Dans le caveau du palais Koch, le siège romain de la Banque d’Italie, c’est une vraie fortune estimée à plusieurs centaines de milliers d’Euros qui sommeille dans un coffre scellé depuis 1946. En réclamant la restitution des bijoux de sa famille, le prince Emmanuel-Philibert de Savoie a provoqué un tollé en Italie. Interviewé par le Corriere della Sera, le fils du prétendant au trône menace de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme si sa demande médiation n’aboutit pas auprès du gouvernement. 

75 ans après la chute de la monarchie, sujet encore sensible en Italie, la maison royale de Savoie a fait les feux de l’actualité en réclamant la restitution du trésor de sa famille. Une fortune que des experts chiffrent à 300 millions d’Euros, composée de 6 732 pierres précieuses, diamants et perles toutes de tailles différentes, posés sur des diadèmes, dormant dans les sous-sols de la Banque d’Italie. Le tout protégé par onze scellés. Fils d’un des prétendants au trône d’Italie, le prince Emmanuel-Philibert base la légitimité de sa demande sur les procès-verbaux de l’époque qui précisent que les bijoux ont été « confiés » à la République par le roi Umberto II, son grand-père, et doivent être « tenus à disposition de qui de droit ». 

Emmanuel-Philibert de Savoie @Dynastie

Une première demande en 2006 renvoyée aux calendes grecques

« Ce n’est pas un acte hostile envers l’Italie, encore moins envers le Premier ministre (Mario) Draghi. Il a toute l’estime de la famille de Savoie et je me souviens personnellement d’avoir déjà abordé le thème des bijoux avec lui il y a des années » a déclaré le prince de Venise au Corriere della Sera. En 2006, quatre ans après l’abolition de la loi d’exil, une première demande avait été formulée par le le député piémontais Raffaele Costa, auprès de celui qui était encore Gouverneur de la Banque d’Italie, comme de les exposer lors des Jeux Olympiques de Turin. Mario Draghi avait  « promis » de s’occuper de cette affaire avant d’opposer une fin de non-recevoir en affirmant « qu’il n’était pas habilité à prendre une décision en la matière et que cela relevait de l’autorité du Premier ministre ».  

Le roi Umberto II, le « Roi de mai », et son épouse Marie- José de Belgique @Dynastie

Une affaire qui resoude la Maison royale de Savoie

La demande a provoqué un tollé en Italie. « Je comprends que l’Italie traverse aussi des moments particulièrement complexes en raison de la pandémie et de la crise sociale. Mais ce n’est pas une décision de dernière minute, qui a mûri sereinement » a plaidé Emmanuel-Philibert de Savoie. C’est à l’avocat Sergio Orlandi que l’affaire a été confiée pour, dans un premier temps, convenir d’une médiation. Également interrogé, il a déclaré « qu’il était convaincu que la famille de Savoie allait récupérer les bijoux ».  C’est d’ailleurs l’unité qui règne au sein de Savoie. Sa tante, pourtant très critique à l‘égard de son neveu, la princesse Marie-Gabrielle de Savoie, lui a apporté son soutien officiel. « La famille est très soudée dans cette bataille qui s’annonce. Il est temps de sortir ces bijoux  des coffres et de demander combien appartient à la Maison de Savoie. Nous ne demandons rien en retour aux Italiens, seulement la restitution des biens familiaux privés. Comme il a été restitué au fil des ans aux anciennes familles régnantes de Yougoslavie ou de Bulgarie, voire aux héritiers des tsars russes » explique le prince Emmanuel-Philibert de Savoie. Une demande qui pourrait aussi ressortir une affaire datant de 1976. A cette époque, le procureur de Rome, à la suite de soupçons de falsification et le vol de certaines épingles appartenant aux biens de la couronne, avait décidé de briser les scellés. Personne ne semble savoir ce qu’elles sont devenues. 

Umberto II et Emmanuel-Philibert de Savoie, enfant @Dynastie

Les opposants aux Savoie avancent leurs arguments

Rien n’est pourtant acquis pour la famille royale d’Italie. Car si les procès-verbaux semblent aller dans le sens des descendants du roi Victor-Emmanuel II, leurs détracteurs rappellent que sur ceux-ci, il n’est pas précisé qui sont les « les propriétaires de ces bijoux » et que l’article 13 de la Constitution mentionne que ces « bijoux sont confisqués au nom de la république italienne ». Institution que l’on ne peut remettre en cause en vertu de l’article 139 qui stipule que : « La forme républicaine ne peut faire l’objet d’une révision constitutionnelle ». Les plus farouches des républicains estiment même que le dernier souverain ayant confié les bijoux trois jours après la proclamation des résultats du référendum abolissant la monarchie, ils appartenaient dès lors à l’État. Pis, indignés, ce qui reste de nostalgiques des Bourbon-Sicile, la maison royale renversée par les Savoie en 1862 lors du Risorgimento, ont menacé de réclamer aux Savoie qu’une partie de ces bijoux servent à indemniser les descendants des napolitains et des siciliens morts en défendant leur patrie.  « L’Italie devrait faire ce qui est juste et approprié et rendre les bijoux à ma famille. La valeur monétaire des bijoux ne nous intéresse pas. Ce qui est plus important, c’est la valeur historique et sentimentale qu’ils ont pour la famille » leur a répondu le prince royal. 

Un combat qui semble mal engagé

 Un combat qui apparaît dès lors comme mal engagé pour le prince Emmanuel-Philibert de Savoie et qui pourrait durer des années. En cas d’échec de la médiation, il est prêt à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme. « Avançons par les voies légales d’abord, je préfère de loin la médiation » s’empresse de se renchérir l’héritier à la couronne d’Italie qui souhaite en mettre une partie du trésor dans un musée.

Leader du parti Réalité Italie, qui entend restaurer la monarchie (un sondage datant de 2018 affirme que 15% des italiens souhaiteraient le retour du roi dont 8% en sa faveur), les débuts en politique du prince Emmanuel-Philibert de Savoie, 49 ans, n’ont pas été couronnés de succès. Par deux fois (2008 et 2010), il a vainement tenté de se faire élire député italien ou européen. En janvier 2021, il a présenté ses excuses pour les lois antisémites approuvées par le roi Victor-Emmanuel III sous le régime fasciste du Duce Mussolini. Non sans une certaine polémique. Marié à l’actrice Clotilde Coureau, il a eu deux filles, les princesses Vittoria (née en 2003, influenceuse qui s’est faite remarquée par son opposition au ministre de l’Éducation nationale française durant la crise du Covid-19 et désignée héritière après un changement de la loi de succession autorisant les femmes à monter sur le trône) et Luisa (née en 2006).

Contesté dans ses droits par la branche cadette des Savoie-Aoste, en raison du mariage non-dynastique de son père, il  a également participé à divers téléréalités shows et ouvert une entreprise de restauration de pâtes aux États-Unis.

Frederic de Natal