C’est par effraction qu’ils sont entrés par la petite porte de l’Histoire. Anciens princes du Saint-Empire romain germanique, les Wied-Neuwied accèdent au trône d’Albanie et de Roumanie au cours de la première moitié du XXème siècle. La Revue Dynastie revient sur le destin tumultueux de cette maison de l’aristocratie allemande.
Les origines de la maison de Wied-Neuwied sont difficiles à retracer. Ce n’est qu’au XIIème siècles que les comtes de cette seigneurie teutonne sont mentionnés dans un document rédigé par le monastère de Saint-Thomas à Andernach. Pour autant, ce n’est pas une famille inconnue du Saint-Empire romain germanique puisqu’Arnold de Wied (1098-1156) était le chancelier de l’empereur Conrad III Hohenstaufen. Une position importante qui permet à ce comte de régir les possessions italiennes de la dynastie impériale et de diriger l’archevêché de Cologne. Les deux hommes participeront même ensemble à la Seconde croisade entre 1147 et 1149. Arnorld de Wied est également celui qui va sécuriser l’élection au trône de Frederic Barberousse en 1152 avant de mourir accidentellement. Dès lors, l’histoire des comtes de Wied va se mélanger à celle du Saint-Empire romain germanique et celle des croisades en Terre sainte jusqu’à la consécration suprême en 1784, un titre de prince héréditaire.
Une principauté pris dans la tourmente de la Révolution française
Le prince Johann Friedrich Alexander de Wied (1706-1791) a été un élément clef des négociations lors de la guerre de succession de Pologne et qui aboutiront au traité de paix signé à Vienne. Longtemps considérée comme un havre de tolérance religieuse, la principauté de Wied autorise autant la construction de synagogues, de temples protestants que d’églises catholiques. Ce sont ses talents de médiateur, dans une affaire opposant un comte réformé et un autre catholique, qui ont permis à Johann Friedrich Alexander de Wied d’obtenir cette élévation au rang de prince. L’historien Max Braubach le décrira comme « l’un des meilleurs représentants de l’absolutisme éclairé du Reich ». Son fils et successeur, le prince Friedrich Karl (1741-1809), mènera une vie dissolue, multipliant les maîtresses et vidant le trésor public. En 1791, il décide d’abolir le servage malgré lui. Ayant souhaité imposer des taxes pour financer son train de vie, des paysans le traînent devant un tribunal et obtiennent gain de cause. Condamné à payer une somme astronomique, n’ayant pas les moyens de la régler, il décide alors de libérer les serfs de sa tutelle seigneuriale. Une décision qui met la cour impériale en colère. Lorsque les troupes françaises entrent en Allemagne, le prince préfère la fuite au combat. Un exil interne entre 1793 et 1797 qui lui vaut le mépris de Bonaparte. En 1802, il se résout à abdiquer en faveur de son fils, le prince Johann August Karl de Wied (1779-1836), au grand soulagement de tous.
Un premier trône pour les Wied
Johann August Karl de Wied est un militaire compétent qui va faire ses preuves sur le champ de bataille. Mais ce n’est qu’en 1804 qu’il va pleinement exercer son droit de prince, après deux ans de régence de sa mère, la princesse Marie-Louise de Sayn-Wittegenstein. Il accepte de rejoindre la Confédération du Rhin, entité créée par Napoléon Ier. En réaction, l’empereur François d’Autriche lui retire son titre de prince (1806) et intègre sa principauté au duché de Nassau. Un mauvais calcul pour le prince Johann August Karl puisqu’au Congrès de Vienne, il ne peut récupérer sa titulature ni ses terres passées sous l’administration de la Prusse. Restauré dans ses droits en 1827 après un accord l’autorisant à reconstituer la principauté, celle-ci sera de nouveau dissoute en en 1848, peu de temps après la révolution qui va secouer toute l’Allemagne. Le prince Wilhelm Hermann Karl (1814-1864), dernier souverain héréditaire, n’a pas laissé une grande trace dans l’histoire de sa famille. Excepté ses noces avec la princesse Marie de Nassau qui lui donnera trois enfants. Parmi lesquels, la princesse Elisabeth de Wied (1843-1916) dont le mariage avec le prince Carl de Hohenzollern-Sigmaringen va marquer la Roumanie. Esprit romantique et écrivaine à ses heures perdues (sous le pseudonyme de Carmen Sylva), elle permet à la maison de Wied d’obtenir sa première couronne (1881) et de revenir sur le devant de la scène. Son fils Wilhelm Adolph Maximilien (1845-1907) sera un partisan acharné de la politique coloniale où il va jouer un grand rôle dans son développement (membre du Conseil colonial, il finance des expéditions en Afrique et sera le président du comité anti-esclavagiste entre 1899 et 1901). Acquis l’idée d’un Reich uni sous la houlette des Hohenzollern, il sera nommé président de la Chambre prussienne des Lords de 1897 à sa mort.
Candidat au trône d’Albanie par la volonté de Vienne
Le déclenchement de la Première Guerre balkanique a bouleversé les frontières territoriales du sud des Balkans. Réunies à Londres, en conférence, les six grandes puissances européennes décident de redécouper cette partie de l’Europe et de donner suite aux revendications des Albanais. Cet ancien territoire Ottoman va accéder à l’indépendance mais sous le contrôle de l’Europe qui entend lui imposer un souverain européen. 19 candidats vont se positionner pour ce trône montagneux. On trouve le prince Ahmad Fouad (futur roi Fouad Ier d’Égypte), le prince roumain Albert Constantin Ghica de Moldvaie, Juan Pedro Aladro y Kastriota (un descendant direct de Skandeberg, héros national du XVème siècle), le prince Ferdinand d’Orléans-Montpensier (qui organise son débarquement avant de devoir renoncer), le prince Wilhelm de Wurtemberg-Urach (futur roi de Lituanie), le prince Moritz de Schaumburg-Lippe, le baron Franz Nopcsa von Felső-Szilvás , le prince Victor Napoléon ou encore le prince Arthur de Connaught ( petit-fils de la reine Victoria). En dépit de généalogies solides, ce n’est pas sur eux que les regards vont se porter. Wilhelm Friedrich Heinrich de Wied, second fils de Wilhelm Adolph Maximilien, est capitaine de cavalerie dans l’armée prussienne lorsqu’il est approché par Vienne et Berlin. Il est probable qu’Elisabeth de Wied a joué un rôle déterminant dans ce choix que le prince refuse tout de suite (il supplie par courrier l’empereur de Guillaume II de le soutenir, ce qu’il obtient). Vienne fait pression sur le prince qui finit par accepter de mauvaise grâce. Sitôt la nouvelle connue, certains médias ironisent sur la situation comme en France où dans un jeu de mot, la presse surnomme Wilhelm Friedrich Heinrich, le « prince de vide » tant on sait qu’il n’a pas véritablement de regalia ni terres de prestige.
Une règne éphémère
C’est le 7 mars 1914 qu’il débarque dans son nouveau royaume enfermé dans un impeccable costume allemand. Il est mal préparé, ne connaît pas les réalités de cette monarchie qui se veut sans religion officielle afin de ménager les minorités catholiques et orthodoxes. A ses côtés, son épouse, la princesse Sophie de Schönburg-Waldenburg, visiblement plus ravie que lui d’être une souveraine. Mais ses alliés de hier vont rapidement devenir ses premiers ennemis et une rébellion éclate. Pour ne rien arranger, l’attentat de Sarajevo en juin 1914, va fragiliser sa couronne. Peu à peu, tous les régiments étrangers envoyés pour le protéger, l’abandonnent pour regagner leurs casernes respectives. Pis, quand l’Autriche lui demande d’envoyer des supplétifs albanais, il refuse arguant de la neutralité de son pays. Vienne décide de lui couper les fonds. La situation devient très rapidement intenable et en septembre suivant, le « mbret » Wilhelm décide de laisser son trône, sans abdiquer pour autant. Deux ans plus tard, l’Autriche-Hongrie occupe une partie de la principauté. Wilhelm espère pouvoir remonter sur son trône mais aucune proposition ne viendra de la part de Vienne pas plus des Alliés lors de la Conférence de Versailles (1919). Les diplomates refusent de redonner sa couronne au prince de Wied, né dans un pays qui mis l’Europe à feu et à sang. Il n’abandonne pas. Dans les années 1920, il va chercher à revenir. L’Albanie pense revenir à un régime monarchique, il avance son nom parmi tant d’autres (comme celui du prince Jérôme Bonaparte). Un échec qui le contraint en 1925 à abdiquer en faveur de son fils, Carol Victor (1913-1973).
Une lignée qui n’échappe à l’Histoire
L’Albanie échappera définitivement aux Wied, même si leurs soutiens tentent d’imposer le prince Carol en 1924 (Ahmed Zog s’empare du pouvoir) ou lors de l’invasion allemande en 1939 (le comte de Ciano s’assurera que Berlin n’envisage pas cette solution avant de proposer la couronne à Victor-Emmanuel III, déjà cité come candidat en 1912). Avec l’arrivée des nazis au pouvoir, les Wied hésitent à soutenir Adolf Hitler. Le frère de Wilhelm franchit finalement le pas et adhère au NSDAP. Le prince Viktor (1876-1946) est un diplomate chevronné. Il est nommé ambassadeur en Suède entre 1933 à 1943 et reçoit même une dotation de la part du Führer. Avec la défaite allemande, accusé de collaboration, ils sont expropriés. Le « mbret » Wilhelm a regardé, sans mot dire, la chute du IIIème Reich. Il meurt le 16 avril 1945, quatre jours avant Hitler, à l’âge de 69 ans.
La maison de Wied est aujourd’hui représentée par le prince Franz Alexander Maximilien de Wied (né en 1999), descendant en ligne directe du prince Wilhelm Hermann Karl par son fils aîné. Il n’a fait aucune revendication sur le trône d’Albanie, se contentant de s’occuper des exploitations forestières et châteaux qui ont été restitués à sa famille. Une des plus grosses fortunes d’Allemagne.
Frederic de Natal