Fils d’un margrave autrichien, l’évêque Otton de Freising est un historien et un théologien réputé du XIIème siècle. En 1145, alors qu’il est en mission dans la principauté d’Antioche, il rencontre l’évêque de Djéblé, Hughes de Nevers, qui lui confie avoir rencontré un étrange souverain chrétien, de confession nestorienne, très riche et à la tête d’un immense empire. Il affirme que celui-ci est prêt à venir au secours des croisés en mauvaise posture en Terre sainte. L’évêque Otton de Freising écoute avec attention mais exprime ses doutes sur ce « Prêtre Jean » comme le nomme son alter ego. D’autant que Hughes de Nevers peine à situer le pays, laissant très perplexe Otton de Freising qui mettra une décennie pour coucher par écrit cet échange. L’histoire, aussi énigmatique soit-elle, va pourtant connaître un engouement inattendu dans toute la chrétienté.
De mythe improbable, ce mystérieux « Johannes » prend progressivement forme humaine dans le subconscient occidental. En 1165, l’empereur de Byzance reçoit une lettre signée de sa main et qui décrit une « terre traversée par un fleuve provenant du Paradis, charriant émeraudes, saphirs et rubis » où « toutes les valeurs chrétiennes sont respectées à la lettre, où le vol, la cupidité, le mensonge sont inconnus », de « forêts à poivre » agrémentées de « fontaines de cannelle » et où une salamandre tisse de la soie « dont on fait des vêtements qui ne se lavent que dans le feu le plus brûlant ». De quoi exciter l’imaginaire d’une époque portée sur les croyances et les superstitions. La lettre va être reproduite un certain nombre de fois et distribuée dans tous les royaumes. Y compris celui de France. D’autres souverains (comme Saint-Louis ou l’empereur Frederic de Hohenstaufen qui, lui, affirmera avoir reçu une bague de ce souverain lui permettant de devenir invisible) vont recevoir des courriers manuscrits de la main du « Prêtre Jean ». Chaque ambassade envoyée pour le rencontrer fait chou blanc. Ce monarque semble immortel, touché par la grâce divine.
Vaste canular pour galvaniser les chrétiens secoués par la perte de Jérusalem en 1187 ? Guillaume d’Ockham écrira qu’il s’agit d’un « tissu d’âneries ». Persuadé qu’il est en Asie (Chine) ou en Géorgie, le rouleau compresseur mongol va faire déplacer le mythe vers l’Afrique. Notamment grâce à une prophétie « dite d’Hannan « qui se propage au moment du siège de Damiette en 1290. Elle annonce la reprise de Jérusalem, du Caire et de Babylone et la ruine de l’islam. Tout cela grâce au concours d’un roi d’Albexi (Abyssinie ?) qui va s’emparer de la Mecque et faire la jonction avec le roi de Jérusalem, où main dans la main, ils viendront se recueillir dans devant le Saint-Sépulcre. Au XIVème siècle, le dominicain Jourdain de Séverac pense avoir enfin la réponse à cette énigme.
Légende ou réalité historique ?
Le fameux « Prêtre Jean » dont on parle depuis des centaines d’années n’est autre que le négus d’Ethiopie, un empereur qui vit dans la corne de l’Afrique et qui est un chrétien. La nouvelle fait le tour des cours européennes et ce sont les portugais qui partent les premiers à la rencontre du descendant de Salomon et de la reine de Saba qui parle encore l’amharique, la langue de Jésus. Au fur et à mesure que passent les années, les cartes géographiques vont persister à identifier ce pays comme la terre du roi mythique. On le dit même doté du pouvoir de détourner les eaux sacrées du Nil afin d’empêcher le sultan du Caire de pouvoir s’approvisionner en eau. Sans le vouloir, le négus est devenu le premier acteur d’une prophétie protéiforme que l’on se transmet de générations en générations et le souverain d’une utopie monarchique idéale où règne une paix séculaire que rien ne saurait troubler. Parfois, on dit même qu’il est lié généalogiquement aux rois mages, à la fois béni d’un pouvoir temporel (regnum) et d’un autre plus spirituel (sacerdotium).
L’archéologue Jacqueline Pirenne a tenté de percer le mystère du Prêtre Jean. Dans un livre inachevé, intitulé « La légende du Prêtre Jean » et publié à titre posthume en 1995, elle est arrivée à la conclusion que le terme de « Prêtre Jean » (Quasis-négus) faisait plus référence à un titre qu’à un personnage qu’elle arrive tout de même à désigner. Pour Jacqueline Pirenne, il s’agit en fait de l’empereur, Yemrehanna Krestos (« Le Christ nous guide ») qui a régné sur l’Ethiopie entre 1132 et 1172. Ce membre de de la dynastie Zagoué avait en effet envoyé une délégation au Vatican sans que l’on ne connaisse les détails de ce voyage. Dans la religion copte orthodoxe, il est d’ailleurs considéré comme un saint et on peut trouver encore aujourd’hui au pied de la pente de l’Abouna Yossef, un massif culminant à 4 190 mètres, une église qu’il a fait construire dans une grotte. Problème, c’est que nous ne savons rien de ce monarque autrement que les textes religieux qui évoquent ce saint et qui aurait été en lien avec le patriarche d’Alexandrie (qui parle de lui comme le nouveau David), le sultan d’Egypte ou le roi de Jérusalem. Aujourd’hui encore le mystère de la réelle existence du « Prêtre Jean » demeure. Un mythe qui a aussi donné naissance à un autre plus moderne, un dérivé qui continue d’essaimer : le Rastafarisme. Mais ceci est encore une autre histoire.
Frederic de Natal