Dynastie politique, les Nehru-Gandhi restent indissociables de l’histoire indienne post-coloniale. Aujourd’hui encore, ils restent un poids majeur incontournable au sein du Congrès national indien, longtemps le parti dominant de cet ancien joyau de l’empire Britannique. La Revue Dynastie revient sur le destin de cette famille frappée à plusieurs reprises par la tragédie.
Pour le Royaume-Uni, la perte est immense. Le 15 août 1947, Lord Mountbatten acte la fin de l’empire des Indes, joyau de la couronne britannique. Dernier vice-roi d’un pays conquis au prix du sang, le représentant du roi George VI va occuper brièvement encore le poste de Gouverneur-général. A ses côtés, Jawahar Nehru, fraîchement nommé Premier ministre d’un pays qui est déjà la victime de ses démons ethniques. C’est un disciple du Mahatma Gandhi, ce jeune avocat, apôtre de la non-violence, qui a conduit l’Inde vers son indépendance. Issus d’une famille de Brahmanes, caste de lettrés, installés au Cachemire, les Nehru ont servi le pouvoir indien tel qu’il a été organisé sous la colonisation jusqu’à Motilal Nehru. Le père de Jawahar est un riche avocat, l’un des premiers activistes indépendantistes indiens. C’est lui qui va donner à son fils toute sa fibre politique, son goût pour la justice et une aura qui touchera l’épouse même du dernier vice-roi, Lady Edwina Mountbatten.
Jawahar Nehru est considéré comme le second père de l’Indépendance
Avocat lui-même, éduqué à l’anglaise, d’un charme certain, fascinant ses interlocuteurs, plus radical que son père, Nehru a été condamné à passer plusieurs années en prison pour ses activités militantes. Ce n’est pas un religieux et ses convictions le poussent vers l’athéisme, donnant une toute autre dimension à son combat. Peu à peu, il devient le bras droit de Gandhi et manifeste un goût prononcé pour les négociations. Ses talents sont vite remarqués par Lord Mountbatten qui va faire de lui, un de ses interlocuteurs privilégiés, puis un ami personnel. La transition sera pacifique mais l’unité du pays se brise très rapidement face aux diverses revendications communautaristes. A peine indépendante, la partie musulmane se sépare du reste de l’Inde et crée le Pakistan. Pour Gandhi, c’est une catastrophe qu’il va mal vivre. Il n’assiste d’ailleurs pas à la passation des pouvoirs entre le vice-roi et Jawahar Nehru à Delhi, fort Rouge, l’ancien palais des empereurs moghols. Le Mahatma se plonge dans un nouveau jeûne en guise de protestation contre la partition, qu’il qualifie à juste titre de « vivisection ». Nehru fut Premier Ministre de 1947 jusqu’à sa mort. Il mènera une politique d’apaisement, tentant de préserver l’Inde qu’il aimait tant de l’intégrisme religieux et de l’idéologie politique. « Il gouverna en se fondant sur quatre piliers : la construction d’institutions démocratiques, un sécularisme panindien rigoureux, une économie socialiste et une politique étrangère de non-alignement » résume Shashi Tharoor auteur de Nerhu, l’invention de l’Inde, publié aux éditions Seuil.
Indira Gandhi, une main de fer dans un gant de velours
Lorsqu’il meurt en mai 1964, âgé de 74 ans, des centaines de milliers d’indiens en deuil assistent à son incinération. Sa fille unique Indira, présentée comme son héritière, est nommée Première Ministre en 1968, devenant ainsi la deuxième femme du monde à diriger un pays, et succédant à son père comme leader du Congrès national indien. Le défi est immense : il faut développer l’économie et l’industrie, sortir de la pauvreté sa population et contrôler la natalité galopante, mettre fin aux quelques hégémonies familiales détenues par les anciens maharajas. En géopolitique comme au sein de sa famille, elle tient d’une matriarche habile stratège, diplomate et dotée d’une autorité naturelle et pour répit, douceur auprès de ses proches. Son énergie lui permet de faire face à la deuxième guerre indo-pakistanaise, en 1965, de juguler la famine grâce à la révolution verte ou encore d’affronter la sécession du Bangladesh en 1971. Toutefois, très autoritaire, Indira Gandhi (ironie de l’histoire, elle porte un nom illustre en raison de son mariage avec Feroze Gandhi, qui n’a aucune parenté avec le héros de l’indépendance) n’hésite pas à déclarer l’état d’urgence, suspendre les libertés, et à fermement réprimer toutes contestation. Après avoir maté, en octobre 1984, la révolte sikhe, elle est assassinée par deux de ses gardes du corps, sikhs eux-mêmes. Une communauté qui s’était déjà illustrée en assassinant en 1948 le Mahamat Gandhi. En ordonnant l’assaut sur le temple d’or, lieu le plus sacré de la religion sikhe, occupé par des extrémistes séparatistes du Penjab, elle avait signé involontairement son arrêt de mort. Pour ses funérailles, elle sera revêtue du sari de fil d’argent que Nehru avait tissé en prison. Tout un symbole et un lourd héritage laissé derrière elle.
Rajiv Gandhi, l’espoir assassiné
Indira a donné naissance à deux fils : Sanjay considéré comme son héritier qu’elle avait formé en ce sens, décédé en 1980 dans un accident d’avion et Rajiv. C’est ce dernier qui succédé à sa mère, donnant naissance à une dynastie politique. Rajiv n’était initialement pas destiné à la politique. Il a fait ses études au Royaume-Uni, à Cambridge, où il a rencontré son épouse Sonia, d’origine italienne. Pilote de ligne, c’est au décès de son frère qu’il entre en politique, se fait élire député et s’engage aux côtés de sa mère dont il est très proche. À la suite de l’assassinat de celle-ci, poussé par les partisans de sa famille qui voit en lui le successeur de Nehru, il est choisi comme Premier Ministre. Il a 40 ans. L’Inde vit au rythme des Gandhi, sous une forme de monarchie républicaine qui n’étonne personne. Le Congrès national indien est à l’apogée de sa puissance. Rajiv va pourtant se détacher de la politique socialiste menée par Indira et ouvrir l’Inde aux investissements, tendant la main aux États-Unis. Sans pour autant pouvoir tenir son gouvernement éloigné de la corruption et des idéologies religieuses. En 1991, il ordonne une intervention militaire dans le conflit qui oppose le gouvernement du Sri Lanka aux indépendantistes tamouls. L’histoire va se répéter. Le 21 mai de la même année, il est la victime d’un attentat suicide perpétré par une militante extrémiste Tamoul.
Les Gandhi, une dynastie politique héréditaire
L’assassinat de Rajiv, laisse le Congrès national indien orphelin de tout leadership. Considérée comme un recours, sa femme, Sonia Gandhi, hésitera encore longtemps avant de se jeter dans la bataille en 1998. Elue présidente du Congrès national indien, elle fait consensus autour d’elle. Jusqu’ici, Sonia Gandhi s’était tenue à l’écart des affaires de son mari. Se révélant redoutable et communicante, elle s’impose et réussit à renvoyer le Congrès national indien au pouvoir lors des élections de 2004. Le poste de Première ministre aurait dû lui revenir légitimement mais sa nationalité va être un frein et elle est l’objet d’une cabale au sein de son parti. Elle renonce au poste mais dans la réalité, gouverne l’Inde dans l’ombre. Sonia va tenir le parti d’une main de fer dans un gant de velours durant 19 ans avant de céder son poste de présidente à son fils, Rahul (2017). Engagé politiquement auprès de sa mère depuis plusieurs années la succession semble logique et se fait sans difficulté. Néanmoins Rahul (né en 1970) n’a pas le talent politique de ses aïeux, et après avoir perdu les élections législatives de 2019 (il a été la cible à tort d’attaques islamophobes et xénophobes), face au Premier ministre nationaliste sortant Narendra Modi, extrêmement populaire, il annonce sa démission des instances du parti. Une déception pour sa mère qui est toujours députée actuellement .
Depuis 2019, Sonia a repris son siège de présidente pour assurer l’intérim, le temps de désigner un nouveau leader. La famille Gandhi pourrait l’avoir trouvé dans Priyanka, la sœur de Rahul, née 1982. De l’avis de tous, elle semble avoir hérité du tempérament des Nehru-Gandhi et pourrait prendre la tête d’un parti qui est aujourd’hui exsangue. Récemment battue aux élections régionales de mars 2022, elle se prépare pour les législatives à venir , prévues dans deux ans, ne cachant pas sa volonté d’être la prochaine Première ministre Gandhi pour l’Inde. A moins que le futur ne soit dessiné par Feroze Varun Gandhi, 42 ans, fils de Sanjay, élu député depuis 2019 sous les couleurs du BJP, le parti à la tête du pays ? Seul Bouddha peut répondre à cette question aujourd’hui.
Arnaud Gabardos