La liturgie du sacre prévoyait la présence de six évêques : l’archevêque de Reims, qui sacre et couronne le roi ; l’évêque de Laon, qui porte la Sainte Ampoule ; l’évêque de Langres, qui porte le sceptre ; l’évêque de Beauvais, qui porte et présente la cotte d’armes ou le manteau royal ; l’évêque de Châlons, qui porte l’anneau royal ; l’évêque de Noyon, qui porte le baudrier. Si un sacre avait lieu au XXIe siècle, des évêques seraient-ils associés à la cérémonie ? Nous avons voulu poser la question à l’un d’entre eux, Mgr Rey, l’évêque de Fréjus-Toulon.

Dynastie : Monseigneur, comment justifier l’idée du sacre ? Pourquoi l’Église s’est-elle « prêtée » à ce jeu ?

Mgr Rey : Il y a une rencontre d’intérêts : les rois de France, depuis Pépin le Bref, recherchent une légitimité, à laquelle le sacre donne une dimension non seulement symbolique, mais aussi transcendante. Dans un univers imbibé de religieux, le sacre paraît l’autorité du divin. Le sacre enracinait aussi les rois de France dans une famille et dans l’histoire : l’Église était alors la seule institution qui avait survécu à la chute de l’Empire romain d’Occident. Par l’onction, qui rappelait la vocation spirituelle de l’autorité, d’origine divine, les rois recherchaient enfin une certaine sécurité : les autres chrétiens avaient d’autant moins le droit d’attenter à leur vie qu’ils avaient été bénis. Cela a d’ailleurs plutôt bien fonctionné : les rois de France ont été prémunis du régicide pendant huit siècles, de Pépin le Bref à Charles IX.

De son côté, l’Église se cherchait un champion, une autorité qui assurerait la justice et la miséricorde sur un territoire donné. Celui-ci avait une double responsabilité, vis-à-vis de Dieu et du peuple qui lui était confié. Et c’est pour cela que l’Église a soumis le sacre à des conditions, formalisées par un serment : conserver la paix, empêcher l’iniquité, observer la justice et la miséricorde, protéger l’Église.

Dynastie : Le sacre a-t-il des effets spirituels sur celui qui le reçoit ?

Mgr Rey : Oui, bien sûr. Sans être l’un des 7 sacrements reçus du Seigneur, c’est ce que nous appelons un sacramental : un signe sacré qui souligne le rapport à Dieu. D’abord, le peuple s’unit à son monarque par la prière, en reconnaissant que tout pouvoir vient de Dieu, et prie pour la mission spécifique du roi. Ensuite, cela dispose celui qui reçoit le sacramental, en l’occurrence le roi qui reçoit le sacre, à se tourner vers Dieu, et à essayer de faire Sa volonté. Enfin, cela « sacralise » le roi : cela l’engage à sanctifier son rôle et son action, c’est-à-dire à les consacrer à Dieu et à ses prochains.

Monseigneur Rey @Dynastie

Dynastie : Cette « sacralisation » donne-t-elle aux rois une place à part ?

Mgr Rey : Par ce sacramental, l’Église reconnaît que la grâce de Dieu va passer par ce monarque. L’Église a toujours reconnu un statut spécial à ceux qui exercent le pouvoir, car ils sont dépositaires d’un pouvoir qu’ils reçoivent d’en haut, même quand ils l’utilisent mal. Cette assurance nous vient de la phrase du Christ adressée à Pilate, le gouverneur romain qui va le laisser condamner, dans l’Évangile selon saint Jean (19, 11) : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi s’il ne t’avait été donné d’en haut. »  Ainsi, tous ceux qui participent de la royauté de Dieu doivent s’efforcer de régner selon l’amour de Dieu ; et l’Église a toujours prié pour que les chefs d’État se montrent dignes de cette mission.

C’est aussi pour cette raison que saint Paul demande aux chrétiens de respecter l’autorité temporelle au treizième chapitre de sa lettre aux Romains : « Que chacun soit soumis aux autorités supérieures, car il n’y a d’autorité qu’en dépendance de Dieu, et celles qui existent sont établies sous la dépendance de Dieu ; si bien qu’en se dressant contre l’autorité, on est contre l’ordre des choses établi par Dieu, et en prenant cette position, on attire sur soi le jugement. »

Dynastie : Comment l’Église accompagne-t-elle les gens en situation d’autorité aujourd’hui ?

Mgr Rey : La mission de l’Église est multiple. Elle consiste notamment à éclairer l’action de ceux qui gouvernent, grâce à sa doctrine sociale, et l’Église rappelle régulièrement le respect qu’on doit aux plus petits, à la vie, à la famille. L’Église agit aussi directement pour la société par l’action caritative ou éducative de ses membres, elle encourage les bonnes actions en soutenant les communes, les États ou les organisations quand ils œuvrent pour le bien commun. Dans un contexte où la paternité et l’autorité sont combattues, et où la parole politique a été dévaluée par ceux qui l’utilisent, l’Église témoigne une certaine considération vis-à-vis de ceux qui exercent une responsabilité publique, car c’est une tâche difficile, et un ordre – s’il est juste – est nécessaire au maintien de l’unité et de la paix. C’est pourquoi l’Église propose d’ailleurs un accompagnement plus personnel, par la prière et l’échange, aux décideurs qui le demandent.

Dynastie : Faisons un effort d’imagination, si demain les français voulaient un sacre, y participeriez-vous ?

Mgr Rey : Si le sacre avait lieu dans mon diocèse, et je pense au sanctuaire de Cotignac, l’évêque du lieu et les autorités civiles ne manqueraient pas d’y prendre part.  Rappelons-nous les miracles qui y sont liés, dont le plus connu est la naissance de Louis XIV en 1638 après 22 ans de mariage sans héritier pour Louis XIII et Anne d’Autriche, grâce à une prière à Notre-Dame-de-Grâces de Cotignac.

NB