Un nom, un empire, une histoire qui fascine toujours encore un siècle après sa chute. En 2016, le Pape François a reçu en grande pompe plus de 300 membres de la maison impériale des Habsbourg-Lorraine. Un évènement qui a été largement médiatisé. La religion est indissociable de la vie de cette dynastie dont les membres restent de fervents catholiques. Encore aujourd’hui. Il y a 17 ans, le Saint-Siège a décidé de béatifier Charles Ier, le dernier empereur-roi d’Autriche-Hongrie, tant pour ses tentatives de mettre fin à un conflit fratricide que pour ses profondes convictions en la foi chrétienne. Retour sur la vie de ce souverain à la couronne d’épines, un personnage à la dimension européenne que l’on redécouvre doucement.
Charles d’Autriche aurait certainement préféré une vie de bourgeois, quelque missions militaires dans l’immensité de l’empire mais les affres de l’Histoire en ont décidé autrement. Le suicide de l’archiduc Rodolphe en 1889 l’a placé plus rapidement que prévu dans la lignée de succession au trône. Devant lui, un autre archiduc François-Ferdinand dont le mariage morganatique a défrayé la chronique. Face au conservatisme affiché de l’empereur François-Joseph, les deux cousins font figure de libéraux. Le 28 juin 1914, l’attentat de Sarajevo va bouleverser son quotidien. François-Ferdinand assassiné par un étudiant serbe, Charles devient à 27ans le nouvel héritier au trône d’un empire composé de diverses nations qui ne vont pas tarder à s’entredéchirer.
« Charles est la récompense que Dieu a réservé à l’Autriche, pour tout ce qu’elle a fait pour l’Église »
Charles a épousé la princesse Zita de Bourbon-Parme en 1911. Un mariage aux accents de conte de fée qui sera couronné par la naissance de huit enfants et béni par le Pape Pie X. Lors de la visite de Zita au Vatican peu de temps avant la cérémonie, l’archiduc est alors désigné par le Pontife comme l’héritier au trône. Malgré les tentatives de la descendante de Louis XIV pour le corriger, le Saint-Père persiste. « Charles est la récompense que Dieu a réservé à l’Autriche, pour tout ce qu’elle a fait pour l’Église ». Une prophétie qui en fait écho à une autre. Religieuse ursuline et mystique, Mère Vincentia Fauland avait entendu parler de Charles qui vivait, enfant, non loin de Sopron, en Hongrie. Les témoins de l’époque affirment qu’elle aurait prédit qu’il serait empereur et aurait encouragé la formation de groupes de prière. S’en est-il souvenu lors de son couronnement en novembre 1916 ? On ne le saura jamais mais il est un fait certain que pour Charles, ce double sacre signifie « qu’il est investi par l’Église, donc de Dieu » comme le rappelle Elizabeth Montfort dans son livre consacré au couple impérial, « Charles et Zita de Habsbourg, itinéraire spirituel d’un couple ». « Lui comme son épouse, tous deux ont grandi dans des familles particulièrement attachées à la foi catholique » nous rappelle Elizabeth Montfort.
Il trouve dans son épouse, le même sens de la piété mariale et du service qu’il a appris à suivre. Une éducation qu’il entend mettre au profit de la paix. Il déteste la guerre, il est déterminé à faire cesser le bruit des armes qui ne cessent de claquer toute la journée. Il s’en ouvre au Kaiser Guillaume II d’Allemagne. « Je prie Dieu qu’il nous donne la paix et qu’il sauve nos peuples des horreurs de la guerre » lui écrit-il. Sans que le souverain teuton ne daigne véritablement lui répondre. En avril 1917, il fait même le vœu de construire une Église dédiée à Notre Dame de la Paix et demande à Dieu de faire cesser les combats. « Il cherche à accomplir sa vocation d’homme politique tout en demeurant profondément chrétien, en plaçant toujours la dignité de l’homme au cœur de ses préoccupations » résume Aleteia, un site internet d’actualités générales et de spiritualité, qui lui a consacré un long article.
« La couronne est une responsabilité conférée par Dieu et je ne peux pas y renoncer »
En 1917, il mandate son beau-frère, le prince Sixte de Bourbon-Parme, pour mener des négociations de paix séparées avec les Alliés. La France se montre enthousiaste, les Britanniques s’en réjouissent, l’Italie crispe sur les propositions de la monarchie autrichienne qui demande le respect de l’intégrité de son empire et qui se dit prête à céder des territoires. A Berlin, le Kaiser Guillaume II a eu vent de cette tentative et convoque Charles qui tente de le convaincre vainement de la nécessité d‘arrêter cette folie meurtrière. C’était sans compter aussi l’action du « Tigre ». Président du Conseil de la république française et partisan de la guerre à outrance, Georges Clémenceau dénonce publiquement ce qui était alors secret jusqu’ici. Par haine des Habsbourg, ce vendéen rouge a décidé que la guerre devrait se poursuivre une année supplémentaire, laissant un empereur politiquement à l’agonie. Rien ne lui est épargné notamment quand le Président Wilson évoque le droit à l’autodétermination des peuples lors de ses fameux 14 points. Ils vont préfigurer les événements à venir.
Malgré les vicissitudes de la guerre, Charles et Zita maintiennent leurs profondes convictions et continuent de correspondre avec le Pape Benoit XV qui ne cache pas sa proximité avec le couple impérial. Ils s’empressent de régler les problèmes de rationnement que ce soit sur le front (que l’empereur visite à la rapidité de l’éclair, lui valant de surnom de « Charles le Soudain » de la part des soldats) ou dans les villes. Ils partagent les malheurs de leurs sujets, se soutiennent mutuellement. L’empire est en ébullition, la fin est proche, inéluctable. Le 10 novembre 1918, ils assistent à la messe. Le palais de Schönbrunn est pratiquement vide, abandonné de ses gardes. L’hymne raisonne, les sanglots se font entendre dès les premières paroles : « Que Dieu garde, que Dieu protège, notre empereur, notre royaume (…) ». On demande à Charles d’abdiquer, il refuse. « La couronne est une responsabilité conférée par Dieu et je ne peux pas y renoncer » explique l’empereur à la délégation venue négocier son départ. Une à une les capitales de l’empire proclament sa déchéance. Il est calme et serein, l’exil ne lui fait pas peur.
Il va retenter de reprendre sa couronne en Hongrie. Une première tentative est loupée à Pâques 1921. L’intransigeance du régent Horthy fait capoter une aventure en deux épisodes. Zita va accompagner son mari pour sa seconde tentative en octobre suivant. Cette fois-ci mieux préparée. Une armée les attend. Les photos de ce retour sont saisissantes et passent le couple à la postérité de l’histoire. Ils prient devant un train, genoux à terre. Ils sont sous la protection de Dieu et c’est certainement cela qui les sauve lorsqu’ils sont finalement arrêtés aux portes de Budapest par les loyalistes. Après la Suisse, ce sera l’exil à Madère au large du Portugal, une jolie maison mais très humide et que l’on peut à peine chauffer. « Faire contre mauvaise fortune, bon cœur » dit l’adage et la petite famille va le suivre scrupuleusement. Charles et Zita sont un « modèle de foi, d’espérance et de charité » écrit Elizabeth Montfort.
« Dieu a créé Charles pour qu’il accomplisse son devoir »
« Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit ». Charles a pris froid lors d’une promenade. Il est alité, on peine à le guérir. Le 27 mars 1922, on lui donne les derniers sacrements. Il a encore la force de suivre les prières liturgiques avec piété. Il a une croix entre les mains et sous son oreiller, il a glissé une image du Sacré-Cœur. La position de l’empereur Charles frappe, Otto son fils aîné de 10 ans. Il fond en larmes en sortant de la chambre et s’exclame : « maintenant je comprends pourquoi la Vierge était si triste sous la croix ». « J’ai promis au Bon Dieu de me laisser soigner tant que je suis malade et de suivre toutes les instructions pour l’amour de Dieu » explique-t-il à Zita qui continue de croire en un miracle. « Dieu a créé Charles pour qu’il accomplisse son devoir. L’Autriche a besoin de lui » écrit-elle à sa tante, laissant entrevoir sa tristesse. Le 1er avril, la vie le quitte peu à peu. Il souffre sans un murmure. L’impératrice est consciente que c’est bientôt la fin. « Je t’aime indéfiniment. Dans le cœur de Jésus, nous nous retrouverons » lui souffle-t-elle. Il n’y a plus à ce moment ni d’empereur, ni d’impératrice, juste un homme, une femme, uni par un véritable amour. Les yeux de Charles se noient dans ceux de Zita, il la regarde, s’affaisse et murmure aussitôt « Jésus, pour toi je vis, Jésus pour toi je meurs. Que ta volonté soit faîte, Mon Jésus quand tu veux ». Une dernière contraction, un ultime souffle, son dernier mot aura été pour le Christ. La Dame blanche peut enfin venir chercher et emporter cet Habsbourg, roi martyr à la couronne d’épines. Zita de Bourbon-Parme portera des habits de deuil jusqu’à son dernier jour en 1989.
Lorsqu’en mars 1938, Hans Karl von Zeßner-Spitzenberg est arrêté par la Gestapo, quelques jours après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne, il déclare que son opposition au nazisme est motivée par le fait qu’il croit « en Dieu et en une Autriche chrétienne sous la direction de la maison des Habsbourg, le seul salut qui me permet de voir l’indépendance de ma patrie ». Considéré comme un des premiers martyrs catholiques du nazisme, il était persuadé de la sainteté de Charles. Dix ans plus tard, l’impératrice Zita reçoit un courrier du Vatican l’informant qu’une procédure de béatification de son époux a été initiée. Il faudra des années, des tonnes de documents, témoignages, entrecoupées de pauses interminables, pour qu’enfin une décision soit prise par le pape Jean-Paul II. Un miracle ayant été reconnu en 1960- une religieuse polonaise guérie après avoir invoquer son nom- Charles est déclaré Bienheureux le 3 octobre 2004 au cours d’une cérémonie.
Un procès en béatification est ouvert cinq ans plus tard pour l’impératrice Zita. Les conclusions n’ont pas encore été rendues mais le souvenir de leur foi reste dans le cœur de tous les catholiques d’Europe.
Frederic de Natal