Alors que l’attrait européen pour les îles et comptoirs du pourtour de l’Océan Indien bat son plein, le court règne de Radama II, roi de Madagascar entre le mois d’août 1861 et celui de mai 1863, n’échappe pas à ce phénomène qui vient bouleverser ses regalia. A contrario, il regorge de tous les contingences quotidiennes auxquelles un pays en plein ouverture sur le monde devait faire face. Auteur de « Symboles royaux et rivalités à la cour de Radama II », publié aux éditions , Nicolas Martin nous plonge dans ce chapitre tumultueux de l’histoire malgache où s’entremêlent complots, rivalités de pouvoirs et guerre d’influence entre la France et le Royaume-Uni. La Revue Dynastie vous propose de découvrir un chapitre de l’histoire royale de Madagascar qui se termine dans le sang et par un mystère.
« Napoléon le Grand, répondit le père Finaz était petit de taille comme vous. » Rakoto fut enchanté. ». Ouvertement admirateur de l’empereur Napoléon 1er, Radama II, roi malgache du milieu du XIXème siècle, ne souhaitait qu’une chose, le bonheur de son peuple. Bonheur qu’il voulait assurer par la prospérité de son île, en l’ouvrant au monde et lui cherchant l’unité derrière le nouveau bienfaiteur qu’il cherchait à incarner. Officiellement fils de Radama Ier, défunt époux de sa mère, alors qu’il est réellement né quatorze mois après la mort de son « père » (1828), Radama II portait déjà sur ses épaules de poupon le lourd héritage de la jeune et montante dynastie malgache des Antananarivo. Trompeusement appelé « Rakoto Sehenon dRadama », littéralement « Rakoto qui descend de Radama » ce dernier est en réalité né de l’union de sa mère Ranavalona Ière avec son premier ministre, compagnon officiel.
Un roi réformateur
Alors que son « père », et son père avant lui, passèrent leurs règnes durant à consolider la monarchie merina en soumettant de nouvelles provinces à leur pouvoir, au décès de Radama Ier en 1828, sa veuve est mise sur le trône avec l’appui de quelques généraux Merina qui n’hésitèrent pas à faire tuer les prétendants à la succession. Ce nouveau règne sera marqué par une grande méfiance à l’égard des européens et un repli de Madagascar sur les phases d’ouvertures déjà entamées. Sans en dire mot à sa mère qui éduque pourtant son fils dans ces idées de rejet, Rakoto commence dès les années 1850 à côtoyer les quelques européens qui demeurent sur son île. Il n’hésite pas à faire venir dans la capitale Antananarivo des vahazas (blancs), religieux de leur état, sous des identités et professions d’emprunts. Il se plaît beaucoup à ces fréquentations, appréciant leurs grands savoirs, et parvient même à les faire rester dans la ville royale, avec l’accord de sa mère qui apprécie leur bon rayonnement culturel et intellectuel sur le peuple malgache, en sus du soin qu’ils lui témoignent.
L’apaisement ne dure qu’un temps. En 1853, un complot contre la reine Ranavalona est découvert. Accusant les européens de l’avoir ourdi, elle leur donne quelques jours pour quitter son territoire. Ils se réfugient dans les comptoirs avoisinants pour ne revenir à Madagascar qu’une fois la souveraine décédée. Le 16 août 1861, Rakoto monte enfin sur le trône avec quelques aides, comme celle de ses chers, amis fidèles, Menamaso (« qui n’ont pas froid aux yeux »). Ses « père » et mère furent posthumément nommés avec « Ier » ajouté à leur titres, à la demande de Radama II qui procède alors comme dans toutes les cours européennes. Il en adopte aussi très rapidement toute la pompe. Il signe « Radama Rex » « roi » en latin et second clin d’œil à la Rome antique, adopte le Voromahery, un rapace endémique, oiseau le plus noble et fort de l’Île, comme blason de la monarchie . Conscient de l’importance des symboles dans la constitution d’une histoire pour sa monarchie, Radama II s’empresse de créer « L’ ordre de Radama II » copie malgache de la Légion d’Honneur de son modèle Napoléon Ier. Le matin du sacre, un père Jésuite ira jusqu’à bénir la couronne et la mettre sur la tête du futur roi. Bien ce qui soit nié et modifié dans le récit anglais. Radama II aurait posé seul la couronne sur sa tête, lors de la cérémonie officielle, clin d’œil à Napoléon Ier.
Il pensait, par ce qui fut un de ces premiers actes de règne, asseoir un peu mieux sa dynastie, et commencer par-là même à construire l’imaginaire qu’il voulait pour elle. Les européens sont conquis par ce monarque de 32 ans . « S’il ne fallait garder qu’un trait fort de sa personnalité ce serait sa grande bonté et le souci de rendre son peuple libre et heureux,. Sa physionomie ouverte et souriante respire la confiance, la franchise et la bonne humeur, le désir d’être agréable et de rendre heureux tous ceux qui l’entourent. Son désir de bien faire s’accompagne parfois d’un manque d’autorité. Le Roi a peut-être trop fait confiance à son entourage en lui laissant beaucoup de liberté. Quelques penchants pour la fête et ses dérives obscurcissent son règne. » peut-on lire ci et là à son propos.
Les rivalités franco-anglaises à Madagascar
L’ouverture de Madagascar aux européens par les souverains Merina successifs sera autant appréciée des Français que des Anglais, étant traiter de la même manière durant toutes les décennies qui vont suivre. Lorsqu’il accordait un privilège aux uns, les autres ne tardaient pas à obtenir le même. Les Malgaches ne furent pour autant jamais dupes des motivations qui guidaient ces comportements zélés qui firent leur bon soin et leurs affaires. L’île de La Réunion, sept cents kilomètres à l’est de Madagascar, passée sous le contrôle direct du roi de France Louis XV dans les années 1760, était située à seulement trois jours de bateau. Son importance pour la France deviendra croissante lorsqu’en 1810 sa voisine l’Île Maurice est envahie par les Anglais. L’ingérence européenne à Madagascar ne va que s’exacerber, tant le potentiel commercial de l’Île fait rêver.
Les jésuites de la Réunion et les pasteurs anglicans de Maurice sont les premiers à mener la lutte pour le compte de leur royaume sur la grande Île. Alors que les européens sont, un temps, sous la reine Ranavalona Ière persona non grata à la capitale, les religieux prennent identités et professions d’emprunt pour entrer dans la ville et côtoyer la haute société d’Antananarivo, envers et contre les directives de la reine. D’audacieux commerçants tel Napoléon de Lastelle, déjà en place depuis des décennies avaient leurs entrées à la cour et faisaient la pluie et le beau temps sur le commerce avec l’Occident, après être parvenus à obtenir droits et exemptions de la part des souverains successifs. Les délégations françaises et anglaises envoyées pour le sacre de Radama II en 1862, se côtoyèrent deux mois à Antananarivo, dans une ambiance très cordiale, participant à un beau combat de gallinacés, vraisemblablement remporté par la patrie du coq. Cette rivalité revêtait des aspects sous-jacents mais baignaient dans une réalité palpable aux yeux de tous.
« Voilà mon modèle, voilà l’exemple que je veux suivre »
Le couronnement de Radama II est en Europe vu comme une très importante mission de tractation et de prospection, aux conséquences multiples. Les convois très hétéroclites, sont triés sur le volet pour s’assurer que chacun ait une mission complémentaire et singulière, mêlent diverses sensibilités entre les deux nations rivales. Chez les Français, revanchards de la perte de Maurice, l’union sacrée est décrétée pour travailler soudés pour le développement de l’influence française. Les Anglais, souffrirent de plus de discordances entre les directives de l’Île Maurice et celles de l’Angleterre, en sus de celles entre les intérêts anglicans et protestants. La très riche documentation laissée par ceux qui prirent part à cette authentique aventure témoignent d’une véritable compétition entre les vieux ennemis européens. Les occidentaux malgré une réelle lutte eurent également à cœur de redorer leurs images après les années de défiance de la défunte reine. Comportement bien exacerbé par la douloureuse attaque franco-anglaise de Tamatave, ville portuaire de la côte Est et grande exportatrice du pays, lors de l’année 1845. Pendant cette escarmouche qui dura plusieurs jours, les positions françaises de protection du port malgache et d’ancrage dans celui-ci furent réduites à néant par les Anglais.
Le souverain malgache, autant apprécié des Français que des Anglais, était soucieux d’avoir toujours une faveur en plus,. Ses « amis européens » mirent beaucoup d’ardeur à enseigner leurs langues, traduire ; apprendre cultures, coutumes, sciences et médecines d’occident ; construire des écoles, des églises et des routes. Tous les moyens sont bons pour approcher le souverain et permettre à son pays de manifester sa puissance sur la grande Île. Les saillies entre Français et Anglais ne manquèrent pas pour autant de fuser, diplomatie oblige tout cela pris part dans une ambiance cordiale, ce qui étonna le Roi et sa cour. Le commandant Dupré expliquera que la France et l’Angleterre étaient des nations alliées….Malgré une forte appétence pour l’Angleterre et l’envoi de jeunes nobles malgaches outre-manche pour y être instruit, la présence plus ancienne des commerçants français et les places de choix glanées parmi les proches du roi telle que celle de Joseph Lambert (la date du sacre de Radama II fut repoussé qu’il puisse y assister) restent révélatrices de la proximité de la France avec cette monarchie. On a même des Français qui eurent une descendance sur l’Île et des attaches qui se manifestèrent par-delà la seule capitale d’Antananarivo.
« Voilà mon modèle, voilà l’exemple que je veux suivre », mots de Radama Ier qui eurent vraisemblablement pu être prononcés par Radama II, le calice jusqu’à la lie, les Français finirent bel et bien par remporter la bataille pour la première place européenne sur l’Île de Madagascar.
Radama II a t-il été assassiné ?
Téméraire et dépassé par son costume, Radama II va connaitre une fin tragique. Révolutionnaire ( il met fin à la peine de mort et les corvées), très populaire, il s’attise les foudres de la noblesse conservatrice qui lui reproche sa proximité avec les « Menamaso » , ses compagnons de lutte et de joyeusetés fêtardes avec lesquels il a entretenu une relation plus qu’amicale. Il agit par faiblesse, laisse certains de ses amis accéder au pouvoir au détriment de personnages plus compétents. Un opposition tribale naît de ces rivalités entre le nord de l’Imérina ( qui jusqu’ici étaient les gardiens du temple) et le sud d’où proviennent les « Menamaso ». Craignant d’être remplacé, le Premier ministre Rainilaiarivony va rassembler autour de lui ceux-là mêmes qui ont favorisé son accession au trône, en tant que dixième souverain Merina et organiser un complot. Le 11 mai 1863, il est étranglé avec un lamba de soie, enterré à la sauvette et son nom effacé de la liste des rois de Madagascar.
La nouvelle de sa mort (que l’on fait passer pour un suicide alors que son épouse est proclamée reine et mariée dans la foulée au Premier ministre) provoque des rébellions et même l’apparition d’un faux Radama II dans toute l’île. Deux semaines après son assassinat, des rumeurs affirment que le souverain est séquestré dans l’île ou se cacherait chez le consul de France, Jean Laborde, dont « on sait que le pays n’aurait jamais pu permettre un tel régicide ». Ce que l’intéressé dément. Pourtant Jean Laborde va plus tard affirmer qu’il a la conviction que le monarque est toujours vivant et se fait l’écho de malgaches exécutés pour avoir révélé cette vérité. On lui propose à de nombreuses reprises de rencontrer le roi qui se bat contre l’usurpateur, ce qui réjouit Laborde, mais curieusement, des raisons diverses empêcheront toute entrevue officielle avec le diplomate. Il faudra presque deux ans avant que le Consul de France ne s’aperçoive qu’il a été trompé et que le parti du roi soutient les fables d’un malgache qui se prétendait Radama II (une thèse affirme que le corps du souverain a été abandonné par ceux qui devaient l’enterrer, effrayés, et qu’il aurait été récupéré par ses partisans). Il faudra attendre la colonisation de l’île par la France en 1897 pour que le cadavre de Radama II soit enfin exhumé et replacé dans le tombeau royal aux côtés de ceux qui l’avaient fait assassiner, mettant fin au mystère royal.
Un ouvrage unique sur Radama II
« Symboles royaux et rivalités à la cour de Radama II » constitue une somme sans précédent sur le règne éclair du jeune souverain Radama II dans une période où la rivalité entre la France et l’Angleterre pour l’accès à la Grande Île battait son plein. A travers une étude approfondie des décorations créées par Radama II et les multiples portraits de ses récipiendaires, on suit pas à pas cette rivalité qui a opposé le Royaume-Uni à la France, cette guerre d’influence et commerciale qui se déroule loin de Londres et de Paris. 7 chapitres détaillés où on peut sentir à chaque ligne la passion que lui a inspiré ce monarque, Nicolas Martin, auto-éditeur, nous livre à travers 92 pages un récit passionnant, appuyé par une iconographie riche, nous présentant de nombreuses pièces dont certaines restent inédites. Une source de renseignements sur une monarchie méconnue et qui mérite d’avoir sa place dans les bibliothèques de tous les amoureux d’Histoire.
Adrien Moquet