En raison de sa situation géographique, la Lorraine est l’une des régions françaises qui a souffert le plus des guerres. À Forbach, une ville de l’Est du département de la Moselle, se trouve la chapelle Sainte-Croix qui attire de nombreux pèlerins. La Revue Dynastie vous propose de découvrir ce joyau du patrimoine français et lorrain.
Située sur le Mont Sainte-Croix, à l’est de Forbach, la chapelle Sainte-Croix domine toute la boutonnière du Warndt, permettant au visiteur de bénéficier d’une vue imprenable sur toute la région. Évoquée dès 1338, dans une lettre d’Adhémar de Monteil, alors évêque de Metz, sous le nom de capella sancta crucis juxta Forbachum, l’édifice de type chapelle-halle, semble avoir été la propriété des voués de Hombourg-Haut depuis 1257. En l’absence de sources, il est cependant impossible de connaître la date exacte de la construction du monument. Certains historiens pensent qu’il s’agissait d’une ancienne maison forte, datant du XIIIᵉ siècle, ou bien d’une dépendance du château voisin du Schlossberg dont nous ne possédons plus que des ruines aujourd’hui.
Les remords d’une comtesse
Si l’on en croit la légende, la chapelle Sainte-Croix aurait été érigée par la comtesse Alice de Werd. Fille de Theodorich von Werd, comte de Rixingen (aujourd’hui Réchicourt-le-Château), cette dernière était d’une grande beauté et son esprit faisait l’admiration de tous. Ambitieuse et coquette, elle aimait se faire courtiser, au point de provoquer une rivalité entre deux frères, les chevaliers de Siersburg et Felsberg, tombés sous son charme, lors d’une chasse organisée par le père de la jeune fille. Jusqu’ici complices, les deux seigneurs sombrent dans une haine réciproque. Le duel qui s’ensuivit, fut mortel pour les deux cœurs jaloux. Prise de remords, s’apercevant qu’elle était finalement amoureuse du chevalier de Siersburg, Alice de Werd prit la décision de se retirer du monde et de construire un oratoire, sur le lieu où elle avait rencontré ses prétendants pour la première fois, afin d’expier le fratricide dont elle avait été la cause. Elle y finit sa vie dans les larmes, la prière et les pratiques de la charité chrétienne. À sa mort, celle que l’on nomme parfois « Sainte Alice de Forbach », fut inhumée au pied de l’autel et sa tombe devint l’objet d’une vénération populaire, bien qu’elle ne fût jamais canonisée officiellement. Le 24 novembre 1978, quatre chercheurs ont découvert une sépulture à niche céphalique, taillée dans le roc et destinée à une personne de haute taille, mais frêle, de sexe féminin. Le reliquaire contenant sa bague en ivoire est aujourd’hui conservé précieusement par les religieuses vivant dans l’ermitage accolé à l’arrière du monument.
Marianne Camasse embellit la chapelle
Fortement remaniée aux XIVᵉ et XVᵉ siècles, la chapelle Sainte-Croix a été endommagée durant la Guerre de Trente Ans (1618-1648). Aux mains des barons von der Leyen (famille dont est issu l’époux de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen) depuis 1684, puis dans celles des seigneurs de Forbach, l’édifice devint, au XVIIIᵉ siècle, la propriété de Marianne Camasse (1734-1807). Danseuse, écrivaine et salonnière française, elle devient comtesse de Forbach, suite à son mariage morganatique, avec le duc Christian IV de Deux-Ponts-Birkenfeld (1722-1775), souverain d’un État frontalier de la France et successeur potentiel aux trônes de Bavière et du Palatinat. Elle embellit la chapelle d’un superbe calvaire, se trouvant à l’entrée. Très abîmé, c’est aujourd’hui une copie reconstituée que l’on peut admirer, les pièces originales se trouvant derrière le logis des religieuses.
Entre Révolution française et Empire
En 1793, pendant la Révolution française, l’ancienne roturière est contrainte à l’exil, bien qu’elle ait adopté la nationalité de son époux pour se protéger. Ses propriétés sont alors confisquées et déclarées « biens nationaux ». Tout comme les autres lieux de culte à cette époque, la chapelle subit de nombreuses dégradations. Seule une partie de ses sculptures sera sauvée, grâce aux actions des Forbachois, qui ont pris soin de les cacher ou de les murer. Avec l’accession au pouvoir de Napoléon Iᵉʳ, elle revint à la cour de Joséphine de Beauharnais qui l’appréciait pour son charme et sa conversation du temps passé. La comtesse de Forbach était d’ailleurs quelque peu apparentée avec l’impératrice. Elle était en effet la tante par alliance de Maximilien Iᵉʳ des Deux-Ponts, premier roi de Bavière et père d’Augusta-Amélie de Bavière, épouse du prince Eugène de Beauharnais, fils de la femme de l’empereur des Français. Elle put donc récupérer le monument et le transmettre à ses héritiers avant son rachat par la famille de Wendel, en 1824. Philippine Ast, surnommée Philippine von de Kritzkapelle, y vivra d’ailleurs en ermite, devenant de facto la gardienne, jusqu’à sa mort en 1912, âgée de 71 ans.
La renaissance de la chapelle
Inscrite au titre des Monuments Historiques, depuis le 14 septembre 1937, la chapelle Sainte-Croix de Forbach devint propriété des Houillères du Bassin de Lorraine, en 1946. Mais peu à peu abandonnée, c’est en piteux état que la Ville de Forbach la rachète, en 1969, pour le prix symbolique d’un franc, et la restaure, sous l’impulsion de l’association des Amis de la chapelle Sainte-Croix. C’est lors de ces travaux que la tombe d’Alice de Werd fut retrouvée, puis restaurée, ainsi qu’un tympan sculpté d’une grande sobriété et datant du XIIIᵉ siècle, représentant le Christ en croix, entre la Vierge et Saint Jean. La restauration a pris fin en 2022, après l’installation d’un nouvel autel, le 23 mai, inauguré un mois plus tard. De nos jours, la chapelle Sainte-Croix abrite des religieuses de la congrégation des Sœurs de la Providence de Saint André (dont la maison-mère est à Peltre), chargées de l’accueil des visiteurs. Enfin, elle est une étape, depuis 2007, du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, itinéraire classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO, en provenance de Sarre et à destination de Metz.
Lucas-Joël Houllé