Apogée et chant du cygne de l’épopée johannique, le sacre de Charles VII à Reims, le dimanche 17 juillet 1429, rétablit la lignée capétienne dans sa légitimité dynastique. Plus qu’aucune autre date, elle marque également la naissance de la nation française.
Tandis que le duc d’Albret, faisant l’office de connétable, tenait l’épée nue devant Charles VII, Jeanne, également debout, tenait son étendard près de l’autel. Cela est attesté par les assistants, et mieux encore par la Pucelle elle-même, traîtreusement interrogée à ce sujet par les juges de Rouen. On lui reprochait, en effet, d’avoir pris cette attitude pour éclipser les autres bannières et satisfaire ainsi son orgueil et son amour d’une vaine gloire. Il fallait nier le fait ou encourir le reproche.
Jeanne avoua tout, mais elle expliqua sa mise en scène avec une vaillance digne de Du Guesclin ou de Bayard. Sa réponse revêtit une tournure si admirable et si française qu’elle est entrée, pour ainsi dire, dans les mots sublimes de notre langue. Elle reconnut d’abord le chef d’accusation comme on l’avait formulé : « Dit que son étendard fut en l’église de Reims, et lui semble qu’il fut assez près de l’autel, et elle-même le tint un peu. » Puis elle riposta une seconde fois, à la face de ceux qui osaient lui parler de vaine gloire : « Interrogée pourquoi son étendard fut-il plus porté en l’église de Reims, au sacre de son roi, que ceux des autres capitaines, elle répondit que cet étendard avait été à la peine, c’était bien raison qu’il fut de l’honneur ! »
L’étendard de Jeanne d’Arc, qu’elle tint près de l’autel, au sacre, dans la cathédrale de Reims, était l’enseigne préférée de la guerrière : elle l’aimait, disait-elle, quarante fois plus que son épée, parce que sa main, qui ne maniait point le glaive homicide, déployait à l’aise son oriflamme comme le présage du succès et de la victoire. Elle le tint dans le chœur de Notre-Dame comme l’emblème national par excellence.
Deux autres détails du sacre éveillèrent les soupçons des juges : la couronne et les gants. On demanda à Jeanne quelle couronne fut mise sur la tête de Charles VII, si elle était riche et d’où elle venait. À cela, elle répondit que le prince accepta volontiers celle qu’il trouva à Reims, mais qu’il en aurait eu une mille fois plus riche s’il avait voulu attendre quelques jours, contre le gré des Rémois. Elle ajouta qu’on lui en offrit une de grand prix quelque temps après.
Quant aux gants, on lui reprochait d’en avoir fait retrouver une paire, par sortilège, lorsqu’on en fit une distribution aux seigneurs. Et l’on s’inquiéta de ce que devinrent ceux avec lesquels le roi avait reçu l’onction royale. Elle se défendit sur le premier point et ne répondit rien au second : « Interrogée sur ce qu’elle fit à Reims des gants avec lesquels son roi fut sacré, elle répondit qu’il y eut une livrée de gants pour les donner aux chevaliers et nobles qui là étaient. Et ce fut l’un d’eux qui avait perdu ses gants, mais elle ne dit point qu’elle les ferait retrouver. »
Laissons de côté ces incidents captieux pour nous attacher surtout à cette scène admirable, fidèlement retenue dans la mémoire du peuple : Jeanne à genoux, pleurant, rendant grâces à Dieu du succès de sa mission, retrouvant à cet instant toute sa sensibilité féminine sans rien abdiquer de sa vocation. Il suffit pour se pénétrer d’un tel moment d’en relire le naïf récit : « Quand la Pucelle, dit le Journal du Sacre, vit que le roi était sacré et couronné, elle s’agenouilla en présence de tous les seigneurs, devant lui, et en embrassant ses jambes, lui dit en pleurant à chaudes larmes : “Gentil roi, or est exécuté le plaisir de Dieu, qui voulait que je levasse le siège d’Orléans, et que je vous amenasse en cette cité de Reims recevoir votre saint sacre, en montrant que vous êtes vrai roi, et celui auquel le royaume de France doit appartenir.” Et moult faisait grande pitié à tous ceux qui la regardaient. »
Henri Jadart
Ancien conservateur de la Bibliothèque et du Musée de Reims
« Nos souveraines et très redoutées dames, plaise à vous savoir que hier, le roi arriva en cette ville de Reims, où il a trouvé toute et pleine obéissance. Aujourd’hui, il a été sacré et couronné, et a été, moult belle chose à voir le beau mystère, car il a été aussi solennel et accoutré de toutes les affaires y appartenant, aussi bien et si convenablement pour faire la chose, tant en habits royaux et autres chose à ce nécessaires, comme s’il les eut commandés un an auparavant. Et il y a eu tant de gens que c’est chose infinie à écrire, et aussi la grande joie que chacun en avait.»
Lettre de trois gentilhommes angevins à la reine et à la belle-mère de Charles VII, datée de Reims, le 17 juillet 1429 (jour du sacre)