« Tous les fous sont royalistes, mais tous les royalistes ne sont pas fous », aime-t-on à dire dans la maison d’Orléans. Aujourd’hui encore, sous la Ve République, des hommes et des femmes réclament un roi, et une minorité rêve même d’un sacre. Sont-ce des fous, des rêveurs, des réactionnaires ? Notre gonzo journaliste a enquêté pendant un mois avant de pouvoir les rencontrer.

Des royalistes, il en existe beaucoup, et de toutes conditions sociales, ai-je pu observer durant mon enquête. Des professeurs, des Gilets jaunes, des jolies trentenaires et des vieux dandys… Des royalistes qui veulent un sacre en bonne et due forme, en revanche, j’en ai vu peu. La foi en une monarchie de droit divin serait-elle passée ? Mon premier réflexe a été d’interroger un ami écrivain, Charlie Roquin. Il a passé plus d’un an immergé dans le milieu royaliste pour écrire une politique-fiction où « il imagine le retour de la monarchie en France[1] ». Ce consultant en stratégie, à ses heures perdues, au départ novice sur le sujet, a fait un impressionnant travail d’investigation, rencontré des dizaines de personnalités, dîné dans d’innombrables cercles. C’était l’observateur le mieux placé pour me faire entrer dans cet univers underground.

Les fous du sacre @Dynastie

Sous les auspices du roi Maulin

Nous nous retrouvons dans le XVIIIe arrondissement de Paris, où la rumeur raconte que l’écrivain Olivier Maulin fut sacré un soir des années 2010 « roi de Montmartre, par des bohèmes de droite, disciples de Blondin ». Charlie, profitant de ces bons auspices, en vient directement à l’essentiel : « C’est chez les légitimistes que tu trouveras le plus facilement des partisans d’un sacre. Pour eux, le roi est dépositaire d’un principe sacré, un principe divin dont l’usage du Saint Chrême était la manifestation. La question du sacre a été très importante après la Révolution, notamment durant la Restauration. Louis XVIII avait fait profil bas, il n’avait pas eu de sacre. Tandis qu’après lui Charles X, qui était un légitimiste assumé, a repris la tradition en grande pompe, affirmant comme son frère Louis XVI qu’il était un roi de droit divin. » Mais nous en venons ensuite à Napoléon, dont David a immortalisé le sacre en 1807 pour la postérité. C’est à peu près tout ce que je sais sur les sacres : des types en collant et une guest-star qui reçoit une couronne. « C’est l’antisacre par excellence : Napoléon s’est autocouronné. Mais je sais qui t’en parlera le mieux : un énarque anarchiste qui veut être le prochain Charlemagne. ».

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Le péché de Verdun

Après de longs pourparlers sur la messagerie cryptée Signal, Philibert*[2] me reçoit chez lui, un week-end d’octobre, en banlieue parisienne. Nous sommes une dizaine. Il n’y a que des hommes, trentenaires, à l’exception de son épouse, une Libanaise. Tout le monde est en pull et pantalon noir. Je me croirais dans un bar de Black Blocs à Montreuil, si l’appartement n’était pas de style Empire. Philibert et ses amis boivent du schnaps. L’un d’eux tient un cochon en plastique, une sorte de jouet pour chien, et le fait couiner en me regardant dans les yeux. Je me rends compte que toute l’assemblée me regarde avec hostilité. « C’est bon, laisse tomber, il ne poucavera pas. C’est un ami de Clément. » Les convives me laissent en paix.

Philibert a été avocat d’affaires avant de passer les concours administratifs. Il ne me dira pas autre chose. Peut-être est-il passé par le Quai d’Orsay (il parle 6 langues, dont le russe et le japonais), et non par l’ENA. Quoi qu’il en soit, sa thèse est simple : la source de tous les problèmes de la France remonte au traité de Verdun, en 843 : « C’est le péché originel du pays, parce qu’à Verdun on a voulu diviser un peuple qui voulait rester uni, en bâtissant des frontières artificielles. Est-ce un hasard si mille ans plus tard les descendants du royaume franc s’entredéchiraient dans la même ville ? » Philibert pense que seul le sacre d’un « Français des deux rives » pourrait rassembler « toutes les tribus françaises ». « Il y a bien mieux qu’un droit du sol pour réunifier un agrégat de peuples désunis, pour citer une formule de Robespierre. Une citoyenneté d’empire. Quitte à utiliser cette hachette malienne [il me montre une hache accrochée au mur, qui ressemble étrangement à une francisque] lors du sacre, pour rassembler toutes les origines. » Qui serait cet homme providentiel ? « Moi. » À son regard souverain et son œil noir, je comprends qu’il y croit vraiment.

Y a-t-il encore un pilote dans l’avion ?

Quelques jours plus tard, c’est un jeune normalien de la rue d’Ulm qu’un contact commun me présente dans un bar d’Odéon. Gaultier* n’a pas 25 ans, et c’est « un immense admirateur de Jean Raspail ». Royaliste romantique, « il s’est reconnu avec humour » dans l’un des romans de son maître, Sire. Il y a découvert la différence essentielle qui distingue le faste monarchique de la pompe républicaine. « Toute cérémonie, en engageant l’esprit de sérieux, prend le risque du ridicule. Pour qu’une cérémonie “fonctionne”, une certaine alchimie est nécessaire, qui transfigure les éléments matériels présents (le drapeau, la musique, les costumes, les textes récités) pour en faire des vecteurs de signification et d’émotion. » Or, pour ce jeune professeur de lettres, nous ne croyons plus dans les idéaux de 1789. Ils sont devenus secs, froids… et ridicules. « Il suffit parfois d’un éclat de rire pour rompre le charme. C’est comme en avion. Si quelqu’un cesse sincèrement de croire qu’il est possible que l’avion vole, celui-ci se casse la figure : c’est une chose que savent tous les enfants. C’est pareil pour les présidents républicains. Au fond, nous ne croyons plus du tout au pouvoir transcendant du suffrage universel. Alors qu’un roi de droit divin, comme Pharamond dans Sire, demeure intouchable malgré sa naïveté. Il est intouchable, parce qu’il s’inscrit dans les racines symboliques millénaires de la France. »

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Maÿlis Deus vult

Quinze jours plus tard, c’est un ami dessinateur de mode qui me conduit en bord de Marne, dans une péniche. En ce début du mois de novembre, il fait froid, les rues sont tristes et de la brume habille le fleuve comme la buée sur la glace d’une salle de bain. La péniche est isolée, loin de toute habitation. Nous y venons pour dîner « à la chandelle, avec quelques amis royalistes ». Notre hôtesse est une ravissante chouanne de 30 ans, rousse comme Marianne et légitimiste comme Chambord. Elle nous a préparé des « magrets de pigeons » qui fondent en bouche comme du beurre à la truffe. Au courant de mon enquête, elle n’y va pas par quatre chemins. « La monarchie a toujours été reçue des mains de Dieu, elle trouve ses racines au plus profond du christianisme, et si le roi était de droit divin il n’était pas pour autant le seul maître à bord. Au-dessus de lui découlait une autorité supérieure qui restait le garde-fou de sa conscience. » Consciente que les mentalités ont évolué, elle n’en démord pas pour autant : « Il faudra un travail préparatoire pour faire comprendre aux Français que la monarchie comme le sacre ne sont pas une ineptie. Mais ce ne sera pas si compliqué : beaucoup d’immigrés en France partagent le même besoin de sacré et d’autorité que nous. »

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Plus bel le sacre

Pour Guillaume, son voisin de table, un Normand aux airs de Viking et au bouc taillé en pointe, si le roi revenait, il faudrait « moderniser la cérémonie du sacre » : « Si demain un roi était sacré en France, il ne faudrait ni pape ni génuflexion. On est au XXIe siècle ! » Comment faudrait-il s’y prendre, alors ? C’est une sorte de sosie d’OSS 117, avec des yeux vairons et un torse épais, resté silencieux jusqu’ici, qui me répond gravement. Son franc-parler est digne d’un film d’Audiard. Il m’explique d’abord qu’il est descendant, du côté paternel, d’une vieille famille de la noblesse de robe du Sud-Ouest, anoblie au xve siècle pour ses talents de juriste. Du côté de sa mère, il descend d’un cousin de Charles Quint : « L’ancêtre de ma mère était le gars sûr de Carlos Quinto. Avec lui, ils ont cassé beaucoup de tronches. » Sur sa chevalière, j’aperçois deux lions rugissants. Le propriétaire de cette bague en or massif a aussi deux grandes mains, comme des battoirs. Il me jette un regard rieur : « J’aime me battre », me dit-il en nous resservant de bourgogne. Il me raconte comment un grand footballeur des années 2000 l’a entraîné au CrossFit pendant cinq ans, en Seine-Saint-Denis. « C’est là-bas que j’ai tout appris, avant de gagner les municipales dans mon fief. » Je comprends alors que ce sosie d’Hubert de la Bath est un authentique royaliste, maire d’une petite commune du Bourbonnais où sa famille a « émigré » au XIXe siècle. Admirateur de Philippe le Bel, il soutenait d’ailleurs les Bourbons jusqu’à ce qu’« une de ses ex le trompe avec un cousin de Louis XX, un Espingouin ». Depuis, il a épousé une ravissante Vendéenne-Kényane, qui nous écoute discuter en se retenant de rire.

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Le roi s’habille en Balmain

Visiblement ivre, il poursuit ses confidences, qui se font bientôt manifestes : « Aujourd’hui, personne n’est capable de reprendre le trône de France à part moi. Il nous faut une vraie monarchie constitutionnelle où l’exécutif revient au roi. » Hubert du Bourbonnais me décrit son sacre idéal. « Déjà, il me faudra un pape. Je prendrai le pape émérite [Joseph Ratzinger], parce que je ne vais pas prendre un progressiste. Faut pas déconner. Ça se passera à Saint-Denis, en présence de l’aîné de chaque famille de la vraie noblesse de France. Certainement pas avec la noblesse d’Empire, ce sont des usurpateurs. Il y aura aussi toute ma famille. Et puis tous mes potes. » Et comment sera-t-il vêtu ? « Comme un prince. À la Louis IX, mais on demandera à Balmain de moderniser le truc. C’est Balmain qui habille les filles de la Légion d’honneur. Ça a du sens. » Je lui demande alors si je pourrai en être. « Oui, mais d’abord il faut que je t’anoblisse. » Il sort alors sa dague de chasse et la trempe dans un Corton-Charlemagne 1991. « T’as pas un fief, un bled ? » Issu d’une famille morvandelle et auvergnate, je tranche pour le fief qui est dans ma famille paternelle depuis des générations, Ponay (avec un « a »). « Tu ne vas quand même pas t’appeler le “chevalier de Ponay”, c’est ridicule. Tu seras Yrieix de Nys du Ponouaÿe. Ça sonne mieux. » À ces mots, il me signe de sa lame. L’ensemble des convives se lèvent en riant et entonnent d’une voix vibrante l’hymne des Bourguignons pour bénir mon adoubement. Me voilà donc presque chevalier. En attendant une validation officielle du garde des Sceaux ?

Yrieix Denis

[1] Sortie prévue le 7 janvier 2022.

[2] Par souci d’anonymat, tous les prénoms ont été changés.