La source de toute légitimité se trouve dans la bible. Tout le monde est d’accord là-dessus, du moins jusqu’à la révolution française. L’apparition du sacre royal, inconnu de l’Antiquité romaine, provient donc de la tradition biblique et des souverains de l’ancien Israël.

Samuel donnant l’onction royale à David attribué à Peter Sion, vers 1667 @Dynastie

La doctrine, demeurée constante depuis l’aube des temps de la monarchie chrétienne, est que toute royauté venant de Dieu a pour modèle historique en ce monde celui du peuple choisi, Israël, dont la race aboutit, par la chair et par l’Esprit, au Christ Jésus. Mais l’apôtre Paul est allé plus loin en expliquant, dans son Épître aux Hébreux, que le sacerdoce lévitique – celui d’Abraham et d’Aaron – dérive d’un sacerdoce premier, universel, conféré à Abraham par un mystérieux roi de Salem, Melchisédech, en qui se retrouvent Adam et le Christ. Et le psaume 110 s’adresse au roi d’Israël en l’appelant Seigneur, et lui dit : « Tu es prêtre selon l’ordre de Melchisédech. »

De son côté, le prologue de la Loi salique établit une rigoureuse continuité entre la vocation du Peuple élu de l’Ancien Testament et celle du peuple chrétien naissant. À partir de là, pour mieux s’inscrire dans la filiation historique et mystique des rois d’Israël, clercs et princes n’ont cessé d’extraire leur « religion royale » de la tradition biblique. Or, qui étaient ces rois juifs ?

Les rois d’Israël apparaissent après l’exode d’Égypte et l’entrée en Canaan. Au moment où, ayant achevé sa migration géographique, le peuple commence à s’installer aussi « dans le temps de l’histoire ».

Prêtre, prophète et roi @Dynastie

À ce peuple qui rêve d’être « comme les autres nations », Dieu va forger une royauté pas ordinaire. Prophétique, démocratique et historique. Notons que ces trois niveaux dans la désignation de celui qui doit régner sont entrés dans la constitution non écrite de la France pour définir les trois critères de la légitimité du prince : il doit avoir reçu l’onction, parfois secrète, de la vocation personnelle, il doit avoir été élu d’entre le peuple et par le peuple selon le droit, il doit enfin avoir mérité par ses services rendus, ses « exploits », la confiance totale qu’on lui accorde et qui s’exprime par les acclamations.

Pour observer comment l’histoire a permis en France d’extraire la leçon des rois d’Israël, il faudrait enchaîner la lecture de tous les autres sacres et observer comment, Saül ayant démérité, David, le pâtre roux de Bethléem, reçoit secrètement l’onction à son tour et entre, comme chantre et guerrier à la fois, au service du monarque ombrageux qui le persécute. Il conviendrait de noter comment David est sacré à nouveau après la mort de Saül et accède au trône de Juda, puis d’Israël. Enfin, comment il désigne lui-même son fils Salomon pour lui succéder. Et toujours l’onction est le signe de cette élection, qui ne va ni sans la volonté de l’Esprit, ni sans la voix du peuple : « Le prêtre Sadoq prit dans la Tente [de l’Arche d’Alliance] la corne d’huile et oignit Salomon, on sonna du cor et tout le peuple cria : “Vive le roi Salomon !” Puis tout le peuple monta à sa suite, et le peuple jouait de la flûte et manifestait une grande joie, avec des clameurs à fendre la terre »  (1 Rois 1, 39-40).

Samuel donnant l’onction royale à David attribué à Peter Sion, vers 1667 @Dynastie

Les principes de la royauté sont ici posés dans leur plénitude. Un homme, un être humain pris en sa personne la plus distincte, appelé « par son nom », peut être à l’origine – non pas biologique ou ethnique, mais spirituelle et historique – d’un peuple et d’une nation. Son unique destinée contient, traduit, exprime une pluralité de consciences et de destins et leur imprime un sens. Et cela – que ce soit dans le long terme de l’histoire ou dans l’éblouissement de l’instant – n’est pas pour l’individu ou le peuple une aliénation, mais une conquête, un triomphe qui se marque par « des clameurs à fendre la terre ».

En effet, comme le démontre Raphaël Draï par les moyens de l’exégèse hébraïque, « le roi juif n’est pas seulement melekh [roi]. Sa véritable singularité s’énonce dans le titre de machiah’ : messie, oint ». Et de s’émerveiller comme nous de la manière dont l’héritage s’est transmis : « Quel est le sens du rite ou mieux de la liturgie de l’onction, liturgie si impressionnante et si tenace qu’elle sera reprise pour les rois chrétiens et qu’elle survivra jusque dans la France du  XIXe siècle ? »

Luc de Goustine

Auteur de Service royal, du Mystère à l’Histoire, les Unpertinents, 2021, 201p. 17€

. . .

Ce contenu est réservé aux abonnés.


Frédéric de Natal

Rédacteur en chef du site revuedynastie.fr. Ancien journaliste du magazine Point de vue–Histoire et bien d’autres magazines, conférencier, Frédéric de Natal est un spécialiste des dynasties et des monarchies dans le monde.

Ses autres articles

Privacy Preference Center