Fils du roi Boris III de Bulgarie, il monte sur le trône en 1943, à l’âge de 6 ans. L’Europe est en proie aux tumultes de la Seconde guerre mondiale et la conférence de Yalta va sceller le sort de cette monarchie orthodoxe. Siméon II va connaître des décennies d’exil avant de faire un retour triomphal dans son pays à la chute du communisme. Devenu Premier ministre d’une République où on continue de l’appeler « Majesté », il demeure encore une ombre tutélaire qui plane au-dessus de ce pays des Balkans en proie à diverses crises.
C’est au palais de Vrana que le roi Siméon II vous reçoit habituellement. Situé à la périphérie de Sofia, la capitale de la Bulgarie, il vit entouré se ses souvenirs. Parmi lesquels, on trouve des portraits de son père Boris III dont le principal souci a été de sécuriser sa couronne et garantir l’indépendance de son royaume durant son règne. Lorsque son père meurt subitement en 1943, peu de temps après un entretien avec le chancelier Adolf Hitler, décès qui a laissé place à toutes sortes de supputations, Siméon II se retrouve face à lui-même, menacé par les communistes; Un rouleau compresseur qui ne va pas tarder à se débarrasser de l’enfant-roi en l’exilant avec sa famille et en faisant fusiller au passage son oncle le régent Kyril En 1946, un référendum truqué abolit la monarchie et les Saxe-Cobourg-Gotha devront leur survie financière au roi Victor-Emmanuel III, grand-père de Siméon II, qui les accueille à Alexandrie où il s’est exilé lui-même. Mais c’est en Espagne que la maison royale va s’établir et devenir la voix de l’opposition au nouveau régime prosoviétique qui dirige d’une main de fer la Bulgarie.
Un roi de Bulgarie, descendant de Louis-Philippe d’Orléans
Le palais de Vrana est entouré d’un vaste parc dont une partie a été ouverte au public. D’un style baroque, combinant des influences byzantines, l’Art nouveau et le classicisme français avec un zeste d’architecture traditionnel bulgare, c’est en 1918 que le roi Ferdinand Ier, son grand-père, a acheté cette bâtisse de trois étages qu’il a largement amélioré durant toute la période de son règne. Pour les historiens, le « renard des Balkans » s’est révélé un monarque redoutable dont personne n’aurait pourtant parié un Lev, la monnaie bulgare, lors de son élection comme prince souverain en juillet 1887. Père de l’indépendance, il n’aura de cesse d’agrandir son royaume lors des guerres balkaniques. Un succès en demi-teinte. Il choisit de soutenir Berlin durant la Première guerre mondiale en dépit de la médiation du prince Jean d’Orléans, organisée discrètement par la Troisième république française. Entre les deux hommes, le même sang, celui du roi Louis-Philippe Ier, mais des points de vues opposés. La défaite des puissances centrales contraint finalement ce roi excentrique à abandonner son trône.
« Je suis persuadé que rouvrir les blessures du passé, est néfaste ou masochiste »
Cultivé, modeste, accessible, discret, il aime plaisanter. Siméon II n’est pas rancunier ni même nostalgique. Cependant, il entend rétablir certaines vérités comme il l’explique au magazine Vanity Fair lors d’une interview qu’il a accordée le 25 octobre dernier « Je suis persuadé que rouvrir les blessures du passé est néfaste ou masochiste. La vie est telle qu’elle est, elle ne peut pas être répétée ou corrigée. Par conséquent, le ressentiment pour moi est un élément destructeur. Dans ce contexte, je vous dirai qu’en tant que personne ayant subi les vicissitudes de l’Histoire, je ne vois aucun sens à fouiller dans le passé, encore moins à des fins politiques. Pour moi, le présent et le futur sont plus importants » déclare l’ancien monarque. Le palais de Vrana a fait l’objet d’un conflit avec le gouvernement bulgare avant que la cour juridique de Sofia ne finisse par statuer en sa faveur. Y compris pour les domaines forestiers de Rila où la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné cette année les décisions du gouvernement bulgare qui en avait interdit toute exploitation par un moratoire en 2009. « En 1998, de sa propre initiative, la Cour constitutionnelle bulgare s’est prononcée en faveur de la restitution de notre propriété privée, confisquée en 1947. La Bulgarie est l’un des rares pays qui, après la chute du Mur, a introduit le concept de restitution à tous les citoyens qui pourraient démontrer qu’ils avaient été lésés par le système politique précédent. J’entends par là que la famille royale n’a pas fait exception et a été traitée comme les autres citoyens » précise d’ailleurs à ce sujet le roi Siméon II.
« Un destin singulier »
En 2014, il a publié un livre autobiographique intitulé « Un destin singulier » aux éditions Flammarion. « Je l’ai écrit pour qu’une vie aussi particulière que la mienne soit racontée à la première personne et non par d’autres. De plus, je l’ai fait en pensant à mes enfants et petits-enfants, afin qu’ils sachent à quoi j’avais consacré ma vie et qu’ils comprennent ainsi pourquoi j’avais été dévoué totalement à la Bulgarie. Soit dit en passant, le livre a été publié en bulgare, espagnol, français, grec, italien, portugais et turc. Il sortira très prochainement en anglais agrémenté d’un chapitre supplémentaire concernant certains événements qui se sont produits en 2014 » renchéri Siméon II. Il est vrai que peu de princes exilés peuvent se targuer d’avoir été tour à tour roi, prince exilé et premier ministre de leur pays. Un destin qu’il partage seulement avec le défunt roi Sihanouk du Cambodge. Autorisé à revenir en Bulgarie après un retour triomphal en 1996, élu sous les couleurs d’un mouvement national portant son nom (NDSVII), il a dirigé de nouveau son pays entre 2001 et 2005. Son parti restera encore un temps très influent avant de péricliter peu de temps après sa démission quatre ans après avoir quitté son poste de Premier ministre.
« Les aléas du métier »
Il fréquente les grands de ce monde. Il demeure attaché à l’Espagne qui l’a vu grandir et se muer en homme politique. Il apprécie le roi Felipe VI mais se garde de « porter un jugement ». « Nous vivons dans un monde où la spécialisation est de plus en plus appréciée ou demandée. Quel exemple plus clair que celui d’un prince héritier, qui a été formé et préparé à ce rôle dès la naissance. Le roi Felipe, à mon avis, confirme plus que jamais mon point de vue » explique Siméon II. L’avenir de sa dynastie passe par ses enfants et ses petits-enfants qui se « sont toujours montrés à la hauteur » de leur héritage selon lui. Même s’ils sont dispersés à travers d’autres pays. Le prince héritier, Boris, 24 ans, a récemment été un des témoins du mariage du grand-duc Georges Romanov avec Victoria Bettarini à Saint-Pétersbourg. Pourtant Siméon regarde ce futur avec un certaine inquiétude. Comme pour la pandémie où il s’étonne du faible taux de vaccinés contre le covid-19 « dans un pays où l’éducation et la culture sont très valorisées ». « A chaque étape de l’évolution de l’humanité, vous trouvez du positif comme du négatif, selon la façon dont vous la regardez. D’une part, nous avons accès à pratiquement tout avec une abondance d’informations et une liberté de communication. A contrario, on constate aussi le développement d’une certaine superficialité ou de la multiplication des fausses informations dont plus personne ne prend la peine de vérifier. Je suis sûr que tôt ou tard certaines modes passeront et ce qui est vraiment bénéfique pour notre société restera » affirme Siméon II, récemment victime lui-même d’accusations mensongère sur un prétendu trésor royal dormant en Russie et dont il aurait réclamé la restitution à Moscou. « Les aléas du métier » dit-il tout en paraphrasant le roi Alphonse XIII.
Il reste encore au chevet de son pays, n’hésitant pas à intervenir quand il le faut comme dernièrement lors d’une interview à la télévision bulgare où il a une nouvelle fois incarné la fonction royale avec tout ce qu’elle a de plus neutre dans sa forme. Monarque, Premier ministre et demain Président de la République de Bulgarie ? Bien que son bilan parle pour lui et que l’on fait encore appel à ses talents de diplomate, ce partisan de l’Union européenne se défend de toute nouvelle ambition politique. A 84 ans, Siméon II aspire désormais à une certaine forme de retraite méritée.
Frederic de Natal