Le décès suspect de Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour avoir mal ajusté son tchador, a jeté une nouvelle fois les Iranien(ne)s dans la rue afin de réclamer plus de libertés. Dans les manifestations, le nom du fondateur de la dynastie Pahlavi a été scandé à diverses reprises. Devenu le cri de ralliement de toute une génération de femmes n’hésitant pas à braver le régime théocratique au péril de leurs vies, il rappelle à tous que la monarchie défunte a été un symbole et un moteur d’émancipation des Iraniennes. La Revue Dynastie revient sur l’histoire du féminisme iranien, combat d’avant-garde de la maison impériale. 

En quelques jours, Mahsa Amini, 22 ans, est devenue le symbole de toute une génération, d’un pays. Arrêtée le 13 septembre à Téhéran, par la police des mœurs de la République islamique, officiellement pour « tenue indécente » (en fait un voile mal porté), la jeune étudiante est décédée trois jours plus tard. Pour sa famille (qui évoque des blessures à la tête) comme pour beaucoup d’iraniens, elle est la dernière victime en date « d’un régime qui torture ses enfants ». Très rapidement, des mouvements de colère ont éclaté dans tout le pays, relayés par la presse internationale, contraignant le régime théocratique au pouvoir depuis la révolution de 1979 à se justifier et à affirmer que « Mahsa Amini a succombé à un arrêt cardiaque ». « Mahsa avait apparemment des problèmes physiques antérieurs [et] elle avait subi une opération au cerveau à l’âge de cinq ans », a expliqué le ministre iranien de l’Intérieur, Ahmad Vahidi. Une allégation fermement démentie par le père de l’étudiante.

Le nom des Pahlavi scandé comme symbole de résistance par les Iraniennes

Des manifestations qui ont drainé dans les rues des principales villes du pays, des centaines de milliers de personnes, réprimées violemment par les gardiens de la Révolution-force supplétive au pouvoir des mollahs- et qui auraient déjà coûté la vie à 36 personnes selon le Centre pour les droits humains en Iran (CHRI), une organisation non gouvernementale (ONG) basée à New York. Sur les réseaux sociaux, très prisés des Iraniens, dans plusieurs vidéos, on peut entendre à nouveau « Dieu bénisse Reza Shah » scandé comme un credo par les manifestants. Si pour le régime des mollahs, il s’agit là d’un « complot organisé par la famille Pahlavi » tant règne l’ambiguïté à ce sujet, dans la réalité, il s’agit du nom du fondateur de la dernière maison impériale d’Iran, reconnu pour avoir contribué à l’émancipation des femmes en Perse. Un progressisme qui s’est poursuivi sous le règne de son fils, Mohammed Reza Shah et de son épouse, Farah Pahlavi.

Reza Shah et son fils Mohammed visitant une école pour filles. Femmes Iraniennes aux courses hippiques @Dynastie/wikicommons

Reza Shah met fin à l’inégalité des sexes en Iran

Reza Shah (1878-1944), c’est l’histoire d’une ascension fulgurante alors que décline le pouvoir de la dynastie Kadjar. Officier cosaque, il devient en 4 ans, tour à tour, généralissime de l’armée perse, ministre de la Guerre, Premier ministre puis finalement Shah d’Iran en 1925. La société iranienne de l’époque est soumise à la charia, les femmes n’ont que très peu de privilèges au sein d’une société patriarcale. La révolution constitutionnelle de 1905 va leur apporter l’opportunité de faire entendre leur voix et gagner en légitimité. Un mouvement pour les droits des femmes est même formé. Des écoles pour filles vont bientôt voir le jour, la plupart du temps, tenues par des religieuses chrétiennes. Reza Shah a un modèle : Mustapha Kémal Atatürk. Ce dernier a mis fin au califat ottoman et a imposé la laïcité en Turquie. Il va s’inspirer des réformes de son voisin, non sans mal. En janvier 1936, il décide de créer un système égalitaire d’éducation entre les deux sexes et autorise les femmes à entrer dans une université, interdit la présence du voile. Une évolution des mœurs qui ne passe pas inaperçue dans un pays qui a déjà abandonné la tenue traditionnelle au profit d’une autre plus occidentale au parlement (1928). On dit que l’origine de cette révolution sociale aurait pour racine, la visite du roi Amanullah Khan d’Afghanistan en 1929. Accompagné de son épouse, Soraya, cette dernière, connue pour être féministe, serait apparue non voilée devant les autorités religieuses générant une vague de protestations de leur part. Refusant de mettre un voile, elle aurait fait forte impression sur Reza Shah.

Reza Shah et la reine Soraya d’Afghanistan @Dynastie/wikicommons

Une société divisée entre conservatisme et modernisme

Après un voyage en Turquie (1934), il autorise quelques mois plus tard, sa fille, la princesse Chams (1917-1996) à devenir présidente d’une association féministe. Malgré les protestations des religieux qui n’hésitent pas à provoquer des manifestations (en 1935, la mosquée Goharshad est le théâtre d’une émeute qui fera 150 morts), Reza Shah tient bon. La loi sera promulguée avec une nuance. Le voile (tchador) est « toléré », voire « accepté », dans les édifices religieux et autorisé dans l’espace privé. Aucune modération n’est permise. Les employés dont les femmes continuent de mettre le voile sont susceptibles d’être renvoyés, celles qui le portent sont refusées dans les bains publics et les salles de cinéma, les chauffeurs de bus ont la liberté de faire entrer ou non des femmes voilées. Certains poussent le vice à arracher les foulards des têtes des femmes. Un extrémisme qui attise les rancœurs parmi les mollahs qui ne comprennent pas comme le Shah, pieux et croyant (mais non pratiquant), puisse succomber ainsi aux sirènes de l’occidentalisation à outrance. Une opposition religieuse au régime se met silencieusement en place, accusé de faire le jeu des Européens. D’autant que ceux-ci tiennent entre leurs mains, les ressources économiques de la monarchie.

Le sacre de Farah Pahlavi, un message aux femmes d’Iran

Lorsque son fils, Mohammed Reza Shah, accède au trône du Paon en 1941, il continue les réformes entreprises de son père. En 1963, les femmes obtiennent le droit de vote et sont même élues au parlement (une des législatures aura jusqu’à 22 élues). L’année suivante, la princesse Ashraf (1919-2016), sœur du Shah, fonde l’Organisation des femmes iraniennes (OFI) qui remplace le haut-conseil des femmes, qu’elle avait créé deux décennies auparavant. À la veille de la révolution islamique, on recensait un million de Persanes utilisant les services de cet organisme spécialisé dans l’aide à l’enfance, formation, planning familial et conseils juridiques (la loi sur le divorce ayant été réformée donnant plus de prise de décisions aux femmes). Lorsqu’il couronne Farah Diba, impératrice d’Iran, c’est un message aux femmes que le Shah envoie aux femmes et aux religieux. « Il voulait montrer à la nation l’importance qu’il donnait aux femmes. Je n’ai jamais oublié quand il a posé la couronne sur ma tête, j’ai ressenti qu’il couronnait toutes les femmes d’Iran » n’hésitera pas à déclarer à ce propos, la Shabanou, en 2018 lors d’un documentaire consacré à sa vie. Un combat qui sera une priorité pour l’impératrice Farah, très investie dans l’émancipation des Iraniennes. « La société était encore très patriarcale, très machiste, son sacre a levé beaucoup de barrières. Il a permis aux femmes d’occuper une place qu’elles n’avaient encore jamais eue dans la société iranienne. Elles ont pu s’élever au-dessus du simple rang de femme au foyer. Elles ont pu devenir ministres, agentes de police, militaires, juges. Absolument tout. Ça a été le début de l’émancipation des femmes. Le sacre a été comme un déclencheur » renchéri dans ce même documentaire  citée par le magazine Paris Match, Reza Shah Pahlavi,.

Avec la révolution de 1979, les conservateurs vont drastiquement faire reculer le droit des femmes. La loi de protection de famille est abolie, l’OFI dissout, le port du hijab est de nouveau obligatoire. Pour autant, les Iraniennes ne vont pas abandonner cette lutte, toujours aux avant-postes des combats. Le régime va se fissurer sur cette question dans les années 90 même si Téhéran refuse de signer la convention internationale contre les discriminations des femmes. Le prix Nobel de la paix attribué à Shirin Ebadi, avocate féministe, en 2003, est un camouflet aux religieux et qui va devenir porteur d’espoirs pour les femmes d’Iran. Accusant la République islamique de « misogynie » dans un communiqué rendu public sur ses réseaux sociaux, le prince Reza Shah Pahlavi, prétendant au trône, a rappelé que le « meurtre » Masha Amini était devenu le « symbole d’une colère nationale » et que les « femmes restaient l’incarnation de la liberté de la société iranienne ». Un combat repris par ses deux filles, les princesses Noor et Iman Pahlavi, qui se sont jointes aux manifestations de la diaspora iranienne aux États-Unis en signe de solidarité.

Frederic de Natal