La couronne russe est vacante depuis 1917 mais tous les Romanov n’ont pas connu le même destin. C’est à Saint Briac, en Bretagne, que les membres de la branche Kirillovitch se sont établis après avoir fui les exactions des bolcheviques. Depuis trois décennies, c’est la grande-duchesse Maria Wladimirovna qui assure les fonctions de prétendante au trône. Bien qu’elle se fasse désormais plus rare dans les médias, elle est revenue très brièvement son rôle et ses droits au trône lors d’une interview accordée à un journal russe.
« Je suis ouverte aux échanges, je n’évite aucune sorte de questions, même les plus délicates. Mais je n’impose ma personne à personne ». Depuis plusieurs mois, elle se fait discrète. Sa dernière apparition remonte au mariage de son fils, le grand-duc Georges, avec la princesse Victoria Romanovna en octobre dernier. Prétendante au trône de Russie depuis 1992, la grande-duchesse Maria Wladimirovna n’est pas inactive pour autant. Elle assume sa position et jette un regard ému et critique sur les événements qui ont conduit son grand-père, le grand-duc Kirill, sur les routes de l’exil en 1917. Un périple qui s’arrêtera au petit village breton de Saint Briac, loin de la frénésie de Paris ou de Cannes, lieux privilégiés par la communauté des russes blancs.
« Mes ancêtres aimaient leur pays et leur peuple, ont toujours agi dans l’intérêt des deux »
Pour la grande-duchesse, on aurait tort de regarder, d’étudier la révolution russe de manière manichéenne. Chez les Kirillovitch, on est persuadé que la révolution qui a mis à terre une monarchie tricentenaire, celle qui a amené les bolcheviques au pouvoir et la guerre civile qui a éclaté par la suite, tout cela reste une « tragédie commune avec des responsabilités de part et d’autre des camps en présence ». Un chapitre douloureux de l’histoire russe qui divise encore ses compatriotes. Pour Maria Wladimirovna, ce débat doit être dépassé désormais tant les acteurs, blancs ou rouges, de cette époque ne sont plus là aujourd’hui. « Nous n’avons pas le droit d’être juges ou d’exiger la repentance et il serait temps que chacun cesse de blâmer l’autre sur les erreurs commises, cherche plutôt à ouvrir un dialogue apaisé afin que cela accouche d’un consensus national » souligne la grande-Duchesse, récemment interviewée par l’agence de presse multimédia internationale « Sputnik ». Une héritière qui appelle également à prier pour le repos de l’âme des russes tombés durant la guerre civile.
« Mes ancêtres aimaient leur pays et leur peuple, ont toujours agi dans l’intérêt des deux. Le Tsar Nicolas II, alors qu’il était en état d’arrestation et allait bientôt être exécuté avec toute sa famille (juillet-1918-ndlr), a transmis son dernier ordre, à savoir que personne ne devrait chercher à se venger en son nom » rappelle cette descendante d’Alexandre II, le tsar libérateur. Voix des exilés, politique, son grand-père a toujours espéré que les Romanov reposeraient un jour le pied dans la mère-patrie. C’est en 1991, après l’effondrement de l’Union soviétique, qu’ils ont enfin embrassé le sol d’un pays, que certains des membres de la maison impériale n’ont connu qu’à travers les livres. « Pour une partie, la Russie a continué et continue d’être leur patrie, ne serait-ce que dans leurs rêves. D’autres se sont complètement assimilés dans leur nouveau pays d’origine » explique Maria Wladimirovna. Avant de préciser que lorsqu’elle a, elle-même, débarqué à Saint-Pétersbourg, elle a eu un sentiment mêlé « de joie et de douleur ».
« Il y a certaines forces qui cherchent à éliminer cet équilibre »
«. Le communisme était dépassé, les changements étaient nécessaires. Notre patrie a réussi à éviter une nouvelle guerre civile à grande échelle dans les années 1990. Les gens le comprennent et apprécient l’équilibre qui s’est formé. Mais de nombreuses promesses faites par les nouveaux dirigeants se sont avérées erronées ou fausses, et de nombreux espoirs et aspirations du peuple n’ont pas été réalisés en raison de la tromperie cynique ou des réformes inconsidérées de certains des dirigeants. Il m’a parfois semblé à première vue que la Russie venait de vivre une sorte de guerre que personne n’avait connue. Cette impression a été créée par les visages tristes et surmenés que j’ai vus, les rues grises, les champs abandonnés, les usines désaffectées et les bâtiments en ruine et inconfortables » explique la grande-duchesse. « Malheureusement, il y a certaines forces qui cherchent encore à éliminer cet équilibre et ressemer les graines de la haine et de la vengeance » regrette cette héritière au trône.
Contestée dans ses droits par une partie de sa famille qui l’accuse de ne pas répondre aux exigences de la Loi Pauline qui définit la succession au trône, elle s’explique. « Chaque famille, et plus encore une dynastie, a ses propres « frondeurs ». C’était le cas même à l’époque des monarchies absolues, lorsque les dirigeants avaient un pouvoir illimité. Et lorsqu’une dynastie est privée de son trône, de son pouvoir et envoyée en exil, elle ne devient qu’un terreau fertile pour ce genre d’opposition intérieure. Il y aura toujours des membres de la famille mécontents de quelque chose, qui font diverses réclamations, sont prompts à être jaloux ou à s’offusque » explique la grande-duchesse. « Parfois, nos détracteurs ne comprennent tout simplement pas que le poste de chef de la maison impériale ne concerne pas avant tout des droits, mais des devoirs. Ces devoirs sont hérités conformément à la loi, et non sur la base de qui aime et n’aime pas qui, quels groupes politiques vous reconnaissent ou ne vous reconnaissent pas, et ainsi de suite. Une dynastie royale qui rejette l’idée de monarchie et les règles de succession légale est aussi absurde et impossible à imaginer que l’Église renonçant à la foi en Dieu et abolissant les canons » ajoute-t-elle.
« Je suis devenue la chef de la maison impériale russe »
« Lorsque mon père est décédé. Il y avait alors d’autres descendants en ligne directe masculine, mais ils descendent de membres de la dynastie qui ont contracté des mariages non dynastiques. Par conséquent, conformément à la loi, je suis devenue le chef de la maison impériale russe. Mon fils, le moment venu, deviendra le Chef de la maison impériale après moi et le restera jusqu’à sa mort. Si le Seigneur lui accorde des enfants, le statut de cette progéniture sera également déterminé en temps voulu » renchérit la grande-duchesse.
« Au cours des 30 dernières années, j’ai voyagé à travers presque toute la Russie, visitant la plupart de ses régions de Kaliningrad au Kamchatka, d’Arkhangelsk et Mourmansk au nord à l’Ingouchie et la Kalmoukie au sud, et la Bouriatie. J’ai également visité plusieurs États nouvellement indépendants : l’Ukraine, la Biélorussie, la Géorgie, l’Arménie, l’Ouzbékistan et la Transnistrie. Partout où je suis allé, j’ai vu de la gentillesse, de l’optimisme et de la joie, mais, malheureusement, aussi beaucoup de souffrance et de chagrin ». A 67 ans, elle continue de voyager. La maison impériale de Russie est proche de l’actuel occupant du Kremlin et de l’église orthodoxe qui a reconnu ses droits au trône. Si elle est de plus en plus en présente dans la vie sociale de la Russie, elle n’entend pas interférer dans le processus politique du pays, souhaitant avant tout être la gardienne d’une histoire, d’un patrimoine et d’une culture qui continue de fasciner tout un continent.
« Nous essayons au mieux de nos capacités d’exercer une diplomatie de « soft power », d’être une sorte d’amortisseur dans des situations de conflit (…) ». Jusqu’ici très présente dans la vie sociale de la Russie, elle n’entend pas pour autant interférer dans le processus politique du pays, souhaitant avant tout être la gardienne d’une Histoire, d’un patrimoine et d’une culture qui continue de fasciner tout un continent.
Frederic de Natal