Aux portes du trône, plus rien ne semble arrêter l’ascension de Poppée. Mais du rêve au cauchemar, il n y’a qu’une mince frontière que Lucas-Joël Houllé, spécialiste de l’Antiquité, nous explique dans le chapitre II de « Poppée, la Cléopâtre de Rome ».
Le grand amour de Néron
Bien qu’hanté par sa mère, Néron était dorénavant libre d’épouser son grand amour, la belle Poppée. Contraint de divorcer de sa femme, Othon fut envoyé par l’Empereur en tant que questeur, une fonction modeste, en Lusitanie, où il exercera sa fonction avec une modération et un désintéressement exceptionnels. La voie était désormais libre pour les deux amoureux qui convolèrent en justes noces, douze jours après que l’Empereur eut divorcé de la fille de Claude. Il avait vingt-cinq ans, elle en avait trente-deux et filaient le parfait amour. On en profite quand même pour noter la troublante ressemblance de la nouvelle Impératrice avec Agrippine, possédant toutes les deux le même sourire, la même ambition et la même emprise, même si son influence s’exerça plus dans les arts que sur la politique. Difficile de nier que Néron n’est pas amoureux de son épouse. Ainsi, grand amateur de théâtre, Néron était tenu de porter un masque de cuir, lorsqu’il jouait et comme le voulait la tradition. Portant un masque modelé à l’image de ses propres traits (qu’il avait fabriqué lui-même) lorsqu’il interprète un homme, c’est celui à l’image de Poppée qu’il tient à porter lorsqu’il se faisait passer pour une femme. Le couple fit frapper de nombreuses monnaies à leur effigie, et très rapidement, une petite fille prénommée Claudia Augusta, va voir le jour le 21 janvier 63. La nouvelle impératrice recevra officiellement le titre « d’Augusta » à cette occasion. Naissance qui sera célébrée par de somptueux jeux du cirque et des offrandes de statues d’or, représentant la Bonne et la Mauvaise Fortune. Lors de cet événement, Néron invita les matrones de Rome à dédier un temple où Poppée était assimilée à Vénus.
Une fervente adoratrice d’Isis
La coquetterie de Poppée n’est pas le seul aspect qui intéresse les auteurs passionnés de l’Antiquité. En effet, nous disposons également de nombreuses informations concernant sa pratique de la religion. Férue d’astrologie, la souveraine partageait avec son nouvel époux le goût du faste, de l’Orient et de l’hellénisme. Elle était également une adepte des religions orientales et aurait eu une passion pour le culte d’Isis. Elle fera d’ailleurs même frapper une série de monnaies à son effigie, en 65 après Jésus-Christ, à Périnthe, en Thrace, où au revers, figure une coiffe isiaque, un des attributs de la déesse.
Originaire d’Égypte, le culte de cette divinité a connu de nombreuses mutations et syncrétismes depuis l’arrivée au pouvoir des Lagides, au pays des pharaons, assimilant peu à peu la magicienne du Nil à de nombreuses déesses, telles qu’Hathor, Aphrodite et Vénus, devenant ainsi une divinité préposée à l’amour en tant que principe de vie, à l’amour sexuel mais aussi à l’amour filial en protégeant également les grossesses. Importé à Rome, dès le IIᵉ siècle avant Jésus-Christ, comme l’en témoigne la construction de nombreux temples lui étant consacrés, à Pompéi, Herculanum, Naples ou encore Stabies, le culte de l’épouse d’Osiris séduisit de nombreux fidèles, puisqu’il offrait une sorte de renaissance après la mort vers une vie plus pure, ce qui explique le fait que les premiers dévots furent des esclaves, des affranchis ou des clients de grandes maisons. Avant d’être officialisé par Caligula, le culte d’Isis fut l’objet de nombreuses persécutions. En particulier sous le règne d’Auguste, qui se méfiait de cette divinité orientale qui lui rappelait une certaine Cléopâtre VII. La reine affirmait de son vivant être la nouvelle Isis.
Un intérêt manifeste pour le judaïsme
Cependant, Poppée ne s’intéressait pas uniquement aux cultes égyptiens. En effet, pour une raison qui demeure encore inconnue de nos jours, elle manifestait également de l’intérêt pour le judaïsme. C’est l’historien romain juif Flavius Josèphe, qui mentionne cet aspect méconnu de la vie de la femme de Néron. Selon lui, l’impératrice serait souvent intervenue dans différentes causes, touchant la Judée. Lorsqu’en 63-64, le même Flavius Josèphe obtint la libération de prêtres, mis en accusation et emprisonnés par le procurateur de Judée, Antonius Felix, ce fut grâce à l’intervention de Poppée, avec qui il avait obtenu une entrevue. Elle avait également obtenu de Néron qu’il donne raison aux habitants de Hiérosolyma et de désavouer à la fois le procurateur de Judée, Festus, et le roi Agrippa II, allié de Rome. Un différend opposait les deux protagonistes dont l’origine prenait racine dans la construction d’un bâtiment très élevé à la demande monarque juif. De là, il pouvait voir depuis son lit, ce qui se passait dans le Temple, offusquant ainsi les principaux Hiérosolymitains qui ne pouvaient accepter que des sacrifices puissent être observés d’une position surélevée. Ces derniers avaient alors bâti un mur, qui fermait aussi la percée dont disposait les Romains pour surveiller le bâtiment sacré. Le monarque et le Romain en demandaient la destruction, l’un pour son agrément personnel, tandis que l’autre, pour des raisons de sécurité.
La jolie rousse intercéda également en faveur de Gessius Florus, époux de l’une de ses amies, afin qu’il obtienne le poste de procurateur de Judée. Cependant, ce choix s’avéra être plutôt mauvais, puisque le favori fera preuve d’un comportement cruel auprès de la population locale poussant les Juifs à se révolter contre Rome.
Bien que les motivations de Poppée envers la religion juive restent mystérieuses (certains pensent même qu’elle s’était convertie), son action n’échappa pas à Flavius Josèphe qui, contrairement à ses homologues, nous présente une personne très différente, parlant d’elle comme d’une femme profondément religieuse, prosélyte, et qui poussa Néron à montrer de la compassion à l’égard du peuple juif. Cela nous permet ainsi d’avoir un portrait plus nuancé sur cette impératrice romaine, qui évoque d’autres aspects de sa vie autre que son intérêt pour la beauté et son emprise sur son époux, qu’elle aurait envoûtée. A contrario, cet intérêt pour la religion juive a du certainement jouer en sa défaveur, puisque certaines sources chrétiennes, sans certitudes, font d’elle l’instigatrice de la persécution des chrétiens sous le règne de son mari, dans le but de masquer ses méfaits, et non Néron.
Du rêve au cauchemar…
Bien que le mariage entre Néron et Poppée fut très heureux, dans un premier temps, tout bascula à partir de l’année 63. Claudia Octavia, leur fille, mourut quatre mois après sa naissance et la félicité du couple impérial fut subitement endeuillée. Très affectés, les parents de la petite princesse impériale lui firent élever des temples tandis que des prêtres lui rendirent des honneurs divins. Claudia Octavia sera également divinisée, sur ordre de Néron, qui avait d’ailleurs envisagé de la déclarer comme héritière du trône. Il semble qu’à partir de cet événement, le destin décida de s’acharner sur leur sort.
L’été suivant, le Grand incendie de 64 frappe la Ville Éternelle, et un an plus tard, c’est la Conjuration de Pison qui est déjouée. L’empereur força alors tous les protagonistes à se suicider, dont Sénèque. Poppée encouragea activement Néron dans cette épuration, mais elle finit par succomber elle-même à cette spirale haineuse. D’après Suétone, durant l’été, lors d’une dispute, l’impératrice enceinte reçut de Néron, fou de rage, un coup de pied mortel dans le ventre. Elle lui avait reproché ouvertement de passer trop de temps aux jeux. Toutefois, la plupart des historiens modernes estiment aujourd’hui que la belle romaine serait en réalité, décédée des suites de complications de sa grossesse, comme une éclampsie.
Quelles en soient les causes, il est néanmoins avéré, que désespéré et particulièrement affligé par sa mort, l’empereur, qui n’avait toujours pas d’héritier, organisa son apothéose. Néron donna à sa deuxième épouse des funérailles officielles et fit-lui-même son panégyrique. Afin que sa beauté ne fût pas dévorée par les flammes du bûcher, le corps de Poppée, à l’image des pharaons d’Égypte, ne fut point brûlé, comme le voulait la tradition romaine, mais embaumé avec des épices et placé dans le Mausolée d’Auguste. Poppée fut également divinisée, provoquant alors le dégoût de ceux qui la détestaient et se souvenaient de sa cruauté et de son immoralité. C’est ainsi, que celle qui souhaitait mourir avant l’irrémédiable, selon Dion Cassius, entra dans la postérité.
Après le décès de son épouse, Néron se remaria l’année suivante avec Statilia Messalina. A la même période, il fit la connaissance de Sporus, un jeune affranchi, qui d’après Dion Cassius, servit de « puer delicatus » à l’empereur. Ce dernier présentant une étrange ressemblance avec Poppée, fut castré sur ordre de l’empereur, qui ne le faisait paraître en public, habillé comme une femme, et qu’il appelait même du nom de sa défunte épouse.
Néron survivra encore quatre ans à son grand amour, avant de se suicider en 68 après Jésus-Christ. Avec lui, s’éteint la lignée des premiers empereurs de Rome, les Julio-Claudiens. Ironie de l’Histoire, Othon, le premier époux de Poppée, deviendra également empereur. Il succédera à Galba, mais ne régnera que trois mois, se suicidant après sa défaite face à Vitellius.
(A suivre…)
Lucas-Joël Houllé