C’est une succession de décisions maladroites prises par Londres qui vont pousser les treize colonies d’Amérique du Nord à se séparer de l’Angleterre en 1776. Le pays sombre rapidement dans la guerre civile, opposants les Patriotes (indépendantistes) d’un côté aux Loyalistes (royalistes) de l’autre. Si l’issue historique du conflit est connue de tous, le débat sur la monarchie ne s’est jamais éteint aux États-Unis et a refait surface sous le mandat du Président Donald Trump. La question de réintroduire un monarque dans la plus vieille et puissante démocratie du monde a été posée lors d’un récent colloque qui a intrigué la presse. Il y a quelques mois, un sondage a démontré que l’idée monarchiste faisait doucement son chemin aux États-Unis. La Revue Dynastie fait le point sur ces américains qui veulent couronner la Maison Blanche.
Il n’a jamais caché sa fascination pour les Windsor. Président des États-Unis (2017-2022), Donald Trump a réalisé le rêve de sa mère : Prendre le thé avec la reine Elizabeth II. Dans ses mémoires, cet entrepreneur à succès raconte avec détails comment Mary Anne MacLeod, d’origine écossaise, avait passé sa journée à regarder le couronnement de la fille du roi George VI en 1953 et comment cela s’était terminé en dispute rangée avec son père qui qualifiait « d’escrocs » tous ces « royaux ». Une anecdote qui illustre tout l’antagonisme exercé par l’institution royale sur les américains, tantôt fascinés par ces maisons royales avec lesquelles ils adorent danser ou dîner, tantôt méprisants à leur égard, jugeant les monarchies comme anachroniques, se souvenant du prix qu’ils ont du payer pour obtenir leur liberté.
Today President Trump met Queen Elizabeth II. She has met with 12 of the past 13 U.S. presidents. The odd one out? President Johnson. #TodayinHistory pic.twitter.com/gaK98y9ueI
— HISTORY (@HISTORY) July 13, 2018
Parmi les Patriotes, certains cherchent à mettre en place une monarchie
Pourtant lors de la déclaration d’indépendance, tous n’adhèrent pas aux idées de Benjamin Franklin, Thomas Paine, George Washington ou de Thomas Jefferson. Les historiens estiment que plus de 20% de la population ont refusé de se rebeller et ont fourni des contingents locaux aux troupes britanniques. Appelés « hommes du roi », « loyalistes », « Tories », ces royalistes vont donner du fil à retordre aux « Patriots » (Patriotes). Une fidélité à l’Angleterre qui s’explique par plusieurs points selon l’historien Leonard Woods Larabee. Parmi lesquels on peut citer, « l’irritation suscitée par l’obligation par les Patriotes de déclarer leur opposition alors qu’ils auraient préféré s’en tenir à une position attentiste », « un attachement sentimental durable à la Grande-Bretagne dû à des liens de famille et d’affaire », « une certaine prudence et la peur de l’anarchie résultant du désordre révolutionnaire » ou encore « un certain pessimisme, aux dires de certains, selon lequel ils ne partageaient pas la confiance en l’avenir affichée par les Patriotes ». D’ailleurs parmi les Patriotes, l’idée d’un rejet de la monarchie est loin de faire l’unanimité et certains ne vont pas hésiter à proposer que les futurs États-Unis deviennent une royauté à l’instar des nations européennes qui sont venues les soutenir (la mémoire de Louis XVI est encore très vivace aujourd’hui chez les américains) .
La tentative d’une monarchie élective
Un « conclave » se réunira secrètement. On pense au général Georges Washington qui refusera poliment la couronne tout en se montrant outré par cette proposition (1782), on sonde le prince Frederick de Hanovre tout en démentant les rumeurs en cours et on envoie même une délégation rencontrer le prince Henri de Prusse (1786) dont le pays a soutenu la cause des Patriotes et qui a été le premier à reconnaître l’indépendance des treize colonies. Si ces tentatives, sont accréditées par des courriers conservés dans les archives américaines et allemandes, c’est le député fédéraliste Alexander Hamilton, un des pères fondateurs de la nation américaine, qui reste le meilleur exemple de ce monarchisme ambiant qui persistait au sein d’une partie des Patriotes. Lors de la Convention constitutionnelle de 1787, il déclare qu’il serait préférable que les États-Unis aient un monarque électif doté de pouvoirs étendus. « Permettez-moi d’observer qu’un cadre est moins dangereux pour les libertés du peuple lorsqu’il est en poste pendant sa vie que pendant sept ans. On peut dire que cela constitue une monarchie élective. . . Mais en soumettant l’exécutif à la destitution, le terme « monarchie » ne peut s’appliquer » plaidera en vain cet élu qui estimait qu’une monarchie de ce type pouvait empêcher toute tyrannie puisque contrôlée par une assemblée. Sa proposition sera rejetée et le mandat présidentiel finalement fixé à 4 ans.
Norton Ier , Empereur des États-Unis
Les États-Unis n’ont connu qu’une monarchie, celle de Norton Ier (1818-1880). Homme d’affaires ayant connu la fortune et la banqueroute, il décide de se proclamer « Empereur » en 1859, puis « Protecteur de Mexico » lors de l’invasion du Mexique par les troupes de Napoléon III. Caricaturé dans une aventure de Lucky Luke, son « empire » ne dépassera pas les frontières de sa ferme, amusant la ville de San Francisco qui joua le jeu en le traitant comme tel. Si la reine Victoria ne répondit jamais à ses demandes en mariage, la monarchie Hawaïenne le reconnu néanmoins comme le « seul leader des États-Unis ». Si ce chapitre de l’histoire américaine peut prêter à sourire, il faut attendre les années soixante-dix pour que l’idée ressurgisse États-Unis, portés par la présidence de Richard Nixon. Deux écoles vont progressivement émerger avec les partisans d’un retour à la domination britannique et ceux d’une nouvelle monarchie américaine. Très minoritaire au sein de la population, ils vont surfer sur l’image d’une Lady Diana Spencer qui éblouit alors l’élite américaine. La famille Kennedy devient même le fantasme de certains qui font de cette dynastie politique, une famille royale par défaut.
Trump, un héritier fasciné par la monarchie britannique
C’est véritablement sous la présidence de Donald Trump que l’institution royale regagne du terrain. Ses visites en 2018 et 2019 chez « Queen Elizabeth II » ont eu du mal à cacher son monarchisme primaire (qu’il qualifie de « grande femme, une si grande personne, une personne historique ») ou son animosité constamment affichée vis à vis de Meghan Markle (la duchesse de Sussex étant plus proche des démocrates et du mouvement Black Lives Matter expliquant cela) ont intrigué les médias. Ils ont même suspecté le Parti républicain, dont il était le leader, de vouloir le couronner. « Il est facile de comprendre pourquoi Trump idolâtre la reine et l’institution de la famille royale. Pour un narcissique et un dur à cuire qui n’a jamais eu d’amour-propre, il est logique d’avoir une organisation vers laquelle il peut diriger selon son bon plaisir. Étant donné que la royauté semble incarner les attributs superficiels de la célébrité et de la renommée qui lui sont chers – les défilés, l’apparat, les jets privés, le bling-bling – il est normal pour cet héritier lui-même qu’il tente de s’associer à la famille royale britannique par tous les moyens qu’il peut, y compris à travers son propre héritage écossais. Il aurait fait un excellent loyaliste pendant la guerre d’indépendance américaine » écrit le magazine « The Spectator », en décembre 2021. Ce qui doit expliquer aussi pourquoi, celui qui est persuadé que Lady Diana aurait succombé à son charme, s’est associé avec le député Luiz-Philippe d’Orléans-Bragance dans la création d’un réseau social alternatif.
« Dieu sauve la reine ! »
En mars 2021, le groupe de réflexion Heritage Foundation a réuni conservateurs britanniques et américains sous le même toit lors d’un colloque consacré à la monarchie, ponctué par des « Dieu sauve la reine » comme le note le quotidien ‘« The Independant ». Nile Gardiner, un des présidents de ce Think Tank n’a pas hésité à déclarer que « les attaques américaines contre le palais de Buckingham étaient essentiellement anti-britanniques et provenaient de libéraux furieux qui haïssent la Couronne , le Brexit, la tradition, l’histoire, la civilisation occidentale et sans aucun doute aussi du thé et des scones ». Dans la foulée, les conservateurs américains ont suivi, faisant l’apologie de l’institution royale, voyant « principalement (celle-ci) comme une arme à utiliser, un rempart contre la » Cancel Culture » qui prévaut aux États-Unis ». « L’interview de Harry et Meghan n’a pas seulement suscité l’indignation des experts américains de droite, mais une défense passionnée de la monarchie constitutionnelle en tant que forme supérieure de gouvernement. Dans les jours qui ont suivi la diffusion de l’interview, des dizaines d’experts conservateurs américains ont défendu la monarchie britannique tout en attaquant Meghan Markle comme une « insulte au peuple britannique » pour avoir dénoncé ce qu’elle considérait comme de la discrimination et du racisme » souligne « The Indépendant ».
La tranche des 18-29 ans et des 30-44 (avec 21%), favorables à une monarchie
Quelle est donc la réalité de l’attachement des américains à l’idée monarchique alors des mouvements royalistes ont récemment émergé sur la place politique locale ? En avril 2021, un sondage a été réalisé par l’institut de sondage You Gov sur cette question. Pour 16% des américains, c’est une bonne chose que « l’Angleterre ait une monarchie » (à noter que 22% des afro-américains détiennent la première place du podium des personnes interrogées) contre 19% et 45% qui n’ont pas d’opinion sur le sujet, trop éloigné de leurs préoccupations. Mais lorsqu’on demande à ces mêmes personnes si elles accepteraient l’idée d’un roi aux États-Unis, seuls 5% des sondés se disent favorables au retour de la monarchie, 69% s’y opposant, 12% se situant entre les deux et 14% se disant dubitatifs. C’est la tranche des 18-29 ans et des 30-44 (avec 21%) qui se déclarent la plus favorable à une monarchie, confirmant ce que l’on peut constater sur les réseaux sociaux des partis royalistes américains. Que l’on soit Démocrate ou Républicain, 80% du corps électoral rejettent le retour de la monarchie, bien que l’avantage soit aux partisans du président Donald Trump avec 5% (cela monte à 7% si ils se déclarent conservateurs) face à ceux de Joe Biden (actuel occupant de la Maison Blanche) avec 4%. Loin de permettre le retour d’un roi.
20% des américains estiment que les Windsor un modèle à suivre
Quant à la question d’un prétendant, si on excepte Louis de Bourbon ou Paul de Grèce en raison de leur statut de résident aux États-Unis, on regarde toujours avec envie la famille royale d’Angleterre. 65% des personnes interrogées ont une très bonne opinion de la reine Elizabeth II ( 18% pensent le contraire) contre 33% à peine pour le prince Charles qui fait l’unanimité contre lui (43%). Palme au prince William et son épouse qui réunissent presque 60% de votes positifs à eux d’eux (moyenne des résultats effectués), talonnés de près par le prince Harry, plus chanceux que son épouse qui ne recueille que 47% d’avis favorables ( on lui prête des ambitions politiques). Pourtant à peine 20% des américains estiment qu’ils sont un modèle à suivre. Tout est dans la contradiction d’un antagonisme vieux de trois siècles désormais. « Make american monarchy great again ! » n’est pas prêt encore prêt de figurer sur les casquettes américaines demain.
Frederic de Natal