L’affaiblissement de l’Empire ottoman permet à l’Albanie de prendre son indépendance de la Sublime Porte. Souhaitant se doter d’un souverain, les délégués prennent contact avec le prince Halim Eddine, neveu du sultan Abdul Hamid II, qui se dit prêt à monter sur le trône. Acclamé et couronné le 13 août 1913, son règne ne va pas excéder cinq jours. Le temps aux autorités de s’apercevoir qu’ils ont été victimes d’une escroquerie audacieuse dont les albanais rougissent encore aujourd’hui à sa seule évocation.

Soutenu par l’Autriche-Hongrie, l’Albanie profite de la Première guerre balkanique pour s’émanciper de la Sublime Porte. Les délégués se cherchent un roi et se tournent vers leur ancien maître dont la famille regorge de cadets disponibles. Leur choix se porte sur un des fils du sultan Abdul Hamid II. La réponse ne tarde pas  et l’élu se déclare favorable à la proposition qui lui est faîte. Tout est organisé pour l’arrivée du nouveau souverain qui est acclamé par la foule, les troupes d’Essad Pacha et d’être aussitôt couronné le 13 août 1913. On lui a réservé une grande maison, garni la maison de mets délicats et de vins, d’une cohorte de femmes qu’il va préalablement choisir durant deux jours. Sous domination turque, l’Albanie a conservé ses traditions et celles-ci n’excluent pas le harem. Halim Eddine organise son gouvernement, décide même de déclarer la guerre au Monténégro et se prépare à la conquête de cet état voisin qui ambitionne d’annexer le nord de son royaume. Cinq jours plus tard, le roi s’enfuit promptement de son pays. Horrifiés, les délégués viennent de s’apercevoir qu’en lieu et place d’un prince, ils ont élu un clown très intrépide dont le véritable nom est Otto Witte.

Otto Witte @Dynastie

 

Escroc à la petite semelle

Tout commence le 16 octobre 1872. C’est en Allemagne que nait Otto Witte dans une famille modeste. Très rapidement, l’enfant comprend qu’il va devoir travailler pour survivre. Serveur, peinte, forain, scaphandrier et même soldat dans l’armée ottomane, il fait tous les métiers. Du moins, c’est ce qu’il affirme dans ses mémoires. C’est surtout (et avant tout) un véritable escroc qui a déjà connu la prison en Espagne où il s’est lié d’amitié avec Max Schlepsig, un avaleur de sabre. Les deux compères s’évadent et montent un cirque dans lequel Otto Witte va exercer comme clown. Ils rencontrent un prince hongrois, qui amusé, décide de les engager comme bouffons et les emmène dans une partie de chasse en Afrique. Un contrat fort bien payé mais qui sera tragique à leur employeur. Au cours de cette expédition, ils tombent nez à nez avec une tribu cannibale pressée de faire du groupe un bon repas. Otto Witte et Max Schlepsig vont réussir à mystifier les africains en leur faisant un numéro d’avaleur de feu. Repartis en Europe, sans un sou vaillant, le vol de la Joconde en France (1911) va leur permettre de monter une arnaque restée dans les annales de la police. Se faisant passer pour les voleurs, ils vont vendre une copie du tableau à un prix excessif à un marchand grec de Venise qui ne décèle rien de cette escroquerie.

Otto Witte et sa famille @Dynastie

Une arnaque audacieuse

Mais le coup le plus époustouflant que va réussir Otto Witte est bien celui du trône Albanais. Profitant de sa ressemblance physique avec Halim Eddine, alors en voyage en Europe et qui n’est pas au courant qu’il a été désigné souverain de ce pays des Balkans, c’est Otto Witte qui se glisse dans sa peau. il débarque alors vêtu d’un uniforme rutilant, orné de fausses décorations. Lorsque le sultan Abdul Hamid II apprend que son neveu a été couronné, il s’étonne que celui-ci ne lui ait rien annoncé. Sachant qu’il trouve à Vienne, il lui envoie un télégramme que reçoit, interloqué, le principal concerné qui dément cette couronne. Averti, Essad Pacha, l’homme fort du moment, se précipite au palais et d’une voix de stentor crie à l’imposture dans les couloirs,  ordonnant l’arrestation d’Otto. N’étant pas sans ressources, le roi interpelle les gardes et accuse Essad Pacha de comploter avec le Monténégro. C’est finalement ce dernier qui est mis en prison. Il décide pourtant de s’enfuir avec Max Schlepsig, grâce à la complicité d’une femme de son harem, emportant avec lui une petite partie du trésor national. Comble du burlesque il réussit à se faire reconnaître roi en exil, un titre qu’il mentionnera toute sa vie sur sa carte d’identité. Il rapporte même ses aventures en 1939 dans un livre (« Cinq jours roi d’Albanie ») où il est toujours difficile aujourd’hui de dissocier la vérité du mensonge.  Ainsi, il n’hésite pas à affirmer qu’il a été un candidat favori lors de l’élection présidentielle allemande de 1925 mais qu’il a finalement  décidé de se retirer afin de favoriser le maréchal Hindenburg.

Essad Pacha (gauche) et Guillaume de Wied (droite) @Dynastie

D’Otto Witte à Zog Ier, une mince frontière

« Otto Ier, ex-roi d’Albanie » meurt ruiné le 13 août 1958, soit 45 ans, jour pour jour, après son couronnement. Sans monarque depuis sa fuite, ce sont les puissances centrales qui se chargent de placer à la tête de l’Albanie, le prince Guillaume de Wied, un protestant qui occupera son trône de février à septembre 1914. Contraint également de quitter le pays sans avoir abdiqué, Essad Pacha s’empare finalement du pouvoir vacant grâce à l’aide des serbes qui craignaient de voir un prince turc à leurs portes. Son gouvernement dictatorial ne durera que deux ans. Chassé de sa régence en raison de l’avancée austro-hongroise, les trois protagonistes de ce chapitre tumultueux de l’histoire albanaise tenteront tous de revendiquer (en vain)  la couronne albanaise à la fin de la Première guerre mondiale. Essad Pacha tentera bien un putsch en 1920 mais c’est un certain Ahmed Zogu, son neveu qui étouffe cette « rébellion dans l’œuf ». Un acte qui lui permet de devenir ministre de l’Intérieur. A Paris, Essad Pacha s’est reconnaître souverain d’Albanie le 10 juin 1920 par « l’Assemblée nationale d’Albanie ». Trois jours plus tard, le même temps qu’il lui a fallu pour être libéré de la prison où l’avait mis le roi Otto, il est assassiné par un de ses compatriotes qui ne voulait pas d’un monarque en Albanie. L’Histoire devait en décider autrement en 1924.

Frederic de Natal