L’historien Jean-Christian Petitfils, à qui l’on devait déjà des biographies remarquées des rois Bourbons, de Louis XIII à Louis XVI, vient de compléter cette série en publiant un Henri IV. Nous lui avons posé quelques questions sur le sacre du Vert Galant et de ses successeurs…
Dynastie : Pourquoi le sacre d’Henri IV eut-il lieu à Chartres ?
Jean-Christian Petitfils : À la mort d’Henri III, poignardé le 2 août 1589 par le moine fanatique Jacques Clément, Henri de Navarre, son successeur légitime selon la loi salique, prit aussitôt le nom d’Henri IV, mais il refusa de se convertir au catholicisme essentiellement pour des raisons politiques, persuadé que, dans la situation de guerre civile où se trouvait la France, il serait immédiatement abandonné par la majorité de ses troupes protestantes, sans gagner pour autant l’adhésion des innombrables partisans de la Ligue, ces catholiques extrémistes qui occupaient Paris et à peu près les cinq sixièmes du royaume. Par ailleurs, il ne voulait pas donner l’impression de se soumettre à la pression des grands et des anciens « mignons », tous impatients de le contraindre à revenir à la religion traditionnelle des souverains de la lignée capétienne. Il rêvait d’être un roi, à la fois calviniste et absolu, d’une France toute catholique. Et il entendait bien conquérir le trône lui revenant de droit à la pointe de son épée. Après les éclatantes victoires remportées à Arques (septembre 1589) et à Ivry (mars 1590) sur le chef de la Ligue, le duc de Mayenne, il fut convaincu de bénéficier du soutien de la Providence. Malheureusement, il se heurta à un obstacle de taille : Paris, assiégé de mai à fin août 1590 et secouru au dernier moment par l’armée espagnole d’Alexandre Farnèse, duc de Parme, refusait obstinément de se rendre. La guerre civile s’éternisant, Henri comprit qu’il ne pourrait jamais régner paisiblement s’il ne se convertissait pas. D’où le fameux « Paris vaut bien une messe », phrase qu’il ne prononça pas mais qui correspond bien à son état d’esprit. En son for intérieur, il estimait qu’il n’y avait pas de grandes divergences entre le protestantisme et le catholicisme. Cette décision n’en représentait pas moins sur le plan politique un « saut périlleux », comme il l’écrivit à sa favorite, Gabrielle d’Estrées.
Organisée principalement par Renaud de Beaune, archevêque de Bourges, son abjuration eut lieu à l’abbatiale de Saint-Denis le 25 juillet 1593. Ce n’était néanmoins qu’une semi-réintégration dans le giron de l’Église, puisque l’excommunication prononcée par la papauté n’était toujours pas levée et que la Ligue continuait de combattre Henri IV comme hérétique et relaps.
D’où pour ses partisans la nécessité de ne pas attendre d’aller à Reims, lieu traditionnel des rois de France mais toujours occupé par la famille de Guise et la Sainte Ligue, et d’organiser le sacre ailleurs. On choisit Chartres et sa cathédrale. Lors de la cérémonie, qui se déroula le 27 février 1594, on s’efforça de ressusciter les fastes de la monarchie en calquant au mieux le modèle antérieur. Politiquement, il s’agissait de la poursuite du processus de légitimation du roi. Il fallut cependant, faute de la Sainte Ampoule de saint Remi, se rabattre sur celle de l’abbaye de Marmoutier, et recréer la couronne de Charlemagne, détruite par la Ligue, ainsi que les autres regalia (sceptre, main de justice, éperons, épée).
Dynastie : Henri IV a-t-il été parjure en prononçant le serment d’exterminer les hérétiques ?
Jean-Christian Petitfils : Lors du sacre, la main sur l’Évangile, Henri, d’une voix forte, lut le texte latin du serment du sacre. Il en vint au redoutable passage, dont les catholiques n’auraient certainement pas compris l’omission : « Outre je tâcherai à mon pouvoir en bonne foi de chasser de ma juridiction et terres de ma sujétion tous hérétiques dénoncés par l’Église. » Ce serment contre les « hérétiques », ajouté au XIIIe siècle, visait à l’origine les cathares. Le roi le prononça sans le moindre état d’âme, persuadé que le calvinisme n’avait jamais été une hérésie, mais une voie dissidente destinée à épurer la religion de ses abus.
Devenu par le sacre l’oint du Seigneur, le lieutenant de Dieu sur la Terre, il était prêt à assumer pleinement la sacralité du roi très chrétien et même à ramener au bercail ses anciens coreligionnaires. « Vous pouvez vous assurer, dira-t-il aux députés de Beauvais le 24 août de la même année, et vous promets par mon Dieu qu’avant qu’il soit deux ans, moyennant sa grâce, vous verrez tous ceux de mes royaumes sous une seule Église catholique, apostolique et romaine, et que je saurai bien manier les huguenots, dont j’ai été vingt-deux ans chef, avec telle douceur que je les réduirai tous au giron de la vraie Église. »
Dynastie : Quelle a été l’influence du sacre d’Henri IV sur ceux de ses descendants ?
Jean-Christian Petitfils : En France, ce n’était pas au sacre qu’un héritier légitime devenait roi, mais de droit sitôt la mort de son prédécesseur, et ce, en vertu de la loi salique. Mais on comprit davantage après la période troublée du règne d’Henri IV combien il était nécessaire de ne pas trop éloigner cette cérémonie politico-religieuse de l’avènement. C’est la raison pour laquelle la régente Marie de Médicis décida de faire sacrer son fils dès le 17 octobre 1610, soit cinq mois après l’assassinat d’Henri IV, cette fois à Reims. Sous Louis XIV, monté sur le trône à la mort de Louis XIII en mai 1643, mais sacré seulement le 7 juin 1654 en raison des troubles de la Fronde et de la guerre contre l’Espagne, on modifia le cérémonial en éliminant tout ce qui pouvait faire croire que le souverain était élu par les grands du royaume ou par acclamation du peuple. Absolutisme oblige !
Philippe Delorme