Mandaté par le gouvernement Britannique pour évacuer les ressortissants anglo-égyptiens, le général Charles Gordon fait face Muhammad Ahmad ibn Abd Allah. Un imam qui a lancé une guerre sainte dans l’ancienne Nubie au cours du XIXème siècle. Devenu un des héros de l’Histoire africaine, à la tête d’un État théocratique, il donne naissance à une dynastie qui perdure de nos jours. La Revue Dynastie vous propose de découvrir le destin des descendants du « Mahdi fou » qui se confond avec celui du Soudan.
Lorsque « Khartoum » sort sur grand écran en 1966, le film connaît un vaste succès en Europe. Exaltant, spectaculaire, exotique, doté d’une pléiade de stars internationales, il rassemble tous les ingrédients d’une aventure épique qui puise ses racines dans un chapitre douloureux de l’histoire britannique. L’Afrique vit à l’heure de la colonisation. En 1819, le Soudan est passé sous l’administration égyptienne. La cohabitation entre les deux peuples n’est pas de tout repos. Les impôts, trop élevés, contraignent les fermiers à quitter la vallée du Nil pour se réfugier dans le Darfour et le Kordofan. Une immigration qui bouleverse les équilibres agricoles. C’est dans ce contexte que va émerger la figure de l’imam Muhammad Ahmad ibn Abd Allah. Ses prêches commencent à attirer un nombre croissant d’adeptes sensibles à ses promesses de libération du pays et le retour à un islam rigoriste. Il ne tarde pas à se proclamer Mahdi, le rédempteur. Sa popularité interpelle le gouvernement égyptien qui envoie des troupes tenter de mettre fin à ce mouvement devenu une véritable armée en marche. Ce sera un échec.
Le mahdi à la tête d’un califat théocratique
C’est dans ce contexte que les Britanniques débarquent en Égypte, prétextant des émeutes qui nécessitent leur intervention. En réalité, le Khédivat est en cessation de paiement et ne peut plus payer ses créanciers. C’est le début d’une longue colonisation du pays à laquelle va se heurter le Mahdi. Prenant conscience du danger que représente Muhammad Ahmad ibn Abd Allah, Londres envoie une armée d’un millier d’hommes. En Novembre 1883, la confrontation tourne à l’avantage du Mahdi qui a lancé des dizaines de milliers de ses partisans fanatisés contre les anglo-égyptiens. C’est un massacre. Bientôt, c’est tout le pays qui passe progressivement sous le joug du rédempteur. Le gouvernement anglais envoie au Soudan, un homme expérimenté, le général Charles Gordon, flanqué malgré lui du colonel John Stewart. Gordon jouit d’une solide réputation, un fervent protestant qui a déjà dirigé le Soudan de 1877 à 1879. Il a appris à aimer ce pays et a laissé derrière lui le souvenir d’un bon gestionnaire. Ce sont les premières scènes du film « Khartoum » avec l’excellent Charlton Heston dans le rôle de Gordon Pacha. L’acteur va interpréter ce héros de l’Histoire avec brio. Obligé de s’enfermer dans la ville assiégée par le Mahdi, entre mars 1884 et janvier 1885, Gordon Pacha essaye de résister en attendant les renforts… qui arriveront trop tard. Lorsque les mahdistes prennent d’assaut la capitale du Soudan, il y trouve la mort. Affamés, les habitants de Khartoum ont résisté avec la rage du lion. Ils seront réduits en esclavage. Le Soudan perdu, le Royaume-Uni vit cette défaite comme une humiliation nationale et charge le Premier ministre Gladstone, accusé d’avoir fait assassiner Gordon Pacha. Le Mahdi a fait tomber le gouvernement de Gladstone.
Fin du califat mahdiste
Muhammad Ahmad ibn Abd Allah ne profite pas longtemps de sa victoire ni du califat dont il s’est proclamé le commandeur des croyants. Pris par les fièvres, il meurt six mois après la prise de Khartoum, à peine âgé de 40 ans. Son fils et successeur, Sayyid Abd al-Rahman al-Mahdi, est encore dans les langes au décès du Mahdi. C’est donc un des lieutenants du rédempteur, Abdullah Ibn-Mohammed Al-Khalifa, qui va prendre le charge les affaires de cette monarchie théocratique. Il va l’agrandir avec la conquête du Gondar éthiopien en 1889 (l’empereur Yohannes IV perdra la vie au cours de cette bataille). Fort de sa puissance, Abdullah Ibn-Mohammed Al-Khalifa lance ses troupes à l’assaut de l’Égypte en 1896. Un échec qui permet aux Britanniques de préparer leur revanche. Le califat est sous pression économique et le « régent » doit subir les foudres de la famille du Mahdi qui exige qu’il restitue le pouvoir en faveur de son légitime propriétaire. La bataille de Karari (ou Omdurman), où est présent un certain Winston Churchill, sonne le glas de la suprématie mahdiste (Ansar) en 1898. Le général Kitchener fait détruire à l’explosif la tombe du Mahdi, arrêter le cousin du rédempteur (et rival du régent), Muhammad Sharif, et fait éventer un complot où sera blessé Sayyid Abd al-Rahman al-Mahdi.
Une tentative de créer une monarchie
L’héritier du Mahdi est autorisé à rester au Soudan, redevenu anglo-égyptien, avec interdiction de reprendre les titres de son père, restant constamment à la garde des Britanniques qui savent le poids qu’il représente pour les soudanais (une assignation à résidence de 11 ans). Profondément religieux, Sayyid Abd al-Rahman al-Mahdi joue double jeu. D’un côté, il prononce des discours en faveur de l’État anglo-égyptien, de l’autre, il reconstitue à la barbe et au nez des Britanniques le mouvement mahdiste, n’hésitant pas à aller à la rencontre de ses adeptes. La Première Guerre mondiale fait craindre une résurgence du mahdisme. Notamment en 1915, où il est acclamé par 10 000 de ses adeptes aux cris « Le jour est arrivé » . Sayyid Abd al-Rahman al-Mahdi réclame d’être nommé roi du Soudan, ce que les Anglais refusent catégoriquement de lui accorder. Ils tentent même de lancer un mouvement mahdiste plus modéré afin de contrebalancer le sien trop djihadiste. À la fin du conflit, il est envoyé à Londres avec la délégation qui doit féliciter le roi George V pour sa victoire. C’est aussi le début de la montée des nationalismes et au Soudan, l’idée que l’Égypte est n’est qu’une extension de son territoire, se propage rapidement. En 1924, il propose de nouveau son projet d’un Soudan sous sa tutelle monarchique, mais une nouvelle fois le Foreign colonial office lui ferme la porte au nez, lui rappelant qu’il n’est qu’un leader religieux.
L’héritier du mahdi fou n’a pas la baraka
Ses velléités monarchiques se heurtent à celle de la monarchie égyptienne. Il rencontre le roi Farouk Ier en 1937 et critique vertement le traité qu’il a signé avec les Britanniques un an auparavant. Sayyid Abd al-Rahman al-Mahdi est un indépendantiste qui va favoriser la montée du nationalisme soudanais. Pour contrebalancer l’influence de la Khatmiyya, une secte soufie qui combat les Anglais, ces derniers mettent le fils du Mahdi à la tête d’un conseil tribal. Mais sa volonté persistante d’être roi ne permet pas à cette instance de s’imposer dans le pays. Pourtant, tout s’enchaîne très vite avec la Seconde Guerre mondiale qui lui permet d’asseoir son pouvoir, suivi de la chute de la monarchie égyptienne en 1952-1953, de la montée en puissance du Parti Umma (dont il est un des fondateurs) et le plébiscite qui donne l’indépendance au Soudan. Son parti remporte même les élections en mars 1958 et il s’attend à prendre un poste de Président à vie après avoir juré qu’il se ralliait au principe républicain. Un coup d’État en novembre suivant va ruiner ses espoirs. Amer, faute de baraka (chance), il prend acte et se retire de la vie politique, rendant son dernier souffle en mars 1959. C’est son fils, Sadeq al-Mahdi, qui va porter les espoirs des héritiers du mahdisme.
The Sudanese Minister of Foreign Affairs @SForeignAffairs Mariam al-Sadiq al-Mahdi, pays a courtesy visit to the NBI Secretariat in Entebbe #Uganda. She discussed issues about #NileBasin and #NileCooperation with NBI Secretariat Executive Director, Prof. Seifeldin Hamad Abdalla. pic.twitter.com/VieijriwxR
— NileBasin Initiative (@nbiweb) May 14, 2021
Une famille indissociable de l’histoire soudanaise
Il a été formé à bonne école. Il jouit de la même popularité que son père. Il y a urgence, le pays est au bord de la guerre civile et de la sécession. Le sud chrétien (qui prendra son indépendance en 2011 aux prix de massacres importants) réclame sa part du gâteau au nord musulman dominant. On fait appel à Sadeq al-Mahdi pour prendre le poste de Premier ministre en juillet 1966, mais la coalition de partis qu’il a formée, éclate en mai 1967. Devenu leader de l’opposition, il est arrêté et emprisonné en 1969 après le coup d’état du colonel Jaafar Muhammad an-Nimeiry. L’indépendance est un poison pour les Soudanais qui s’entre-déchirent. Exilé en 1974, Sadeq al-Mahdi incarne la voix de tous les opposants. Grâce à une seconde coalition, il revient au pouvoir par le biais d’élections démocratiques en 1986. Il reste Premier ministre deux ans avant d’être à nouveau la victime d’un putsch organisé par le brigadier Omar Al-Bashir. Il devient la bête noire du nouveau régime qui doit le combattre. À nouveau exilé entre 2017 et 2019, lorsqu’une révolution renverse Al Bashir, Sadeq al-Mahdi décide de se retirer. Une courte retraite. En novembre 2020, il meurt des suites du covid-19 à 84 ans.
C’est aujourd’hui sa fille, Mariam al-Sadiq al-Mahdi (née en 1965) qui assume la succession mahdiste. Plusieurs fois emprisonnée en 2019, elle est nommée au poste de ministre des Affaires étrangères entre février et novembre 2021, avant d’être limogée par un nouveau coup d’État. Saluée par le Financial Times qui la place parmi les 25 femmes les plus influentes du monde, devenue leader de l’opposition, elle incarne la nouvelle génération de mahdiste. Une revanche pour cette famille qui a marqué son nom, à jamais, dans le marbre de l’Histoire africaine.
Frederic de Natal