Lorenzo Chiappani est chef de la police de Florence, capitale du Grand-duché de Toscane, lorsqu’il expire subitement en 1821. Dans les affaires qu’il a laissé à sa fille Maria-Stella Petronilla, une lettre contenant des informations confidentielles qui pourrait la mettre en danger. Le début d’une étrange affaire.
Née en 1773 dans le petit village de Modigliana, elle est l’aînée d’une fratrie de trois enfants. Éduquée durement, elle assiste aux disputes incessantes de sa mère, Virginia, avec sa belle-sœur, tout en développant une passion pour le dessin. La jeune fille ne manque rien et la profession de son père lui permet de s’adonner à l’équitation et au chant. Elle est pourtant malheureuse, brimée comme elle le racontera dans ses mémoires. La venue de Sir Thomas Wynn of Glynllifon (1736-1807), titré Lord Newborough, pour lequel ses parents montrent une déférence inhabituelle, va sonner comme une vrai-fausse liberté. Il veut l’épouser, elle hésite, refuse et le fait savoir. Pleurs et autres jérémiades ne feront pas plier ses parents qui envoient leur fille en Angleterre, dans son nouveau château. Un mariage de courte durée mais qui laisse la veuve en possession d’une fortune colossale. Le baron Edouard Ungern-Sternberg n’en fera qu’une bouchée et arrive à ravir son cœur.
A la recherche du « comte de Joinville »
« Le jour que vous naquîtes d’une personne que je ne puis nommer, et qui est déjà passée dans l’autre vie, il me naquit aussi un garçon. Je fus requis à faire un échange, et attendu à ma fortune de ce temps, je consentis à des proposition réitérées et avantageuses, et ce fut alors que je vous adoptai pour ma fille, de la même manière que mon fils fut adopté par l’autre partie ». A la lecture de ces premiers mots, Maria-Stella Petronilla commence à se poser des questions et se convainc que cela ne peut qu’expliquer tous les mauvais traitements subis dans son enfance. Elle se pense fille du grand-duc de Toscane puis des proches de son père finissent par lui dire qu’elle est celle du « comte de Joinville qui avait de riches possessions en Champagne ». Elle se lance alors dans une quête d’identité, prélude à une énigme qui trouble encore tous les historiens. Première victoire trois ans après le décès de son père, une lettre de l’épiscopat de Faenza qui atteste qu’elle a bien été échangée à sa naissance, reprenant les éléments donnés par son père. Pour Maria-Stella Petronilla, nul doute que son père est le duc Louis-Philippe d’Orléans avec laquelle elle partage une vague ressemblance et qui est né la même année qu’elle. Fort de divers éléments, elle fait publier un livre en 1830, histoire de se rappeler au bon souvenir de son supposé frère monté sur le trône, intitulé « Maria Stella ou un échange d’une demoiselle du plus haut rang contre un garçon de plus vile condition ». Ce livre va devenir une arme de discrédit (encore aujourd’hui) utilisé par l’opposition républicaine et légitimiste, deux mouvances qui n’acceptent pas ce fils de régicide comme souverain, « né dans un cachot ». Elle peine à rallier autour d’elle mais se fait désormais appeler Baronne Newborough-Sternburg de Joinville ou parfois Marie Étoile d’Orléans. La bonne société parisienne, agacée de ses revendications filiales et financières (elle réclame la fortune du duc d’Orléans) qui reposent sur très peu de preuves ou des témoignages imprécis de témoins, finit par se détourner de cette baronne.
Une énigme clôturée pour les uns, qui se poursuit pour les autres
Quelle vérité derrière les allégations de cette baronne qui va finalement mourir en décembre 1843, veuve et pauvre, victime de diverses escroqueries ? Il est déjà assez improbable que le duc d’Orléans ait été à Modigliana lors de sa naissance puisque les historiens ont pu prouver qu’il était à Paris au même moment. D’autant que le futur Louis-Philippe Ier d’Orléans est né en octobre, soit six mois après Maria-Stella Petronilla. Nommé Grand-maitre d’une loge maçonnique, il était présent à toutes les réunions et participait aux bals de Versailles. Il était même impossible que son départ ait pu être autorisé sans permission du roi au vu de sa place au sein de la famille royale. Des contre-arguments développés par Maurice Vitrac qui a publié un dossier complet en 1907 sous le titre « Philippe Egalité et M. Chiapani » et qui affirme que le père n’est nul autre que le comte Carlo Battaglini, un aristocrate de Rimini. Il est vrai que Louis-Philippe Ier fit envoyer un de ses représentants après avoir aperçu une annonce dans plusieurs journaux qui stipulait qu’une personne, « fille des époux Joinville », recherchait ses parents. Le titre de « comte de Joinville » était en effet le pseudonyme de son père lorsqu’il voyageait. Dans un ouvrage consacré à Philippe Egalité, l’historien André Castelot lui-même démontre que Maria-Stella Petronilla ne pouvait être sa fille pas plus que son épouse n’ait pu être enceinte avant. Et comme le souligne le journaliste Philippe Delorme, une analyse ADN, réalisée en 2013, a prouvé que les Orléans étaient des descendants de Louis XIII sans une once de bâtardise en eux.
L’énigme est-elle pour autant clôturée ? En 2003 l’écrivaine Noëlle Destremau (aujourd’hui disparue) a publié une nouvelle enquête avec d’autres éléments tentant à confirmer les dires de Maria-Stella Petronilla d’Ungern-Sternberg. Un ouvrage que l’on retrouve en bonne place sur les sites naundorffistes (Fondation de Bourbon) et légitimistes (Présence du Souvenir Bourbonien). Prix de la querelle dynastique qui se poursuit encore aujourd’hui.
Frederic de Natal.