Tout au long de son histoire capétienne, le royaume de France a été constellé de duchés, comtés, marquisats en tout genre. Mais aussi de principautés diverses. Parmi lesquelles, celles des Dombes avec pour capitale Trévoux. Possession exclusive d’une branche de la Maison Bourbon, elle va acquérir une véritable indépendance politique avant d’être intégrée à la couronne au cours du XVIIIème siècle. La Revue Dynastie vous propose un voyage historique au cœur d’une principauté méconnue, trésor de notre patrimoine national.
La Dombes, fort peu peuplée dans l’Antiquité, ou seulement par des populations éparses dont témoignent les quelques poypes disséminées sur le territoire, tire son nom des termes latins « Pagus Dumbensis » relevés dès l’époque mérovingienne. La deuxième édition du Dictionnaire de Trévoux (1721) évoque d’ailleurs une hypothèse à son étymologie : « Ce nom, Dombes, vient peut être de Tumbae, parceque ce païs , comme on l’a dit, est plein de collines & de lieux élevez, qui dans la basse latinité se sont appellez Tumbae, Tombes, Dombes. Tumba est la même chôse que tumulus, de tumor ». Elle s’étendait sur un espace correspondant, à peu de chose près, à la Dombes actuelle sur une partie du département de l’Ain. Le roi burgonde Gondebaud (« le guerrier audacieux »), suite à une rencontre avec le roi Clovis, rentra en possession du Nivernais et établit la première administration par la création d’un code rédigé en Latin, régissant la vie de son peuple, les personnes et leurs biens ainsi que sa propre succession : la Loi Gombette, largement inspirée du droit romain. Avec le Traité de Verdun en 843 qui morcele en trois royaumes l’Empire de Charlemagne, la Dombes est partie intégrante de la Lotharingie. Mais, les empereurs successifs à la tête du Saint Empire Romain germanique, succédant à l’Empire carolingien, vont ignorer ce territoire parsemé de marais et de moustiques où la fièvre maligne sévissait.
La Principauté de Dombes
Sous les Capétiens, la Dombes (ou plutôt « les Dombes » à cette époque) était scindée en deux territoires distincts, séparés par le couloir bressan, à la tête desquels se trouvaient les rois de Bourgogne puis la famille de Beaujeu, possesseurs d’une partie du Beaujolais actuel. Suite à des révolutions et de multiples alliances avec les maisons de Bresse, de Savoie et de Baugé, ils vont entrer en possession des Dombes. Ce fut sous leur administration que fut créée la principauté de Dombes en 1218. Ce fut également sous les comtes de Beaujeu que les plus anciens documents de 1230 attestent d’aménagement d’étangs dont l’objectif était de trouver une alternative en cas de pénurie de viande. Des aménagements favorisés par la terre argileuse qui retient l’eau en ses creux. La gestion de ces marais, transformés en étangs au fil des décennies, engendra de nombreux conflits et on définit des règles d’usages détaillées en une coutume de droit oral appelée « coutume de Villars » (1524). Cette règle autorisait l’inondation de la propriété voisine « sur ses propres terrains édifier une digue propre à retenir l’eau et exploiter le produit de la pêche ». En échange, le propriétaire inondé pouvait bénéficier tous les trois ou quatre mois du produit de cette pêche et l’exploiter comme bon lui semblait.
D’Humbert Ier de Beaujeu à Édouard II, huit souverains régnèrent sur ces deux territoires (1218-1400) jusqu’au conflit qui va les opposer au comté de Savoie dans les dernières années du XVIème siècle. Une guerre incessante sur plusieurs siècles qui s’acheva avec le règne d’Édouard II, obligé de céder la principauté de Dombes au prince Louis II de Bourbon en échange de sa libération. L’indépendance et l’autonomie de la Dombes, avec Trévoux pour capitale, avaient été reconnues déjà sous le règne de Philippe-Auguste à tel point que Louis XIV dira lui-même sous son règne par lettres patentes : « Le Souverain de Dombes n’est point à son égard comme un Vassal à l’égard de son Seigneur, mais seulement comme un moindre Souverain à l’égard d’un plus puissant. »
Parlementarisation de la principauté sous les Valois
Louise de Savoie, mère de François Ier, avait quelques prétentions sur la Dombes que le roi confisqua au connétable Charles de Bourbon, suite à sa trahison. De 1523 à 1560, la principauté de Dombes fut rattachée à la couronne de France sous les règnes de François Ier, Henri II et François II pendant une période que les historiens retinrent sous le nom « d’interrègne ». François Ier conserva l’intégrité du territoire de la Dombes en plus de ses privilèges, droits, coutumes, exemptions d’impôts et immunités et il fut à l’origine de la création d’un parlement, une chambre « en souverain et dernier ressort », en 1523 dont le siège fut d’abord établi au palais de Roanne, à Lyon, jusqu’en 1696 « par territoire emprunté » et d’une monnaie propre à la principauté, frappée à Trévoux. Au sein de ce parlement, on trouvait : 1 premier président, 2 présidents « à mortier » (des présidents de chambre), 2 chevaliers d’honneur, 10 conseillers laïques, 2 conseillers ecclésiastiques, des conseillers d’honneurs, 2 avocats généraux, 1 procureur général, 2 substituts, 4 secrétaires du roi et de la cour, 1 greffier en chef, 1 premier huissier, 4 audienciers, plusieurs avocats et enfin 12 procureurs. Les conseillers au parlement de Dombes pouvaient « fraterniser avec ceux des Parlemens de son Royaume, & de pouvoir devenir Maître des Requêtes après le tems marqué par les Ordonnances. Ils ont aussi droit de Committimus. Le Souverain fait battre monnoye, a droit de vie, & de mort, d’annoblir, & d’imposer sur ses Sujets tout ce qu’il veut. »
Les Bourbons, princes des Dombes
Par un traité passé à Orléans le 27 novembre 1560, François II reconnut les services rendus par Louis, duc de Montpensier, surnommé le Bon, fils du connétable de Bourbon et lui restitua la principauté avec toutes ses prérogatives dont son indépendance, son autonomie et le « droit de Souveraineté, prérogatives, prééminences, éxemptions, franchises et libèrté, sans rien résèrver, hors la bouche & les mains ». L’Histoire va alors retenir essentiellement deux grands souverains de Dombes :
– Anne-Marie-Louise d’Orléans (1627-1693), cousine germaine de Louis XIV, plus connue sous le nom de « Mademoiselle de Montpensier » ou sous celui de « Grande Mademoiselle » qui, pensant, obtenir la libération du duc de Lauzun, fit don de la nue-propriété du pays de Dombes à son cousin le duc du Maine en 1681, tout en conservant la jouissance de la principauté. On lui doit, entre autres, l’hôpital de Trévoux abritant l’apothicairerie (1686).
– Louis-Auguste de Bourbon (1670-1736), duc du Maine, fils légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan, à la suite de la précédente, fit construire les bâtiments du parlement de Trévoux (aujourd’hui le tribunal d’instance) avant de le transférer de Lyon en ses murs en 1703. Il encouragea également l’impression des deux premières éditions du dictionnaire de Trévoux à partir de 1704.
La deuxième édition du Dictionnaire de Trévoux (1721) fournit dans sa définition du mot « Dombes » une description géographique de la Principauté telle qu’elle se constituait au début du Siècle des Lumières : « La Principauté de Dombes est bornée par la Bresse à l’orient, par le Beaujolois à l’occident, par le Lionnois au midi & par le Mâconnois au Septentrion. Ce païs qui s’étend le long de la Saône qui le sépare du Beaujolois, est beau, fèrtile, & relevé par tout en colines & en montagnes. Il est divisé en douze Châtellènies, qui sont, Trevoux, Beauregard, Monmèrle, Toissey, Lent, Chalamont, le Châtelard, Marlieu, Baneins, Villeneuve au Prince, Amberieu, & Lïgneu. Ses villes principales sont Trevoux, Toissey, & Beauregard. Trevoux est la Capitale de toute la Principauté, qui a été formée de plusieurs tèrres, qui dépendoient auparavant du Royaume de Bourgogne, & qui fûrent comprises ensuite dans la Seigneurie de Beaujeu, dont le tèrritoire s’étendoit à l’orient & à l’occident de la Saône. » À noter que deux personnages célèbres de l’Histoire de France foulèrent les terres dombistes : Saint Vincent de Paul séjourna à Châtillon-sur-Chalaronne en 1617 tandis que Vaugelas, le fameux grammairien, membre fondateur de l’Académie Française, de son nom complet, Claude Favre, baron de Pérouges, seigneur de Vaugelas, naît à Meximieux en 1585.
Le déclin de la Principauté de Dombes
Les origines du déclin commencèrent tôt : avec l’arrivée au pouvoir du régent Philippe d’Orléans, le duc du Maine fut contraint d’abandonner tous les titres de prince du sang que lui avait octroyés son père Louis XIV et le duc n’accorda donc plus de protection à l’imprimerie de Trévoux. Le second fils du duc du Maine, Louis-Charles, désintéressé par la principauté, l’échangea avec Louis XV contre des terres et le comté d’Eu en 1762. La Dombes rentra donc dans le domaine royal et le parlement de Trévoux fut définitivement dissous neuf ans après. La Révolution acheva de détruire les derniers restes de l’Ancien Régime. Une grande majorité des clochers de la Dombes furent détruits, 75 prêtres furent arrêtés, les cloches fondues et les églises fermées sur ordre d’Albitte, représentant de la Convention, dont le but était de se débarrasser « de la vermine sacerdotale ». Les étangs furent asséchés par la Convention pour lutter contre la disette en augmentant les surfaces cultivables mais ils furent finalement rétablis par le Directoire. La question de l’assainissement des étangs de Dombes fut discutée jusqu’au milieu du 19ème siècle, où il fut alors question de tracer la ligne de chemin de fer Lyon-Bourg en Bresse, aboutissant ainsi à un asséchement de près de la moitié des étangs. La ligne fut inaugurée en 1866. Trois ans plus tôt, les moines d’Aiguebelle s’installèrent à l’abbaye de Notre Dame des Dombes. Ce fut particulièrement sous leur impulsion que les étangs insalubres furent assainis et que l’agriculture en Dombes se modernisa en partie.
Que reste t-il de cette principauté Aujourd’hui ?
Plus que jamais, le patrimoine architectural et naturel de la Dombes est, pour le premier, victime d’un désintéressement croissant de la part des grands élus et, pour le second, victime du réchauffement climatique qui assèche les étangs. Seule une poignée de bénévoles ont pris l’initiative de mettre en valeur ce patrimoine pour le protéger et espérer le transmettre aux générations futures. Un projet de Parc Naturel Régional (PNR) a été avancé en 2007 mais rejeté par la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Pourtant, la Dombes est l’une des dernières grandes zones d’étangs en France. La Dombes, entre son Histoire et la Nature qui la compose, a encore bien des choses à nous apprendre. Ô combien cette double particularité est fragile et indispensable à l’équilibre de cette partie de l’Ain. Ce n’est point un hasard si l’Académie de la Dombes, société savante fondée en 1980 qui s’efforce d’apporter sa prestigieuse contribution à la promotion du Pays de Dombes, comporte sur son blason les deux symboles : les armes des Princes de Dombes et un roseau. Les deux furent de tous temps intimement liés.
Maxime Dehan
Membre titulaire de l’Académie de la Dombes,
Membre associé de l’Académie de Villefranche et du Beaujolais.