C’est une bataille épique comme les livres d’histoire en regorgent. Mais celle-ci va être d’un autre goût lorsque dans la dernière semaine du mois de septembre 1918, le général Jouinot-Gambetta lance un raid à cheval avec le 1er et le 4e régiment de Chasseurs d’Afrique renforcé par un autre composé de Spahis marocains afin de forcer les lignes allemandes et bulgares. Sans chars, sans aviation, les cavaliers français réussissent l’exploit de s’emparer de la ville d’Usküb et ses hauteurs dans la nuit du 28 au 29 septembre contraignant la Bulgarie à signer un armistice le lendemain. Si les dernières pages de la cavalerie française s’écrivent dans les Balkans en même temps que sombrent les Empires centraux, c’est aussi l’épilogue d’une histoire millénaire de la cavalerie militaire dépassée par les progrès de la guerre industrielle.
C’est à l’Âge du bronze qu’apparaissent les premiers cavaliers. Tandis qu’au Proche-Orient, le cheval n’est encore que du gibier, il est déjà domestiqué durant la deuxième et le premier millénaire avant notre ère par les nomades mongols et tibétains qui, lors de grandes invasions cavalières, répandent son usage jusqu’en Europe. À cette époque, le cavalier n’est encore qu’un simple archer. S’ensuit alors un perfectionnement de l’usage du cheval à des fins guerrières. Ainsi à Qadesh en 1274 av. J.-C., les Égyptiens de Ramsès II et les Anatoliens hittites alignent de part et d’autre plusieurs milliers de chars. Les Assyriens vont ensuite se débarrasser de la roue et donner à la cavalerie une première forme similaire à celle que l’on s’imagine aujourd’hui, c’est-à-dire celle de cavaliers épéistes ou lanciers. Leurs successeurs perses vont perfectionner des unités d’archers montés dont l’efficacité se brisera finalement un jour devant le génie d’Alexandre le Grand. L’illustre Macédonien crée une composante équestre au sein de ses phalanges et développe ainsi une véritable arme de choc qui, lorsqu’elle est habilement combinée avec la lourde infanterie d’hoplites, se révèle être un atout formidable. C’est à Issos le 1er novembre 333 av. J.-C. où la cavalerie macédonienne révèle toute sa valeur tactique et rend victorieuse une armée en nette infériorité numérique grâce à la célèbre stratégie dite « du marteau et de l’enclume ». L’infanterie contient la masse adverse (l’enclume), en même temps que les cavaliers lourds mènent des charges latérales successives pour enfoncer les lignes adverses en direction de leur centre (le marteau). Quant aux Romains, s’ils constituent avec leurs légions un modèle militaire prodigieux à même de soumettre la quasi-totalité de bassin méditerranéen, celui-ci repose principalement sur l’infanterie tandis que la cavalerie est laissée au soin des unités auxiliaires barbares.
La cavalerie obtient la primauté sur le champ de bataille
Au Moyen Âge, la cavalerie obtient la primauté sur le champ de bataille. Les armées perfectionnent l’attirail du cavalier et elles redécouvrent de vieilles innovations comme l’étrier réutilisé par les byzantins. En Occident se développe le modèle de la chevalerie et du cavalier bardé de fer, ancré depuis solidement dans notre imaginaire. Mais le système féodal empêche les chevaliers de se regrouper en de véritables corps de cavalerie homogènes, ce qui ne les prive pas pour autant de dominer tactiquement le champ de bataille pendant un temps à l’instar des Francs de la première croisade dont le modèle tactique s’impose face aux cavaliers orientaux plus nombreux mais moins bien protégés.
Entre le XVe et le XVIe siècles la cavalerie militaire vit une période charnière en Occident mais aussi en Orient. En Europe, depuis Charles VII et ses compagnies d’ordonnances, elle commence à s’homogénéiser. Si la charge à la lance héritée du modèle féodal persiste encore après la guerre de Cent Ans, assez rapidement les progrès de l’artillerie, les salves d’arquebuses puis les mousqueteries mettent un coup d’arrêt à la suprématie de la cavalerie sur le champ de bataille – même si les archers anglais avaient déjà amorcé cette fin lors des défaites d’Azincourt et de Crécy – et obligent désormais les armées à manœuvrer. L’attaque frontale devient dépassée. C’est aussi à cette période qu’apparaît la cavalerie dite légère, à l’origine des unités roturières équipées d’armes à feu qui devaient décharger leurs plombs sur l’adversaire tandis que la charge était encore réservée aux unités aristocratiques. En Asie, la puissance des hordes cavalières s’estompe également et les gigantesques armées montées se subdivisent en unités et en communautés plus petites comme celles des khanats qui sont apparu après la chute de l’Empire mongol.
Un lent déclin
Néanmoins, si le XVIe siècle délaisse la tactique de choc, celle-ci réapparaît au XVIIe siècle à l’initiative de l’Anglais Cromwell et du Suédois Gustave Adolphe, en même temps que l’on crée des régiments spécialisés comme la maison militaire du roi ou les dragons par exemple. Car, comme le rappelle justement l’historien français Léon Mention, si la cavalerie a cessé au XVIIe siècle d’être la reine des batailles, elle est restée longtemps encore la reine de l’opinion. Reste que c’est l’infanterie qui tient le champ de bataille et conserve la primauté tactique, ce qui ne manque pas de vexer la vanité des cavaliers moderne encore attachés à leur héritage féodal. De fait, aussi prestigieuses ces unités soient-elles, elles n’ont permis aucun exploit stratégique comme l’eût pu l’être celui de Montgisard en 1177. Ainsi, au XVIIIe siècle les unités montées continuent de se spécialiser et de former des troupes légères à l’image des hussards incorporés d’abord dans les armées autrichiennes.
Dès lors, le XVIIIe siècle aurait pu entamer le lent déclin de la cavalerie sur le champ de bataille mais l’inspiration de Bonaparte donne encore aux cavaliers quelques belles années de gloire ; une sorte de baroud d’honneur avant que la guerre moderne ne vienne achever la charge de cavalerie. En 1804, l’empereur réorganise la cavalerie et lui donne pour mission d’éclairer, d’appuyer, de protéger et de soutenir l’infanterie et l’artillerie. Certaines charges retrouvent même une utilité tactique majeure comme celle de Murat à Austerlitz. Toutefois, le règne de la poudre demeure, et les charges massives sont impossibles. Cela, Napoléon le comprend et il donne à ses cavaliers un armement mixte leur permettant de combattre à pied, quand le feu leur interdit d’attaquer à cheval.
Pourtant, si le glas de la charge sonne dès le XVIIIe siècle, c’est en 1870 que son écho résonne plus fort encore. Le 16 août 1870, il y eut à Mars-La-Tour l’un des derniers affrontements majeurs entre deux cavaleries, celle des Français opposés aux cavaliers prussiens. Ces derniers mènent une véritable charge funèbre et perdent la moitié de leurs effectifs malgré la réussite de leur attaque. Le progrès de l’armement est tel que la cadence de tir accéléré, que les balles plus précises et les obus plus mortels ainsi que l’utilisation du blindage interdisent tout assaut avec une masse de cavaliers qui ne peuvent ni se protéger, ni se dissimuler. Mais si c’est la fin de la charge, ce n’est pas la fin de la cavalerie. Durant les deux conflits mondiaux, celle-ci continue d’exister, et pas seulement de manière anecdotique comme cela put l’être avec la charge de Krojanty le 1er septembre 1939 durant laquelle des escadrons polonais, héritiers des Hussards ailés, arrêtent pour une journée l’avancée des fantassins de la Wehrmacht (non pas les panzers comme on l’a trop souvent mystifié). En réalité, dans les conflits contemporains les cavaliers n’ont plus qu’un rôle logistique et un rôle tactique amoindri qui se limite qu’à de la reconnaissance et de l’infiltration comme à Usküb.
Enfin, la cavalerie n’est peut-être pas totalement morte. L’image glorieuse qu’elle procure demeure et par elle le cavalier militaire continue d’exister. Rappelons que Staline conservera une tradition impériale en permettant à Joukov de défiler avec un magnifique Tersk blanc lors de la parade de la victoire à Moscou le 24 juin 1945. Aujourd’hui encore le Kremlin organise des défilés montés aux allures tzaristes.
Léopold Buirette