Le 1er février 1908, c’est l’effroi parmi les habitants de Lisbonne rassemblés le long du trottoir pour apercevoir le cortège de la Maison royale. Dom Carlos Ier, souverain du Portugal depuis 1889 est la victime d’un attentat organisé par les anarchistes. Si la reine Amélie d’Orléans a pu écraser un bouquet de fleurs sur l’assassin, sauvant ainsi son fils cadet, Dom Manuel, force est de constater que son aîné n’a pas eu la moindre chance. A peine âgé de 20 ans, l’espoir d’une dynastie vient de rendre l’âme, mortellement blessé. La Revue Dynastie brosse le portrait de l’infortuné prince Dom Luiz-Filipe de Bragance.
Le 21 mars 1887, Dom Carlos est fébrile. Il attend patiemment qu’on lui annonce la nouvelle. Il fait les cent pas dans le palais de Belém, trompe son anxiété dans la nourriture. Un an auparavant, il a épousé la princesse Amélie d’Orléans. Un mariage fastueux célébré à Paris avec tout le gratin de l’aristocratie européenne mais qui sera malheureux à son beau-père, comte de Paris et prétendant au trône de France. Vexé de n’avoir pas été invitée par Philippe VII et craignant que Paris ne devienne le lieu d’une intense activité monarchiste, la République avait pris la décision de bannir les maisons royales d’Orléans et Napoléon. Très rapidement, la princesse était tombée enceinte des œuvres de Dom Carlos, homme à la personnalité intelligente, cultivé, mais jugé bien trop extravagant par ses contemporains.
L’espoir d’une dynastie
Les premiers cris du bébé passés à 21 heures, Dom Carlos explose de joie. C’est un garçon. La succession au trône est assurée, repoussant un peu plus les ambitions des miguelistes, cette branche cadette qui a été exilée après avoir été renversée d’un trône qu’elle a occupé illégalement quelques années auparavant. Le 14 avril suivant, il est baptisé par la Cardinal Patriarche de Lisbonne (D. José Sebastião Neto) avec pour parrain et marraine, le roi Dom Luis I et la comtesse de Paris, Marie-Isabelle d’Orléans. Il s’appellera Luiz-Filipe, traduction portugaise du nom du dernier roi des Français. Dom Carlos est un père comblé, un mari dévoué aux premières heures de son mariage, un couple bourgeois qui n’aurait pas déplu à son arrière-grand-père paternel. Amélie d’Orléans ne tarde pas à retomber enceinte.
En décembre 1888 alors qu’ils se reposent au palais ducal de Vila Vicosa, la torpeur de cette fin de soirée est brisée par des cris d’affolement. Un incendie s’est déclaré dans la chambre du prince héritier. Les flammes entourent son berceau. La princesse prend son courage à deux mains, se saisit de son fils qu’elle va serrer contre elle et qui s’en sort sans séquelles. Le temps de le remettre à un domestique, elle s’évanouit. L’incident a provoqué l’accouchement prématuré de sa fille, morte née. Un an plus tard, c’est un autre cercueil que le couple royal va suivre, celui du roi Dom Luiz. Un changement dans la vie du petit prince qui a la surprise d’accueillir un petit frère en novembre 1889, Dom Manuel. Son enfance est dorée, à l’image des héritiers des grandes familles européennes qui sont éduquées afin d’inscrire leurs noms dans l’Histoire. Il reçoit une éducation stricte (cours de 6 heures à 15 heures et de 17h30 à 19h30 chaque jour) et développe des qualités de bonté humaine remarquées par tous. Lorsqu’il atteint ses 5 ans, une anecdote raconte que le prince fut approché par une femme qui s’agenouilla à ses pieds et lui baisa les mains. Sans se démonter un seul instant, d’une voix douce, le prince s’exclama : « Levez-vous, je ne suis pas Dieu ! ». Passionné par la peinture, la photographie et la chasse, son père est tellement fier de Luiz-Filipe qu’il n’hésite pas à s’attribuer les responsabilités de ses bêtises. Une connivence entre Dom Carlos et son héritier assez rare à l’époque pour être soulignée.
Un prince qui fait l’unanimité
Adolescent, il montre une forte personnalité qui impressionne même ses tuteurs militaires qui l’ont pris en charge à la demande du roi. On loue son « esprit patriotique », sa sociabilité et sa proximité avec tous. Il est rapidement intégré aux fonctions officielles et participe aux visites officielles de chef d’État comme le roi Edouard VII ou le président Emile Loubet. Quand il ne représente pas son père à des couronnements. Lorsque son père voyage à Paris et à Madrid, il assume la régence avec compétence. Les rapports sont élogieux et c’est tout naturellement qu’il intègre le Conseil d’État. Temps de visiter les colonies portugaises d’Afrique où il reçoit un accueil des plus royal (1907). L’enthousiasme de ses futurs sujets fait les principales manchettes des médias, bref répit de plusieurs semaines avant de se confronter à la réalité de la situation politique. Dirigé par Joao Franco, le gouvernement a durci ses positions. La montée du mécontentement et celle des républicains a décidé le roi à reprendre les rênes d’un pays au bord de l’explosion sociale. Pis, le couple si fermé que tenait ses parents a volé en éclat. Dom Carlos multiplie les amours d’un soir, Amélie s’inquiète du sort de la monarchie. Lorsque son fils lui évoque un amour avec une jeune fille prénommée Margaret, on lui oppose une fin de non-recevoir et on lui rappelle ses devoirs.
Un régicide qui signe la fin de la monarchie
Revenant d’un séjour au palais ducal de Vila Vicosa le 1er février 1908, Carlos a choisi de traverser les rues de Lisbonne à bord d’un landau découvert. Il n’entend pas céder aux menaces. Luiz-Filipe est sur ses gardes. Il a déjà échappé à un attentat à Madrid alors qu’il était venu assister au mariage du roi Alphonse XIII avec la princesse Victoria de Battenberg. Il n’était pas forcément visé mais les anarchistes n’ont toujours pas renoncé à atteindre un prince, une princesse, un roi ou une reine. Quelques jours auparavant, Dom Carlos I a décidé de signer un décret prévoyant l’exil à l’étranger ou l’expulsion vers les colonies, sans procès, des individus poursuivis en justice pour atteinte à l’ordre public, suggéré par son Premier ministre. « Je signe ma condamnation à mort, mais vous le ferez » aurait dit prophétiquement le souverain. Une détonation éclate alors que le cortège royal passe devant le ministère de la Marine puis un coup de feu, le roi s’écroule sur le côté, couvert de sang. L’assassin veut tuer toute la famille, monte sur le marchepied du landau. Dans un geste désespéré, Amélie d’Orléans réagit en quelques secondes, écrase ses fleurs sur la tête de l’assassin qui ne s’y attendait pas. Les gardes interviennent mais il est déjà trop tard. Si elle a sauvé la vie de son fils Dom Manuel, Luiz-Filipe a succombé à ses blessures, le visage à moitié arraché par l’explosion.
La monarchie des Bragance est blessée dans sa chair. Elle va agoniser durant deux ans et tomber par un mauvais concours de circonstance.
Frederic de Natal