C’est une aventure qui commence en 1492. Chargé d’atteindre l’Asie orientale par la reine Isabelle de Castille et le roi Ferdinand d’Aragon, l’explorateur Christophe Colomb va inscrire son nom dans l’Histoire après « avoir découvert les Amériques ». Un héritage aujourd’hui assumé par son descendant direct, Cristóbal Colón de Carvajal y Gorosábel, 18ème duc de Veragua. Une famille dont le destin extraordinaire se mélange avec celui de l’Espagne.
Sa date de naissance est incertaine, entre août et octobre 1451, mais sa renommée a dépassé toutes les frontières. Aîné d’une fratrie de cinq enfants, Christophe Colomb est le fils d’un tisserand installé dans la République de Gênes. Il se passionne très jeune pour les multiples aventures de Marco Polo, ce fils de marchand vénitien qui a parcouru l’Orient et l’Asie. Un voyage qu’il a raconté dans son « Livre des merveilles ». L’astrologie, la cosmologie et la géométrie n’ont pas de secrets pour lui. Il se destine à la marine. Il veut explorer le monde, apprendre, être libre. Matelot dès l’âge de 10 ans, il va se perfectionner à l’art de la navigation et exceller dans son domaine. Il monte même une expédition en 1474, qui lui permet d’être indépendant financièrement. Un mariage avec Filipa Moniz, issue de la petite noblesse lombardo-portugaise, lui donne un fils, Diego, né en 1480. Un bonheur de courte durée puisque son épouse décède quelques mois après cette naissance (quoique diverses sources évoquent 1485 et qu’aucun acte de mariage n’a été retrouvé à ce jour).
La découverte de l’Amérique
Il a un projet, celui d’atteindre les rivages de la Chine et du Japon, découvrir de nouvelles terres au nom… du roi du Portugal qui lui claque la porte au nez, le jugeant irréalisable. Loin d’être défait, il part le présenter à la nouvelle cour d’Espagne. Au premier rendez-vous, la reine Isabelle de Castille et le roi Ferdinand d’Aragon jugent ses demandes trop ambitieuses. Christophe Colomb exige d’être nommé vice-roi de toutes les terres découvertes avec titre de noblesse. C’est un premier refus. Appuyé par le trésorier du roi, Colomb va alors mettre en avant toutes les retombées économiques, la découverte d’une nouvelle route maritime qui permettraient à l’Espagne d’asseoir sa domination. Convaincus par ces nouveaux arguments, Isabelle et Ferdinand le nomment « amiral de la mer Océane », vice-roi des terres qu’il découvrira, le dotent d’armoiries et lui accordent un dixième des richesses qu’il rapportera (or, épices). Avec la Pinta, la Niña et la Santa Maria, Christophe Colomb va changer le visage de l’Amérique Latine et des Caraïbes qu’il découvre le 12 octobre 1492 (depuis jour férié en Espagne) malgré les difficultés météorologiques rencontrées durant ce voyage. Il sera reçu 3 mois plus tard en héros par ses protecteurs, laissant deux navires derrière lui, coulés. Il fera encore 3 autres grandes expéditions (entre 1493 et 1504). Grâce à lui, l’Espagne a agrandi son empire, mais au prix de nombreuses pertes humaines, de frustrations, de naufrages, de massacres, de populations réduites en esclavage (provoquant la fureur de la reine Isabelle), d’ambitions déçues, de rivalités. A la fin de sa vie, Christophe Colomb est diminué, affaibli par la goutte et une vue qui s’échappe. Il a cessé de plaire aux monarques. Il meurt en 1506, entouré de ses amis et fidèles.
Les Colomb, ducs de Veragua
Christophe Colomb laisse derrière lui un héritage controversé. Considéré par l’Église catholique comme un « apôtre évangélisateur », voué aux gémonies par les protestants, il n’en reste pas moins pour l’Histoire, un explorateur de génie, un navigateur talentueux qui établit un régime autoritaire et tyrannique dans les 7 colonies administrées par ses soins, selon certains de ses contemporains. Dans son testament, Christophe Colomb laisse ses biens à Diego et ses descendants. Toute sa vie, son fils va se battre pour récupérer titres et privilèges perdus par son père. Il a épousé une petite-cousine du roi Ferdinand d’Aragon, un mariage prestigieux qui lui permet de récupérer en 1506 le titre de gouverneur des Indes échu à son père. Titré duc de Veragua, marquis de la Jamaïque, il réside à l’Alcazar de Colón, un chef d’œuvre architectural construit à Saint-Domingue (alors Hispaniola), entretient une cour qui fait ombrage à celle des rois catholiques d’Espagne. Deux factions émergent, une qui lui est favorable, une autre à celle de Ferdinand d’Aragon qui décide de le rappeler en Espagne en 1514. Il faudra attendre la montée sur le trône de Charles Quint pour qu’il retrouve son poste en 1520, marqué par une révolte d’esclaves deux ans plus tard, réprimée dans le sang. Dans ses bagages, son frère, Fernand (1488-1539), issu d’une relation adultérine, un humaniste qui sera l’auteur de plusieurs ouvrages illustres et biographe de son père. Au décès de Diego en 1536, la famille se déchire autour du titre de Veragua, Fernand tente de se l’approprier. En vain.
Des vice-rois du Mexique à l’Italie
Diego a eu 6 enfants. C’est son fils aîné, Luis (1519 ? -1572), qui récupère de droit le titre de duc. Seuls comptent désormais les intérêts de sa famille. L’homme est avide. Il renonce à ses terres contre forte somme, mais conserve ses titres héréditaires. Il essaye même vainement de vendre, en 1554, le premier journal de bord que Christophe Colomb avait écrit (on a perdu sa trace). C’est aussi un époux bigame, un amoureux des femmes et dont la passion pour le sexe faible va le conduire à la prison et à l’exil en 1563 à Oran, alors bastion Castillon en Afrique du Nord. La famille de l’explorateur a perdu en éclat. C’est sa fille, Filipa Colón de Toledo y Mosquera (1550-1577) qui reprend la titulature et qui décède sans enfants. Les droits passent alors à l’arrière-petit-fils de Diégo Colomb (par sa fille Isabelle) Nuño Colón de Portugal (1560-1622) qui vit au Portugal. Loin des expéditions de son ancêtre, c’est un fin politicien qui va redorer le blason de sa famille en devenant régent du Portugal de 1621 à sa mort. Son petit-fils Pedro Nuño Colón de Portugal y Castro (1618-1873) sera Grand d’Espagne, Chevalier de l’Ordre distingué de la Toison d’or et un redoutable militaire. Il est même nommé vice-roi de la Nouvelle Espagne (Mexique). Une revanche pour ce descendant de Christophe Colomb qui fortifie la ville de Veracruz et entreprend l’assèchement de Mexico où il y meurt. Ironie de l’histoire, ce sont les découvertes de Christophe Colomb qui vont nourrir les rêves de conquêtes d’Hernan Cortès, le tombeur de l’Empire aztèque. Son fils, Pedro Manuel Colón de Portugal y de la Cueva (1651-1710) sera tour à tour vice-roi de Sicile (1696–1701) et de Sardaigne (1706–1708).
La branche Stuart des Colomb
Jacobo Francisco Eduardo Fitz-James Stuart y Colón du Portugal (1718-1785), son petit-fils, a une généalogie éloquente quand il reçoit en apanage le duché de Veragua. C’est un descendant direct du roi Jacques II d’Angleterre par son père. Les Colomb sont désormais affiliés à toutes les cours d’Europe. Sa famille va servir fidèlement la couronne d’Espagne. C’est de cette branche des Colomb que sont issus les ducs d’Alba, un titre adjoint à leur blason en 1802, faisant d’elle des potentiels héritiers de la couronne d’Ecosse. C’est donc Cristobal Colón de la Cerda y Gante (1837-1910), issu d’un autre fils de Diego, qui reçoit la titulature des ducs de Veragua. C’est un monarchiste convaincu. Étudiant en droit, il rejoint un groupe radical après les événements de 1868 qui mettent à mal la couronne d’Isabelle II. Député libéral en 1871 (un poste qu’il occupera des années), sénateur (de 1878 à sa mort), il est à la tête d’une fortune considérable. Ministre des Travaux Publics (1890), président de la Commission Centrale du IVème Centenaire de la découverte de l’Amérique (1892), il prend le strapontin de la Marine entre 1901 et 1902. Une carrière, symbole de l’apogée d’une famille au nom retentissant (les restes de Christophe Colomb ont été ramenés à Séville et enterrés dans la cathédrale en 1898). Son fils, du même nom, préfère la discrétion à la vie agitée politique que mène son père. Sa passion va aux chevaux. L’Histoire va pourtant le rattraper. Lorsque la guerre civile éclate en 1936, il a 62 ans. Son hacienda est prise d’assaut par les Républicains qui assassinent ses serviteurs tout comme son beau-frère, Manuel de Carvajal y Hurtado de Mendoza Téllez-Girón, XVIe marquis d’Aguilafuente. Lui-même fait les frais de cette haine. Il est assassiné de trois balles dans le crâne (août ou septembre 1936, plusieurs versions diffèrent sur la date y compris sur le mode d’assassinat. On évoque, soit deux balles dans la tête (à la tempe et au cou), soit le corps criblé de balles d’une mitrailleuse, achevé avec trois balles).
Un héritier qui assume l’histoire de son ancêtre
C’est son petit-neveu, Cristobal de Carvajal y Maroto, qui hérite du titre. Il fera sa carrière d’officier dans la Marine militaire (vice-amiral). Le duc de Veragua est un franquiste modéré qui rallie volontiers la monarchie à l’accession au trône du roi Juan Carlos en 1975. Nommé à la tête de la Commission du Ve Centenaire de la Découverte des Amériques (1982), il promeut l’image de son ancêtre comme ambassadeur extraordinaire de son pays. La monarchie des Bourbons a vu les choses en grand. Il s’agit de redorer la couronne espagnole à travers les exploits de Christophe Colomb. Le pays vit au rythme des attentats perpétrés par les indépendantistes basques de l’ETA. C’est encore un Colomb qui en sera la victime. Le 6 février 1986, il est assassiné. Son fils Cristóbal Colón de Carvajal y Gorosábel (né en 1949) est l’actuel duc de Veragua. Grand d’Espagne, il assume pleinement le passé, aujourd’hui jugé controversé, de son ancêtre accusé de « génocide » par certains pays d’Amérique du Sud. « Christophe Colomb n’a jamais été un génocidaire. Même son éthique ne l’aurait pas permis… et il n’y a pas non plus de preuves historiques pour le soutenir » expliquait-il au quotidien El Mundo en 2018, au plus fort de la polémique. S’il reconnaît volontiers que l’explorateur a réduit des indiens en esclavage, il rappelle que c’étaient des cannibales. « C’est une fierté pour moi de descendre de l’homme qui a joué le rôle principal dans le changement le plus important pour l’humanité » affirme le duc de Veragua.
Un combat pour la réhabilitation de Christophe Colomb qu’il poursuit. En 2020, au quotidien en ligne Aleteia, cet homme d’affaire dénonçait « une manipulation sans précédent de l’Histoire », déplorant que Christophe Colomb ne soit « défendu que dans quelques cas isolés par des intellectuels et toujours à titre personnel ». Un regret ? Le fait que les Amériques n’aient jamais porté le nom de son ancêtre à qui on doit la découverte de ce continent comme il l’indiquait lors d’une interview au quotidien El Tiempo. Marié à Isabel Elena de Mandalúniz y Castelo d’ Ortega, Cristóbal Colón de Carvajal y Gorosábel est le père deux fils à qui reviendront la charge d’écrire le prochain chapitre de l’histoire de la dynastie des Colomb.
Frederic de Natal