Inverness, 1945. C’est ici que Claire Randall, infirmière chevronnée, et son mari Franck, professeur d’histoire, se retrouvent après de longs mois de séparation. Pour le jeune couple, il est désormais temps d’effacer les horreurs de la Seconde guerre mondiale et construire un nouveau foyer. Franck n’a pas choisi cette ville au hasard. Il entreprend des recherches généalogiques sur sa famille pendant que Claire trompe son ennui, en visitant ces lieux chargés d’un lourd passé historique et mythologique. À l’extérieur de la ville, sur la colline de Graigh na Dun, se trouve une série de menhirs où l’on pratique encore un culte mystérieux et druidique. Attiré par des voix envoûtantes, Claire Randall commet l’erreur de s’en approcher, de les toucher, de s’évanouir et enfin se réveiller dans la tourmente du XVIIIe siècle. Son voyage à travers l’histoire ne fait alors que commencer dans une Écosse où s’opposent une rébellion jacobite et les armées du roi Georges II. Il va la mener en Europe, aux Caraïbes et aux Etats-Unis.
L’œuvre de Diana Gabaldon, dont le premier roman de cette saga littéraire est sorti en librairie en 1991, nous plonge au cœur du conflit jacobite, ces partisans du prince Charles Édouard Stuart qui attendent son retour afin de le restaurer sur le trône de ses ancêtres. Montée sur le trône d’Angleterre et d’Irlande en 1603 grâce aux aléas d’une succession complexe, la dynastie des Stuart a été renversée une première fois en 1649 avant d’être rappelée onze ans plus tard. Une autre révolution chassera finalement le roi Jacques II en février 1685. Les Hollandais et leurs alliés huguenots français avaient alors opéré un véritable coup d’État contre la Rose blanche et catholique des héritiers de la maison des Yorks. Ce sont des milliers d’Écossais et d’Irlandais fidèles aux Stuarts qui avaient émigrés en masse en France, à la cour du roi Louis XIV. Parmi eux, les princes de la maison royale qui s’installèrent au château de Saint-Germain-en-Laye, devenu subitement la petite capitale de ces jacobites avides d’une revanche contre Guillaume III, stathouder des Provinces-Unies et désormais nouveau souverain d’Angleterre. Un antagonisme qui va se poursuivre avec l’avènement des Hanovre en 1714.
C’est dans ce contexte troublé que Claire Randall (jouée par l’actrice Caitríona Balfe) a été projetée dans ce vaste océan de haines réciproques, de mépris et d’intrigues entre clans écossais. Elle connaît l’avenir, le destin de cette rébellion dont les milliers de corps devaient joncher les prairies de la plaine de Culloden en avril 1746. Mais pouvait-elle en toucher un mot à ses nouveaux amis, en particulier Jamie Fraser (ici l’acteur Sam Heughan). Guère indifférente au laird de Broch Tuarach, Jamie fraser est un aristocrate viril à la crinière rousse et mi-longue qui, loin de toutes convenances nobiliaires, incarne tout au long de la série l’archétype du héros romantique écossais, une sorte de « Braveheart moderne ». Si la série n’entend rien cacher d’une certaine violence sadique, propre à cette époque, éludée par tous les livres d’histoires de collèges et lycées, elle évite avec une facilité déconcertante tous les stéréotypes du genre liés à cette aventure jacobite.
Une plongée dans une Écosse rebelle et mystérieuse
Outlander vous fait visiter une Écosse à la fois rebelle et mystérieuse. On y parle sans complexe un fascinant gaélique et on succombe aux charmes outranciers de ces jacobites indécis et divisés par la conduite à tenir face à la Couronne des Hanovre. Entre fidélités et trahisons, on suit les aventures en multiples rebondissements de Claire et de Jamie dans les profondeurs sauvages des Highlands. On pénètre au sein du Doune Castle, ce château que l’on a aussi pu apercevoir dans la série Games of Thrones et qui est la demeure du puissant clan Mac Kenzie, dont l’imposante masse sortie des brumes médiévales n’a rien à envier à la Hopetoun House, cette résidence néo-classique du duc de Sandringham, un aristocrate efféminé du cru local qui joue un troublant double-jeu.
Claire attire autant qu’elle intrigue ou qu’elle est crainte. Qui est donc cette sassenach, cette étrangère qui semble si bien connaitre les rouages de la médecine, ce métier réservé exclusivement aux hommes du XVIIIe siècle ? Quelques soient les lieux, les épisodes, les scènes se succèdent et nous entraînent dans un tourbillon de costumes tout aussi chamarrés les uns que les autres. On virevolte allègrement entre tartans, robes de mousselines ou de dentelle, tricornes et tuniques rouges d’officiers ou encore habits d’indiens. Ici règne l’authenticité et on a pris soin de respecter chaque pli des kilts dans la plus belle tradition écossaise (les acteurs ayant confessé qu’ils s’étaient passés volontiers de sous-vêtements afin de respecter les sacro-saints canons de la culture des Highlands). Le tout ponctué de musiques celtiques sur fond de cornemuses. Et on ne reprochera pas à notre auteur d’avoir volontairement placé une accusation de sorcellerie dans l’un de ses huit romans. Une petite erreur historique quand on sait que le dernier procès de ce type avait eu lieu en 1722. Donc postérieur à l’époque où se situe la trame de cette série.
Une série libérée, mélange de fantasy, d’histoire d’aventures et de voyage dans le temps
Entre deux scènes d’amours et de nus, tantôt hétérosexuelles tantôt homosexuelles, rien n’est épargné à notre œil pudique. La série au générique entêtant (The Skye Boat song écrite d’après un poème du romancier Robert Louis Stevenson) n’a pas lésiné sur les moyens techniques. Afin d’être au plus proche de l’histoire et de Claire Randall, que les aléas vont curieusement franciser, la série nous emmène à Versailles, à la cour d’un Louis XV qui se méfie de ces jacobites bien empressés mais qui semble tout aussi pressé de corriger cette perfide Albion. Notre héroïne va-t-elle pouvoir inverser la courbe de l’histoire et favoriser le retour de « Bonnie Charlie », ce prince de l’autre côté de la mer dont le penchant assumé pour l’alcool et les femmes tranche singulièrement avec sa folie mystique et bigote ? Claire va-t-elle décider de retourner dans ce présent où elle ne se sent plus à l’aise ? Quel sera le choix du couple qu’elle forme avec Jaimie et qui sera tiraillé entre deux camps en Caroline du Nord ? Mélange de fantasy, d’histoire d’aventures, de voyage dans le temps, on suit le parcours du couple, de sa progéniture, des membres de leur clan avec curiosité jusque dans cette Amérique en proie à des sentiments de révolte contre les Anglais, à la fois protecteur et occupant pour bien des colons.
La série n’échappe pas comme ses consœurs à quelques libertés comme le chewing-gum mâché par un des méchants de service dans l’épisode 6 (première saison), seulement apparu en Europe en 1848, quelques anachronismes comme dans l’épisode 4 de la saison 2 où Claire demande à ses invités s’ils sont allés voir l’opéra de Monsieur de Lully (décédé en 1687) ou l’introduction de la pénicilline (découverte en 1928) dans l’épisode 2 de la saison 5. Le Chardon et le Tartan (Outlander) reste une épopée intense, qui se dévore d’un trait et qui nous captive tant les acteurs se sont appropriés complètement leurs personnages. Une saga épique où chacun de nous prendra irrémédiablement fait et cause pour ces Écossais au nom de l’Auld Alliance, où nos cœurs de passionnés s’imagineront prendre la place de Simon ou Claire. « Cerise sur le haggis », après cinq saisons au succès mérité et salué par toutes les critiques, doté de multiples récompenses, bien que retardé en raison de la pandémie de covid-19, le sixième opus de cette saga jacobite est actuellement en préparation.
Frederic de Natal