« Christiade », « guerre des cristeros », « Vendée mexicaine »,… autant de noms qui ont été donnés à un des chapitres le plus douloureux de l’histoire mexicaine. Un pays pourtant très catholique mais marqué par des décennies de persécution religieuse. Une contradiction étonnante quand on sait que les pères de l’accession à l’indépendance furent tous issus de l’épiscopat local. Le déclenchement de cette guerre civile trouve ses racines dans une affaire qui ressemble à celle qui a éclaté en France en 1905. A la différence que le gouvernement mexicain va être plus radical dans ses prises de décisions que ses collègues européens. La suspension du droit de culte, de la vie liturgique et sacramentelle va profondément choquer les mexicains, déjà secoué par un autre conflit dit des « Religioneros », entre 1873 et 1876, et les forcer à brandir les bannières du Christ-roi comme symbole de résistance.
La « Christiade »,, une réaction à l’anti-cléraclisme
C’est l’église qui va porter le fanion de la liberté au début du XIXème siècle. Politisée et très conservatrice, elle est bientôt rejointe par une élite bourgeoise et créole qui s’identifie avec les prêches des prêtres. Et si c’est le principe d’une monarchie catholique qui est retenu, il sera éphémère, remplacé par une république instable et constellée de pronunciamientos. L’église va cependant conserver un réel pouvoir dans cette partie de l’Amérique centrale et se heurter aux régimes qui tentent de le juguler tant bien que mal. L’arrivée des libéraux et la parenthèse Habsbourg (1864-1867) va rabattre les cartes. L’église continue de catéchiser les campagnes tandis que dans les villes se développent un sentiment anticlérical et sectaire, notamment dans le milieu politique. L’adoption de la constitution de 1917 va jeter le feu aux poudres. La reconnaissance légale de l’église est niée, leurs biens nationalisés, les fêtes religieuses en dehors des enceintes de l’église interdites ou encore réduction de leurs activités sont autant de points que l’on retrouve dans les articles 3 et 130. Mais la palme de l’anticléralisme forcené va revenir au président Plutarco Elías Calles, élevé dans une haine apocalyptique de l’église et qui entend l’éradiquer du pays.
« Nous tenons le clergé à la gorge, nous ferons tout pour l’étrangler »
Face aux tentatives de Calles d’imposer son utopie socialiste et révolutionnaire, les catholiques s’organisent et une pétition rassemblant plus d’un million de signatures réclamant l’abrogation de la loi Calles, qui prévoit de lourdes sanctions à quiconque enfreint la constitution sur le volet religieux, ne reçoit pas l’effet escompté. Les manifestations succèdent aux manifestations sans que cela n’émeuve le gouvernement qui va ironiser la grève du culte déclenché par l’église en 1926. Les catholiques fondent même une ligue à l’image du « Bund » allemand, dirigée par de jeunes militants d’action catholique. Les tensions s’exacerbent, le Mexique se divise. Dans les rangs des laïcs, on trouve pêlemêle francs-maçons, protestants, ouvriers, syndicalistes et militaires qui détiennent 60% des postes gouvernementaux. En face, des catholiques sociaux encouragés par les préceptes du pape Léon XIII, les adhérents de l’Union populaire, un mouvement qui a connu une ascension fulgurante, la Ligue nationale de défense religieuse qui recrute dans les milieux aisés de la bourgeoisie et enfin des centaines de milliers de paysans attachés aux traditions religieuses qui rythment leur quotidien. « Nous tenons le clergé à la gorge, nous ferons tout pour l’étrangler » déclare Tejeda, le ministre de l’intérieur. L’affrontement est dès lors inévitable.
Une Vendée mexicaine contre « l’armée de Lucifer »
En dépit d’une légende tenace, les prêtres seront peu investis dans le conflit. A peine 25 se retrouvent impliqués réellement et 5 qui prennent véritablement les armes, devenant des chefs de guerre comme le controversé Padre Vega ou le curé Pedroza élevés au rang de saints par leurs compagnons d’armes. Dans sa grande majorité, l’église exhortera ses ouailles à agir de manière pacifique, Rome privilégiant la culture de la diplomatie afin de tenter d’apaiser tous les protagonistes et éviter de donner un blanc-seing aux cristeros. Les premiers soulèvements éclatent sporadiquement en août 1926 après que le gouvernement a décidé de fermer les églises pour inventaire, l’arrestation des prêtres, l’envoi de troupes dans les villages, etc. Régionalement, c’est aussi la fracture. La christiade ne va pas prendre dans le nord, pourtant générateur de révolutions, mais plus dans le centre-ouest et le sud. Une insurrection générale qui va être réprimée dans le sang des premiers martyrs, massacrés par « l’armée de Lucifer » quand ils ne sont pas parqués dans « des enclos à bétail ».
Malgré tout le mouvement se consolide dès juillet 1927 et devient une véritable armée de dizaine de milliers de membres qui se structure sous la houlette du général Gorostieta. C’est un état dans l’état qui se forme là où les cristeros contrôlent des territoires, une société plus équitable, démocratique, juste et morale. « Plutôt mourir que de renier le Christ-roi » est un crédo placardé sous les bannières de Jésus-Christ et de Notre Dame de Guadaloupe. Le gouvernement de Calles se voit bientôt contraint de négocier menacé par un coup d’état. Le 21 juin 1929, coup de tonnerre. Rome et Mexico signent un accord. La loi anticléricale restera en place mais ne sera pas appliquée d’une manière hostile. Les cristeros n’ont pas eu le temps de se faire représenter ni même faire entendre leurs voix. Ils acceptent de déposer les armes mais avec un sentiment de trahison. Au début de la christiade, le Mexique comptait 3000 prêtres. En 1935, ils n’étaient plus que 334 et 17 états n’avaient plus un seul prêtre en service. Aujourd’hui encore, bien que la constitution ait été modifiée à de nombreuses reprises, la guerre des cristeros, qui a fait 100 000 morts, reste un sujet tabou au Mexique.
Frederic de Natal