururu tourne au massacre des Konjos et des Ambas. L’armée fédérale intervient afin d’éviter un véritable génocide, passé sous les radars des médias occidentaux, et le Rwenzururu devient alors un foyer de tensions permanentes jusqu’à la mort de son souverain en septembre 1966. Sept mois auparavant, agacé par tous ces monarques, le Premier ministre avait organisé un coup d’État avec l’aide du général Idi Amin Dada et avait décidé d’abolir toutes les royautés de l’Ouganda. Héritier au trône, Charles Wesley Mumbere n’est pas inquiété mais doit concéder la défaite de ses partisans qui se réfugient dans les montagnes et dans l’intérieur de la forêt pour continuer leurs actions de guérilla qui s’intensifient entre 1979 et 1982. Bénéficiant d’une amnistie, il est autorisé à partir vers les États-Unis en 1984 et obtient l’asile politique.
De putschs en coup d’États, de soulèvements en guérillas diverses, l’Ouganda va continuer sa lente descente dans les enfers. En 1993, coup de théâtre, le président Yoweri Museveni réalise enfin sa promesse faîte lorsqu’il était à la tête d’une rébellion armée qui avait attiré à ses côtés les mouvements royalistes locaux. Il décide de restaurer les monarchies traditionnelles du pays. Sauf celles du Rwenzururu qui se retrouve une nouvelle fois sous la juridiction du Toro. Charles Wesley Mumbere proteste et menace de rentrer dans son pays et de faire sécession . Ce n’est qu’en 2005 que le gouvernement dépêche une enquête. 80% des Konjos et Ambas se prononcent pour le rétablissement de la monarchie. Mis au pied du mur et épuisé par les incessantes réclamations du monarque, Museveni accepte de reconnaître la monarchie du Rwenzururu. Charles Wesley Mumbere peut enfin revenir dans son pays et se faire couronner souverain en 2009, à rang égal avec le Toro et le Bouganda.
Pourtant les deux monarchies voisines continuent de rejeter cette reconnaissance. Les tensions continuent. Charles Wesley Mumbere finit par se lasser du rôle culturel dans lequel il est confiné et décide qu’il est temps de reprendre son indépendance. Il veut régner de pleins droits sur le Rwenzururu. En novembre 2016, c’est l’affrontement avec les forces armées ougandaises. Le meurtre de 8 gardes royaux, en réponse à deux attaques de ceux-ci sur des postes frontières, met le feu aux poudres. Une nouvelle guerre menace de débuter en Ouganda, déjà l’objet des attentions d’un mouvement intégriste chrétien et des djihadistes d’Al Qaïda. Les échanges de tirs sont nourris autour du palais de Buhikira à Kasese où le roi s’est réfugié avec ses partisans. Plus de 200 personnes sont tuées dans cette tentative de coup d’État royal qui prend fin le 27 du même mois. Museveni a prévenu les sujets du roi à la télévision : « Pas un pouce du territoire ne sera enlevé à l’Ouganda ! ». Charles Wesley Mumbere est immédiatement embastillé, accusé de sécession ( il aurait proclamé la « République (couronnée) du Yira) » et de meurtrre. Le gouvernement tente de faire étouffer cette affaire mais elle est rapidement éventée et s’affiche désormais comme principales manchettes des médias internationaux qui relayent cette sédition royale peu commune. Libéré sous caution en 2017, le monarque est placé en résidence surveillée et depuis dans l’attente d’un procès qui ne vient toujours pas.
Techniquement, le souverain règne toujours mais la question de sa couronne a été soulevée peu de temps par la reine-mère qui a déclaré que « son fils avait trahi la mission fixée par son père » et « qu’il lui appartenait de sauver les meubles ». Son décès en 2019 n’a pas permis de clarifier la situation. Charles Wesley Mumbere restant en surveillance surveillée (décision du gouvernement en avril 2021), on ne sait toujours pas qui est à la tête du royaume ou qui le dirige comme l’a fait remarquer Joseph Kule Muranga, Premier ministre du Rwenzururu. A la grande satisfaction du Toro qui souhaiterait, quant à lui, la réintégration de l’État dans son royaume.
Frederic de Natal