Personnage historique mais aussi une icône de fiction qui a largement inspiré les auteurs de bande-dessinée, de livres comme de films, notre spécialiste de l’Antiquité, Lucas-Joël Houllé nous explique dans le dernier chapitre de ce feuilleton passionnant comment Poppée a traversé les époques et reste une des influences de son temps.
Une impératrice qui inspire encore
En dehors des écrits des auteurs de l’Antiquité, malheureusement, peu de représentations de Poppée sont parvenues jusqu’à nous. Seule une sculpture en pied qui ornait l’Héraïon d’Olympie (conservée au Musée Archéologique de cette ville) et des bustes (dont un où elle apparaît diadémée) sont exposés au Palazzo Massimo alle Terme de Rome. Le Musée du Louvre, à Paris, en conserve également un, réalisé en marbre, daté autour de 55-60 après Jésus-Christ. Cependant, certains n’y voient en aucun cas une représentation de l’épouse de Néron, mais le portrait d’une des nombreuses princesses orientales élevée à Rome, à l’instar de Cléopâtre Séléné II, la fille de Cléopâtre VII issue de ses amours avec Marc Antoine et qui épousa le Roi de Maurétanie Juba II. Le Musée Archéologique national de Madrid, possède également une tête, identifiée comme une représentation de l’impératrice. Fort heureusement, nous avons néanmoins pu garder d’autres traces de sa mythique beauté, étant donné que Néron fit frapper de nombreuses monnaies où il apparaît avec sa femme, tandis qu’elle-même en fit émettre avec son effigie.
Si peu d’œuvres antiques en lien avec Poppée sont arrivées jusqu’à nous, cela est néanmoins compensé par les nombreuses représentations d’elle qui furent réalisées les siècles suivants. En outre, elle fut un sujet d’inspiration pour de nombreux artistes, issus de tous les domaines artistiques. Cela commence dès le Moyen Âge, lors de la parution, en 1374, du roman « De mulieribus claris », écrit par l’écrivain florentin, Giovanni Boccaccio, plus connu sous le nom de Boccace. L’ouvrage, connaissant un énorme succès, aura un bon nombre de rééditions, souvent illustrées. D’ailleurs, c’est généralement sa mort qui est souvent représentée, comme si les auteurs éprouvaient un plaisir certain à voir cette femme, trop ambitieuse, être punie pour avoir défié l’autorité de son mari, d’autant plus que bien que cette œuvre parle de femmes de mérite, son contenu est néanmoins particulièrement misogyne, car Boccace, convaincu de la supériorité masculine, ne se prive pas de montrer les défauts qu’il estime féminins, contribuant ainsi à une construction négative de l’image de la femme, Poppée n’échappant pas à la règle. À moins qu’il ne s’agisse d’une manière de diaboliser encore plus Néron, l’instigateur des persécutions envers les chrétiens ?
L’un des portraits les plus célèbres de l’impératrice romaine est sans doute la peinture conservée au Musée d’Art et d’Histoire de Genève, devenue une œuvre emblématique de l’École de Fontainebleau, datant du XVIᵉ siècle. Ayant connu un réel succès durant la Renaissance, ce tableau donna lieu à de multiples copies et variants. Suivant le modèle des tableaux à mi-corps fréquent dans le répertoire féminin courtois, la composition de l’œuvre offre une image idéalisée de l’impératrice, enveloppée d’une fine gaze à la romaine, rappelant les drapés mouillés antiques, faisant encore une fois allusion au voile dans sa mise en scène. Faussement pudique, il faut comprendre que sous son apparence de vierge effarouchée, se cache une femme séductrice et tentatrice, prête à tout pour arriver à ses fins. Son visage lisse, son regard doux et appuyé, ainsi que son corps nacré, ajouté au fond sombre, accentue la luminosité du nu et magnifie la figure, ajoutant à la perfection plastique de Poppée, une sensualité, une grâce et une délicatesse, proposant ainsi un idéal de beauté féminine, dans un mélange d’influences italiennes et flamandes caractéristique de l’art de Fontainebleau. La Renaissance va accentuer alors la légendaire beauté de la femme de Néron.
Le Musée des Beaux-Arts de Rennes conserve également une gravure présentant une galerie de portraits de souveraines antiques et mythologiques, datant du XVIIᵉ siècle, où Poppée y figure sous l’adjectif « galante » et, d’après le document, aurait séduit Néron par ses attraits. Une manière détournée pour dire que l’impératrice ne fut qu’une vulgaire courtisane ayant réussi à parvenir aux plus hauts sommets de l’Empire, ne valant donc pas mieux qu’une Messaline aussi gourgandine qu’elle. Dans son dernier opéra, « L’Incoronazione di Poppea », composé en 1642 sur un livret de Giovanni Francesco Busenello, se déroulant lors de son mariage avec Néron, Claudio Monteverdi retrace la vie de l’impératrice sous un jour plus favorable, mettant bien l’accent sur son amour pour l’empereur. Enfin, la figure de Poppée inspira également les caricaturistes, puisque, le 20 septembre 1939, paraît une caricature dans le journal « Candide », où Joseph Staline et Adolf Hitler apparaissent respectivement grimés en Poppée et Néron !
Une héroïne de fiction
Poppée a également inspiré le septième art, comme l’en témoigne son apparition dans de nombreux films. Initialement, ce sont des adaptations du roman Quo Vadis d’Henryk Sienkiewicz, comme « Le Signe de la Croix », réalisé en 1932, par Cecil B. DeMille, le réalisateur des « Dix Commandements ». La belle Romaine y est incarnée par Claudette Colbert qui, ironie de l’Histoire, incarnera également Cléopâtre, en 1934. Ayant eu un énorme succès au box-office, le film doit justement sa célébrité à l’actrice américaine, d’origine française, qui creva l’écran dans ce rôle. En effet, son charme sexy, ses tenues affriolantes impressionnent le public, d’autant plus que chaque scène dans lesquelles Poppée apparaît, possèdent tous les ingrédients pour se graver durablement dans la mémoire des spectateurs, comme celle du bain au lait d’ânesse, passage qui fait encore référence dans toutes les anthologies du cinéma érotique. Volant la vedette à l’héroïne, ce rôle lancera la carrière de Claudette Colbert, qui deviendra l’une des actrices les plus populaires des années 1930 et 1940. En 1951, sort, cette fois-ci, une véritable adaptation de l’œuvre de Sienkiewicz, « Quo Vadis », de Mervyn LeRoy. Cette fois-ci, l’épouse de Néron est interprétée par Patricia Laffan. Dans cette œuvre, l’accent est plus mis sur le caractère ambigu de l’impératrice, et non sur sa sensualité. Brigitte Bardot, alors dans la fleur de l’âge et au tout début de sa carrière, a également incarné la belle romaine dans la comédie « Les Week-ends de Néron », de Stefano Vanzina, dit Steno, sorti en 1956.
Mais c’est à partir des années 1970, que la figure de Poppée se voit totalement appropriée par l’industrie du cinéma, en particulier par le genre du péplum érotico-humoristique, apparu à cette même période qui connaîtra alors un fort engouement, surtout en Italie. La réputation sulfureuse de Poppée, transmise par les historiens antiques n’y est sans doute pas étrangère. Ce sont donc Les « Nuits chaudes de Poppée » de Guido Malatesta, avec Olinka Bérová dans le rôle principal, qui ouvre le bal, suivi du film « Les Nuits érotiques d’une courtisane »,d’Alfonso Brescia, en 1972. Bien que n’étant point des chef-d’œuvres, ces fictions se révèlent néanmoins supérieure, aux nombreux autres navets tournés à la va-vite, de cette même période, en particulier le célèbre « Messaline, impératrice et putain », de Bruno Corbucci, sorti en 1977, dont la trame historique fut transformée en véritable bouffonnerie d’une effarante vulgarité. Avec l’essor du cinéma pornographique dans les années 1980, l’industrie du X s’empare de Néron et Poppée et c’est dans ce contexte que sort « Les Aventures sexuelles de Néron et Poppée », d’Antonio Passalia et Bruno Mattei, en 1982, avec Françoise Blanchard et Piotr Stanislas, dans les rôles titres.
Enfin, Poppée a également inspiré de nombreuses œuvres littéraires, puisqu’elle apparaît également dans « Histoire du Juif errant » de Jean d’Ormesson, paru en 1991. Dans ce roman, narrant les péripéties du héros éponyme, le personnage principal se rend à Rome, sous le nom de Cartaphilus et noue une liaison avec l’impératrice, allant jusqu’à devenir son conseiller, ce qui lui permettra de manipuler Néron, par le biais de son épouse, qui a beaucoup d’emprise sur lui. À travers son héros, le regretté homme de lettres nous dévoile les coulisses des plus grands événements du règne du dernier empereur julio-claudien, et nous donne donc une explication à l’intérêt manifesté par Poppée, envers le peuple juif, ainsi qu’à la véritable cause de sa mort.
Influenceuse de son temps
Aujourd’hui, Poppée est également un des personnages principaux de la série de bande dessinée historique belge, « Murena », écrite par Jean Dufaux et dessinée par Philippe Delaby, puis Theo. Éditée par Dargaud, depuis 1997, l’histoire se déroule dans la Rome antique, au Iᵉʳ siècle après Jésus-Christ, sous le règne des empereurs Claude (41-54), puis de Néron (54-68), tout en mettant en parallèle, l’évolution de ce dernier, ainsi que celle de l’héros éponyme, Lucius Murena, qui sombrent tous les deux progressivement dans la folie et dans la cruauté, suite à un concours de circonstances et d’un jeu de manipulation et de vengeance. Elle y est dépeinte comme une femme sensuelle, dangereuse, nymphomane et ambitieuse. Dans cette fiction, elle est également bisexuelle, puisqu’elle couche avec des femmes. Les auteurs de cette BD prennent également des libertés avec l’Histoire, puisque la belle rousse devient justement impératrice, grâce à un pacte avec Agrippine qui, cherchant à se venger de son fils, lui confiera un philtre d’amour, concocté par la sorcière Locuste, d’autant plus que le jeune empereur n’est initialement, pas intéressé par elle, car il la trouve trop ostentatoire. Au fur et à mesure que le récit avance, une autre image plus positive de Poppée sera montrée, puisqu’elle finira par aimer Néron. Tout cela correspond à la volonté de Jean Dufaux qui précise : « J’ai voulu créer une jeune femme sensuelle mais aussi tenir compte des sentiments réels qui ont existé entre elle et Néron ».
Beauté romaine, femme sans scrupules, souveraine christianophobe, ambitieuse, simple mécène, ou revancharde, Poppée n’a rien à envier aux autres impératrices romaines qui ont marqué l’Histoire de leur empreinte. Il est donc surprenant de constater qu’aucune étude scientifique n’ait été réalisée jusqu’à présent sur elle, et bien que de nombreux artistes se soient emparés de sa figure, que cette femme soit très peu connue du grand public, au contraire d’une Cléopâtre, d’une Marie-Antoinette ou d’une Sissi. Pourtant, sa personnalité complexe, ainsi que son destin exceptionnel possèdent tous les ingrédients nécessaires pour en faire l’un des plus grands personnages ayant marqué l’Histoire, d’autant plus que pour accomplir tout ce qu’elle a réalisé, en l’espace de si peu de temps, il fallait avoir du caractère, surtout en faisant face aux obstacles rencontrés dans une société misogyne qu’était la société romaine, où elle a su s’imposer, s’immisçant jusqu’aux plus hautes sphères de l’Empire romain, entrant ainsi dans la longue liste des impératrices romaines ayant marqué leurs contemporains. Néanmoins, l’historiographie a surtout préféré retenir d’elle ses secrets de beauté et l’image d’une femme uniquement préoccupée par son apparence. Toutefois, ce fâcheux oubli sera peut-être réparé, puisqu’une étude universitaire est actuellement en cours et permettra, peut-être, de découvrir une autre facette de cette femme incroyable, qui contribua au rayonnement d’une des plus grandes civilisations de l’Humanité.
Lucas-Joël Houllé