C’est une révolution qui a récemment fait les feux de l’actualité internationale. Secouée par une violente crise économique et politique, l’île du Sri Lanka a chassé du pouvoir le Président Gotabaya Rajapaksa. Le drapeau des anciens rois de la dynastie de Kandy est devenu le symbole de ce mouvement populaire baptisé « Aragalaya » ( La Lutte ). C’est en 1972 que cette ancienne colonie Britannique a déchu la reine Elizabeth II de ses droits, quasiment un siècle et demi après le renversement de la famille royale légitime par les anglais. Que sont donc devenus les descendants du roi Sri Vikrama Rajasinha, le dernier nayak de Ceylan ?
La genèse de la dynastie de Kandy est assez unique. Ils ne sont pas arrivés au pouvoir en s’emparant du trône ou par la voie héréditaire. En 1739, le roi (nayak) Vira Narendra Sinha rend l’âme après 32 ans de règne. Issu d’un second mariage, son fils Unambuwe Bandara ne peut accéder au trône selon les lois en vigueur. Afin d’éviter toute crise de succession, le Conseil royal décide de nommer le frère de la reine-mère Narendra Singha, le prince Vijaya Rajasinha, comme nouveau souverain. D’origine tamoule, il va donner naissance à une dynastie qui va diriger l’île du Sri Lanka (Ceylan) jusqu’en 1815. Une monarchie qui verse dans la tolérance religieuse. C’est son beau-frère, le prince Kirti Sri Rajasinha qui lui succède en 1751. Un règne qui s’inscrit dans les pas de son prédécesseur et qui devient un symbole de résistance aux néerlandais implantés sur l’île. En négociant un accord commercial avec les Britanniques afin de se débarrasser des néerlandais trop agressifs, en guerre ouverte contre son pouvoir, le monarque ouvre une boîte de pandore qui sera difficile à ses successeurs de refermer. Sa mort accidentelle en 1782 provoque une vague d’émotions sans précédent dans le royaume. Lorsque son petit-fils est couronné, c’est encore grâce à une ironie du sort.
Une monarchie renversée par les Britanniques
Sri Vikrama Rajasinha est un enfant issu des amours du roi Sri Rajadhi Rajasinha avec une de ses maîtresses. Rien ne disposait ce jeune homme de 18 ans à monter sur le trône du Lion d’or. Lorsque son demi-frère, le prince Muttusami, fait une chute mortelle alors qu’il se promène à dos d’éléphant, le Conseil royal n’a d’autres choix que de le choisir pour diriger le pays en 1798. Loin de la tourmente révolutionnaire française (qui permet aux anglais de chasser définitivement les néerlandais divisés entre jacobins et monarchistes), le Sri Lanka sombre rapidement dans la guerre civile avec des rivaux qui réclament le trône à Sri Vikrama Rajasinha. Il arrive toutefois à asseoir son autorité avec l’aide des anglais. Durant son règne, il doit faire face à de nombreuses conspirations qui permettent à Londres de s’imposer progressivement comme puissance coloniale. C’est une révolte conduite par l’Adigar Ehelapola, fin 1814, qui va signer la chute de la monarchie cinghalaise. Premier ministre déchu (comme son oncle avant lui), Ehelapola se réfugie dans la ville de Colombo où résident les Britanniques. Ses terres saisies, son fils et sa femme exécutés, il arrive à persuader les anglais que le souverain est devenu tyrannique. Sri Vikrama Rajasinha va alors commettre une erreur qui sert de prétexte à une intervention armée. En faisant tuer des commerçants anglais qu’il accusait d’espionnage, il faut peu de temps aux troupes britanniques pour occuper le royaume de Kandy et contraindre le roi à signer une convention qui cède le trône au roi George III et à tous ses successeurs. Ce 2 mars 1815, Sri Vikrama Rajasinha vient de connaître son Waterloo personnel, désormais assigné à résidence au Fort Vellore, en Inde.
Le drapeau du Lion d’Or, symbole d’une monarchie devenu celui d’une république
Il ne reverra plus jamais Ceylan. Doté d’une pension, qui sera versée jusqu’en 1965 à ses descendants, il reste sous bonne garde des Britanniques qui le savent encore très populaire. Durant la rébellion d’Uva–Wellassa (1817-1818), c’est le drapeau du Lion d’or qui est brandi par les insurgés et leur chef Rajapaksa Keppetipola. La répression sera terrible. Tous les mâles de plus de 18 ans sont irrémédiablement exécutés par les Tuniques rouges, les rizières détruites et les puits asséchés. Les anglais prennent possession de toutes les administrations, modernisent l’île entièrement à leurs mains et vont développer les cultures du thé et caoutchouc qui remplaceront peu à peu celles du café et du riz. Loin de leur royaume, les monarques de Kandy sont vite oubliés. Ils ne cherchent pas à reconquérir leur couronne. Le dernier soulèvement a lieu en 1850 et déjà à cette époque, personne ne se réclame du roi Sri Vikrama Rajasinha, décédé dix-huit ans auparavant.
Des descendants qui ne revendiquent pas la trône
Que sont devenus ses descendants ? Ils vivent toujours en Inde, dans l’État du Tamil Nadu, et ne font pas parler d’eux dans les médias. Parfois ,quelques articles de presse viennent rappeler aux sri-lankais, devenus indépendants en 1972 au prix d’une longue lutte violente, qu’il existe encore une maison royale dont les branches sont exclusivement issues par les femmes. En 1990, le prince Ramamurthy Rajah (1923-2004) fait l’objet d’un intérêt par le Sunday Mail. On découvre alors que l’arrière-petit-fils de Sri Vikrama Rajasinha vit loin des fastes des maharadjas indiens, n’entend prétendre à rien si ce n’est être le gardien de la mémoire dynastique. Sa famille a bien écrit au gouvernement sri-lankais pour réclamer le retour de la pension qu’elle touchait sous l’ère coloniale mais ce dernier a refusé d’y donner suite (1988). Évoquant une injustice de l’histoire, le prince Ramamurthy Rajah a également tenté de récupérer son palais mais là aussi, le gouvernement a balayé d’une main très républicaine toutes ses demandes. Chaque année, ses enfants et petits-enfants viennent rendre hommage au roi Sri Vikrama Rajasinha enterré au Fort Vellore, héros du film Girivassipura. Un biopic sur sa vie sorti sur grand écran en 2018 et qui a connu un grand succès au Sri Lanka.
Lors des évènements qui ont amené à la chute du Président Gotabaya Rajapaksa, le drapeau de l’ancienne monarchie, adopté comme symbole national, a été brandi par les émeutiers. Personne n’a songé à rappeler l’ancienne maison royale. Pour cause, les intéressés eux-mêmes seraient bien en peine de savoir ce qu’ils feraient de ce trône si l’occasion leur était permis de le retrouver.
Frederic de Natal