Pour leurs attributs, les Capétiens ont toujours choisi la simplicité. Ils n’ont jamais eu besoin de se perdre dans de pompeux emblèmes pour arranger leur gloire. Au contraire, chrétiens très pieux, les rois de France ont préféré la pureté des signes divins comme la fleur de Lys rapidement adoptée comme symbole royal. Dès le XIIème siècle apparaît pourtant un autre emblème royal à même de tenir en respect les voisins belliqueux de la France. Plus humble encore qu’une fleur, l’oriflamme n’était pourtant rien d’autre qu’une bannière de procession d’église, comme il y en avait alors dans toute l’Europe médiévale. La Revue Dynastie revient sur son histoire passionnante.
C’est entre Rouen et Paris, dans le Vexin français qu’apparaît l’oriflamme. A l’origine, il s’agit de la bannière de Saint-Denis portée à la guerre par les comtes Vexinois, avoués de l’abbaye. Quand Philippe Ier s’empare du comté en 1077, l’oriflamme devient alors bannière royale. Mais il faut attendre Louis VI pour voir l’enseigne écarlate aux côtés des étendards royaux lorsqu’en 1124 le roi s’oppose à l’empereur Henri IV venu sur ses terres pour venger l’anathème prononcé à Reims à son encontre. Se souvenant que Saint-Denis est le patron du royaume, Louis passe à l’abbaye prendre l’oriflamme devant laquelle les troupes impériales rebroussèrent chemin sans combattre. Il devint dès lors indissociable des armées royales. Teintée par le rouge du martyre de Saint-Denis, maintenue sur une lance d’or[1], l’enseigne traînait avec elle un prestige redoutable à même d’effrayer les ennemis de la couronne. « Un étendard pour la crainte » selon le poète Ronsard. « Une arme miraculeuse » pour le moine bénédictin Richer de Senones. Lequel, dans son récit de Bouvines, la décrit comme « une bannière qui se désaltère du sang des ennemis du royaume ». La bannière figurait toujours quand le roi était présent pour combattre et elle n’était déployée, plus haute que tous autres étendards, qu’en cas d’affrontement jugé digne de l’éthique chevaleresque. Comme ce fut le cas en 1190 lors de la croisade de Philippe-Auguste et en 1214, lors du dimanche mémorable de Bouvines là où, dit-on, est née la France.
Une bannière divine
Les chroniqueurs n’ont pas manqué d’élever le prestige de la bannière devenue l’honneur du royaume. Le chanoine de Tournai Philippe Mousket relate la terreur des Flamands à Bouvines quand l’oriflamme « leur donna l’impression de voir Saint-Denis dessus un dragon prêt à les occire et les dépecer ». Jean Froissart attribue des propriétés surnaturelles à l’oriflamme capable de dégager le mauvais temps comme pour la bataille de Roosebeke en 1382. Ce qui permit aux Français de courir sus aux Flamands. Joinville lui-même raconte qu’au moment de débarquer en Égypte en 1249, Saint-Louis sauta à l’eau sans prendre garde, pressée de rejoindre l’oriflamme qui avait été plantée sur terre. À cette aura céleste s’ajoute celle des légendes qui flattent l’oriflamme d’une auguste origine. Tel le mythe mérovingien raconté par Jean Golein au début du XVème siècle lorsqu’il évoque un songe divin durant lequel Clovis aurait reçu l’oriflamme en même temps que les fleurs de lys. Toutefois, les Capétiens ont préféré retenir la légende caroline qui associe leur royauté à la dignité impériale. À Rome, dans la chapelle du Latran, une mosaïque représente l’étendard de Charlemagne donné par le pape Léon III et celui de Constantin, coloré de rouge et d’or, qui lui aurait été remis par le Christ. Il y avait là suffisamment de matière pour faire de l’enseigne de Charles le Grand la première oriflamme, digne héritière, bénie par Dieu, des bannières romaines.
Un protocole rigoureux
Au surplus, toutes ces chroniques témoignent d’une plus grande considération à l’égard de l’oriflamme. Emblème de Saint-Denis jusqu’à la fin du XIIIe siècle, elle devient à partir des années 1300 « l’oriflamme de France » et la « souveraine bannière du roi ». Féroces gardiens, les religieux de l’abbaye ne souffrirent en rien de voir leur bannière tomber dans la propriété royale. Ils tinrent même à ce que ce nouvel apanage du roi fut scrupuleusement respecté au point de rechigner à célébrer la cérémonie de la levée de l’oriflamme quand Philippe le Long, simple régent, vint chercher l’étendard en 1316. Cérémonie dont nous connaissons par ailleurs la liturgie dans le détail. Très tôt le matin, une messe solennelle était dite par l’abbé de Saint-Denis. Les reliques des saints martyrs Denis, Rustique et Éleuthère étaient déposées sur l’autel avec celles de Saint-Louis tandis que l’oriflamme était sacrée et sanctifiée grâce à l’attouchement. S’ensuivait un sermon de l’abbé sur l’honneur qui devait être tenu au gonfanon royal. La messe se terminait avec son déploiement sur l’autel, sa bénédiction et la remise au roi ainsi qu’au garde-oriflamme agenouillé. Ce dernier devant jurer sur le corps du Christ de ne jamais abandonner l’étendard.
Une bannière à double sens
Quant aux adversaires de la couronne de France, ils récusèrent toute essence divine de l’oriflamme. Flamands et Anglais n’y voyaient qu’une bannière cruelle, preuve des velléités meurtrières françaises. Pour l’historien Bertrand Schnerb, la guerre au Moyen Âge ne tient pas la mort comme une conséquence inévitable de l’affrontement. Dans le cas, rare selon la morale des chevaliers, où l’on voulait une guerre à mort en ne faisant pas de prisonniers, il fallait signaler l’intention par une bannière d’un rouge sang. En cela, le déploiement de l’oriflamme était équivoque, bien que cela ne fût jamais le sens que les Français lui donnèrent. D’ailleurs, Édouard III répondit à l’appel sanglant de l’oriflamme par la création d’un étendard dont l’iconographie terrible, un dragon, laissait à son tour aucune ambiguïté sur l’intention anglaise.
Fin de son utilisation
C’est en pleine guerre de Cent Ans que se fixe le destin de l’oriflamme. Elle fut levée plusieurs fois contre les chevauchées d’Édouard III. L’an 1346 sera une véritable annus horribilis pour la bannière arrachée aux mains des Valois et perdue lors de la bataille de Crécy (cela semble confirmer l’hypothèse de l’existence de plusieurs oriflammes) , car l’étendard est encore présent à Amiens en 1355 auprès du Roi Jean le Bon. Après le débarquement d’Henri V, elle est encore levée dans les années 1410, et une dernière fois en 1418 à Pontoise. Finalement c’est l’exigence même qu’implique la « souveraine bannière du roi » qui va rendre l’usage de l’oriflamme impropre en des temps où la royauté française agonise sous le joug anglo-bourguignon. En effet, les armées delphinales franco-écossaises ne pouvaient arborer l’oriflamme dans les années 1420 tant que le dauphin n’avait pas été sacré. Pis, Charles VI s’en était servi alors qu’il était discrédité par la signature folle du traité de Troyes, désacralisant par contagion le prestige de la bannière. Même après le sacre de 1429, l’oriflamme ne figura pas parmi les étendards royaux. Une levée extraordinaire de la bannière aurait sans doute donné un peu plus de légitimité au jeune roi encore affaibli, mais Charles VII, non sans fondement, émis de fortes réserves. En effet, la bannière était une enseigne exclusivement guerrière et elle était tout à fait inappropriée pour un roi qui voulait mettre un terme aux opérations militaires, d’autant que la croix blanche et le patronage de Saint-Michel s’étaient imposés entre-temps dans les armées du roi. Reste Jeanne d’Arc, et il n’est pas interdit de penser qu’avec son zèle résolut pour bouter les Anglais hors de France et sa dévotion sincère et pieuse pour Saint-Denis à qui elle remit son armure et son épée, elle aurait sincèrement désiré voir flotter le gonfanon du saint martyr aux côtés des lys royaux.
La dernière levée de l’oriflamme eut lieu le 30 août 1465 par Louis XI durant la guerre du Bien Public. Au XVIème siècle, elle ne devint guère plus qu’une relique délaissée, adossée tristement sur un pilier de l’abbatiale puis déposée dans le tombeau de Saint-Denis à la toute fin du siècle. Mais son souvenir ne va pas disparaître. En 1908, la marine nationale baptise « L’Oriflamme » l’un de ses contre-torpilleurs puis en 1912, le nouveau navire-école des officiers du nom de « Jeanne d’Arc ». Preuve que l’épopée de nos rois médiévaux demeure encore dans l’esprit des Français.
Léopold Buirette
Bibliographie :
- Philippe Contamine, « L’oriflamme de Saint Denis au XIVe et XVe siècles » dans Annales de l’Est.
- Hervé PINOTEAU, « ORIFLAMME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 21 février 2022. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/oriflamme/
[1] Il y a là signification étymologique de l’oriflamme. « Ori » pour la lance d’or, et flamme pour la forme du drapeau.